Chapitre
2
NOTRE
VIE, NOTRE DOUCEUR
Paragraphe
1
Marie est notre
vie, parce qu'elle nous obtient
le pardon de non péchés
L'Église veut que nous appelions Marie notre
vie.
Pour bien comprendre ce titre, il faut savoir que, comme l'âme donne la vie au corps, ainsi la grâce de Dieu donne la vie
à l'âme ; car, sans la grâce, l'âme peut paraître vivante, mais en réalité elle est morte, selon ce
qui est dit dans l'Apocalypse. Ainsi Marie rend la vie aux pécheurs, quand, par son intercession, elle leur obtient de rentrer en grâce
avec Dieu.
L'Église applique à Marie et lui met dans la bouche les paroles suivantes du livre
des Proverbes : Ceux qui sont diligents à recourir à moi dès le matin, c'est-à-dire,
aussitôt qu'ils le peuvent, me trouveront certainement. Au lieu de : Me trouveront, on lit dans
la version des Septante : Trouveront la grâce ; en sorte que c'est la même chose, de recourir
à Marie, et de trouver la grâce de Dieu. - Un peu plus loin, il est dit : Celui qui
m'aura trouvée, trouvera la vie, et recevra de Dieu le salut
éternel. - Écoutez, s'écrie
là-dessus saint Bonaventure : écoutez, vous qui aspirez au royaume de Dieu : honorez Marie,
et vous aurez la vie et le salut.
Au dire de saint Bernardin de Sienne, ce qui empêcha Dieu d'anéantir l'humanité
après le péché originel, ce fut son amour de prédilection pour cette Fille bénie qui devait
naître d'Adam. Le saint ne doute nullement que toutes les miséricordes et toutes les
grâces reçues par les pécheurs sous l'ancienne loi, ne leur aient été accordées à la
seule considération de cette bienheureuse Vierge.
Elle est donc bien fondée, cette exhortation de saint Bernard : " Cherchons la grâce,
et cherchons-la par l'intermédiaire de Marie ". Oui, si nous sommes assez malheureux
pour avoir perdu la grâce de Dieu, cherchons-la ; et, afin de la recouvrer sûrement,
adressons-nous à Marie ; car, si nous avons perdu cette perle précieuse, Marie l'a retrouvée ; et
de là le nom d'inventrice de la grâce, que lui donne le même saint. Et n'est-ce pas là la vérité
si consolante pour nous qu'exprimait l'ange Gabriel, quand il disait à la Vierge : Ne
craignez point, Marie, car vous avez trouvé la grâce. Mais, puisque Marie n'avait jamais été
privée de la grâce, comment le saint archange pouvait-il dire qu'elle l'avait trouvée ? La
vierge Immaculée fut toujours unie à Dieu, toujours ornée de la grâce, ou plutôt toujours
pleine de grâce, comme l'archange le fit connaître au monde, quand il la salua en ces
termes : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous. Ce n'est donc pas pour elle
même que Marie a trouvé la grâce dont elle fut toujours remplie ; pour qui donc ? Pour ceux
qui l'avaient perdue, pour les pécheurs, répond le cardinal
Hugues ; et, commentant les
paroles de saint Gabriel, le pieux auteur ajoute : Qu'ils courent donc à Marie, les pécheurs qui
ont perdu la grâce, et ils la trouveront sans faute auprès d'elle ; qu'ils lui disent avec
assurance - Auguste Dame, une chose trouvée doit être restituée à qui l'a perdue ; vous devez
donc nous rendre la grâce. Richard de Saint-Laurent développe la même pensée, et conclut
ainsi : Si donc nous désirons trouver la grâce du Seigneur, allons à Marie, qui l'a trouvée et
qui la trouve toujours ; comme elle fut et sera toujours chère à Dieu, notre confiance en elle
ne saurait être frustrée.
La sainte Vierge dit dans les Cantiques, que Dieu l'a placée en ce monde pour être
notre défense, et qu'il l'a établie Médiatrice de paix entre lui et les pécheurs : "
Je suis un mur
et mon sein est un asile assuré comme une forte tour, depuis qu'il m'a faite entremetteuse
de la paix ". Saint Bernard s'appuie sur ces paroles pour relever le courage du pécheur :
Va, dit-il, va, pauvre pécheur, à cette Mère de miséricorde, et montre-lui les plaies que
tes fautes ont laissées dans ton âme ; elle ne manquera pas de solliciter ton pardon auprès
de son divin Fils, en lui rappelant qu'elle l'a nourri de son lait ; et ce Fils, qui l'aime
si tendrement, ne manquera pas de l'exaucer. - Et la sainte Église elle-même nous met sur
les lèvres une oraison où elle prie le Seigneur de nous accorder la faveur d'être aidés par
la puissance secourable des prières de Marie à sortir du péché : " O Dieu miséricordieux,
venez en aide à notre fragilité, afin que, célébrant la mémoire de la sainte Mère de Dieu,
nous puissions avec l'appui de son intercession, nous relever de nos iniquités ".
Ainsi donc saint Laurent Justinien a raison d'appeler Marie l'Espérance des coupables,
puisque seule elle leur obtient de Dieu le pardon de leurs fautes. Saint Bernard fait bien de
lui décerner le titre d'Échelle des pécheurs, puisque cette Reine compatissante leur tend
une main secourable, les retire de l'abîme où ils sont misérablement tombés, et les fait
remonter à Dieu. Et saint Augustin n'a pas tort de la proclamer notre unique Espérance,
puisque c'est par elle seule que nous espérons la rémission de tous nos péchés. Saint Jean
Chrysostôme ne parle pas autrement que l'illustre évêque d'Hippone : " Par elle, dit-il,
nous obtenons le pardon de nos péchés ". Et, plein de confiance en sa médiation, il lui
adresse cette prière au nom de tous les pécheurs : Nous vous saluons, ô Mère de Dieu et
notre Mère, Ciel où Dieu réside, Trône du haut duquel le Seigneur dispense toutes ses
grâces ! priez sans cesse Jésus pour nous, afin que, par votre entremise, nous puissions
trouver miséricorde au jour du jugement, et partager la gloire des élus dans l'éternité.
C'est avec raison, enfin, comme le remarque Innocent III, que Marie est comparée à
l'aurore dans ce passage du Cantique : Quelle est celle-ci qui s'avance comme une aurore
naissante ? Car la naissance de Marie mit fin au règne des vices, comme l'aurore met fin
aux ombres de la nuit. Ainsi parle ce pontife. Or, le changement opéré autrefois dans le
monde par cette bienheureuse naissance, se reproduit dans toute âme où naît la dévotion à
Marie : elle en bannit les ténèbres du péché et guide ses pas dans la voie des vertus. De là
l'exclamation de saint Germain : " O Mère de Dieu, votre protection nous donne
l'immortalité ; votre intercession, c'est la vie ". Le même saint assure que le nom de Marie,
dans la bouche de celui qui le prononce avec affection, est le signe de la vie, ou du moins
le présage d'un prompt retour à la vie.
Sur les paroles du Cantique de Marie : Voici qu'à partir de ce moment
toutes les nations m'appelleront bienheureuse, saint Bernard s'écrie : Oui, ô ma Souveraine, vous
serez proclamée bienheureuse par tous les hommes, parce que votre intercession assure à
tous vos serviteurs la vie de la grâce et la gloire céleste. En vous les pécheurs trouvent
le pardon, les justes la persévérance, et ensuite la vie éternelle.
- Ne perds donc
pas confiance, ô pécheur, dit le pieux Bernardin de Bustis ; ne te décourage point,
quand même tu te serais souillé de toutes les iniquités, mais recours avec assurance à
cette glorieuse Reine ; tu la trouveras toujours les mains pleines de miséricorde, et
plus désireuse de te combler de ses dons, que toi-même de les recevoir.
Un titre encore qui
convient à Marie, selon saint André de Crète, c'est celui de Caution ou de Gage de notre
réconciliation avec Dieu. Et, en effet, quand les pécheurs s'adressent à Marie, pour être
réconciliés avec Dieu, non content de leur promettre leur pardon, Dieu leur en donne même un gage ;
et ce gage n'est autre que Marie elle-même, qu'il nous a donnée pour Avocate : tout pécheur
qui se réfugie auprès d'elle, obtient par son entremise le pardon de ses fautes en vertu des mérites de Jésus-Christ.
D'après la révélation faite par un ange à sainte Brigitte, les prophètes étaient ravis de joie dans la prévision que,
fléchi par l'humilité et la pureté de Marie, Dieu allait faire grâce aux pécheurs, et recevoir
dans son amitié ceux qui auraient provoqué sa colère.
Aucun pécheur ne doit jamais craindre d'être repoussé par Marie,
quand il implore sa pitié ; non, car elle est une Mère de miséricorde, et, à ce titre, elle désire sauver les
plus misérables. Marie est pour nous une Arche de salut, dit saint Bernard ;
quiconque s'y réfugie, échappera au naufrage de la damnation éternelle. Dans l'arche de Noé les
brutes même furent à couvert des eaux du déluge ; sous le manteau de Marie, les pécheurs
même trouvent le salut. Sainte Gertrude vit un jour cette clémente Reine qui tenait son
manteau ouvert : une multitude de lions, d'ours, de tigres et d'autres bêtes féroces, s'y
étaient réfugiés ; et, bien loin de les chasser, Marie les retenait autour d'elle et les
caressait doucement. Cet emblème apprit à la sainte que Marie ne repousse pas les pécheurs,
si enfoncés soient-ils dans la fange du vice, mais qu'elle les accueille avec tendresse et
les met à l'abri de la mort éternelle. Entrons donc dans cette Arche, courons nous
réfugier sous le manteau de Marie ; elle se gardera bien de nous rejeter, elle nous
sauvera infailliblement.
Paragraphe
2
Marie est encore notre vie,
parce qu'elle nous obtient la persévérance
La persévérance finale
est un don de Dieu, don si excellent, que, comme l'a déclaré le Concile de Trente, il est purement gratuit,
nous ne saurions le mériter ; néanmoins, selon l'enseignement de saint Augustin, Dieu l'accorde à tous ceux qui le lui
demandent ; et, suivant le Père Suarez, on l'obtient infailliblement, si l'on a soin de le solliciter jusqu'à
la fin de la vie ; car, dit Bellarmin, la persévérance doit être demandée tous les jours,
pour être obtenue tous les jours. Or, s'il est vrai, et je le tiens pour certain, et c'est le
sentiment aujourd'hui commun ; s'il est vrai, dis-je, que toutes les grâces qui nous viennent
de Dieu, passent par les mains de Marie, il sera également vrai que nous ne pouvons espérer
et obtenir la grâce suprême de la persévérance, si ce n'est par l'entremise de Marie.
Et nous l'obtiendrons indubitablement, si nous la lui demandons toujours avec confiance ; c'est
la récompense qu'elle promet à tous ceux qui la servent fidèlement en cette vie : Ceux qui
me glorifient auront la vie éternelle. Ces paroles lui sont appliquées par la
sainte Église.
Pour conserver la vie de la grâce, il faut que nous ayons la force de résister à tous
les ennemis de notre salut ; or, cette force ne s'obtient que par le moyen de Marie ; Le don
de force est entre mes mains, dit Marie ; Dieu me l'a remis afin que je le dispense à
mes serviteurs. Par moi règnent les rois ; soutenus par moi, mes dévots règnent sur la terre,
en commandant à tous leurs sens et à toutes leurs passions, et ils se rendent ainsi dignes
de régner éternellement dans le ciel. Oh ! de quelle force victorieuse sont revêtus les sujets
de cette grande Reine pour leurs luttes avec l'enfer ! A Marie convient ce passage des
Cantiques : Votre cou est comme la tour de David, munie de travaux avancés, et où l'on
voit suspendus mille boucliers et toute l'armure des vaillants. Pour ceux qui l'aiment et qui
l'invoquent dans le combat, elle est en effet pareille à une tour environnée de puissants
moyens de défense ; ils trouvent en elle tous les boucliers et toutes les armes dont ils ont
besoin pour repousser les attaques de Satan.
Pour la même raison, la très sainte Vierge se dit semblable au platane qui s'élève le long de
la route, au bord d'un courant d'eau. Le platane est un nouvel emblême de la protection
dont Marie favorise ceux qui se réfugient auprès d'elle ; car, selon la remarque du cardinal
Hugues, cet arbre a des feuilles en forme de boucliers. Le bienheureux Amédée donne une
autre explication : comme le feuillage du platane met les voyageurs à couvert du soleil et
de la pluie, ainsi, dit-il, Marie nous offre sous son manteau royal un abri contre l'ardeur
des passions et la violence des tentations.
Malheur aux âmes qui se privent de cet abri salutaire, en négligeant
d'honorer Marie et de l'invoquer dans les occasions dangereuses ! Si le soleil cessait de paraître,
dit saint Bernard, que deviendrait le monde, sinon un chaos de ténèbres et un lieu plein
d'horreur ? Qu'une âme perde la dévotion à Marie, aussitôt elle sera remplie de ténèbres, et de
ces ténèbres dont l'Esprit-Saint dit qu'elles permettent aux bêtes sauvages de rôder en
toute liberté. Dès qu'une âme n'est plus éclairée de la divine lumière, la nuit s'y fait et elle
devient le repaire de tous les péchés et des démons. De là ce cri de saint Anselme : " Malheur
à ceux qui méprisent la lumière du Soleil ", c'est-à-dire la dévotion envers Marie !
Saint François
de Borgia craignait avec raison pour la persévérance de ceux en qui il ne trouvait pas
une dévotion particulière envers la bienheureuse Vierge. S'entretenant un jour avec des novices,
il voulut savoir d'eux à quel saint chacun était surtout dévot, et, s'apercevant
que quelques-uns manquaient de cette dévotion spéciale à Marie, il avertit le maître
des novices de surveiller plus attentivement ces pauvres jeunes gens ; or, qu'arriva-t-il ? tous
perdirent malheureusement leur vocation et quittèrent l'institut.
Ce n'est donc pas à tort
que saint Germain proclame Marie la Respiration des chrétiens ; en effet, comme le corps ne peut vivre sans respirer,
de même l'âme ne peut vivre sans recourir et se recommander à cette divine Mère, par le moyen de qui nous naissons
à la vie de la grâce et nous la conservons sûrement. Voici les propres termes du saint :
" De
même que la respiration n'est pas seulement le signe, mais encore la cause de la vie
corporelle ; ainsi le nom de Marie, que les serviteurs de Dieu ont sans cesse sur les lèvres,
est tout à la fois une preuve qu'ils ont la vie spirituelle, et un moyen qui produit et conserve
en eux cette vie, et leur attire toute sorte de biens ".
Alain de la Roche pensa un jour se perdre, faute de s'être recommandé à Marie
dans une violente tentation ; mais la sainte Vierge lui apparut, et, afin qu'une autre fois il se
tînt mieux sur ses gardes, elle lui donna un soufflet, en lui disant : "
Si tu m'avais invoquée,
tu ne te serais pas trouvé dans ce péril ".
D'autre part, la Reine du ciel nous adresse ces paroles. Heureux celui qui écoute
ma voix, et qui a soin de venir sans cesse frapper à la porte de ma miséricorde, et réclamer
de moi lumière et secours ! Marie s'emploie de grand coeur à procurer à ceux qui l'invoquent
ainsi tous les secours nécessaires pour sortir du vice et marcher dans la voie de la vertu.
De là les beaux titres de Lune, d'Aurore et de Soleil que lui donne Innocent III. Lune pour
le malheureux plongé dans la nuit du péché, elle lui fait voir l'état de damnation où il
se trouve. Aurore, c'est-à-dire, avant-courrière du soleil, pour
l'âme qui se reconnaît
déjà, elle l'aide à sortir du péché et à entrer dans l'amitié de Dieu. Soleil, enfin, pour l'âme
en état de grâce, elle l'empêche de tomber de nouveau dans quelque précipice.
Les docteurs appliquent à Marie les paroles de l'Ecclésiastique : Ses liens sont des liens
salutaires. La sainte Vierge lie ses serviteurs par ses exemples et ses secours, dit Richard
de Saint-Laurent, de peur qu'ils n'aillent s'égarer dans les voies du vice. Saint Bonaventure
explique dans le même sens cet autre texte, qu'on lit dans l'office de Marie : Je me tiens au
milieu des saints. La divine Mère, dit-il, ne se tient pas seulement au milieu des saints, mais
elle maintient les saints, afin qu'ils ne retournent pas en arrière ; elle soutient leurs vertus,
afin qu'ils ne viennent pas à défaillir ; et elle contient les démons, afin qu'ils n'en reçoivent
aucun dommage.
Il est dit des serviteurs de Marie, qu'ils sont couverts d'un double
vêtement. Selon Cornelius, cela signifie que Marie orne ses fidèles serviteurs des vertus de son divin Fils
et des siennes propres ; et, protégés par ce double vêtement, ils conservent la
sainte persévérance.
Aussi saint Philippe de Néri ne se lassait pas de répéter à ses
pénitents : " Mes enfants,
si vous désirez la persévérance, soyez dévots à la sainte
Vierge ". Le saint frère
Jean Berchmans, de la Compagnie de Jésus, disait pareillement : " Celui qui aime Marie, aura
la persévérance ". Ici vient à propos la belle réflexion de Rupert sur la parabole
de L'Enfant prodigue. Si ce jeune étourdi eût eu encore sa mère, dit-il, ou bien il n'aurait jamais
quitté la maison paternelle, ou bien il y serait revenu beaucoup plus tôt. La pensée du pieux abbé
est qu'un enfant de Marie ne s'éloigne jamais de Dieu, ou du moins ne tarde pas à être
ramené par elle, si par malheur il vient à s'en éloigner.
Ah ! si tous les hommes aimaient
cette Reine pleine de clémence et de tendresse, et si, dans les tentations, ils avaient toujours et aussitôt recours à elle,
en verrait-on jamais faire une chute ? en verrait-on un seul se
perdre ? Celui-là tombe et se perd, qui ne recourt
point à Marie. On lit au livre de l'Ecclésiastique : J'ai marché sur les flots de la mer ;
ces mots, Richard de Saint-Laurent les applique à la Vierge et les commente ainsi : Je marche
avec mes serviteurs au milieu des tempêtes qui viennent les assaillir ;
je les environne de
ma protection et les empêche d'être engouffrés dans l'abîme du péché.
Voici un trait
raconté par le Père Bernardin de Bustis. Un oiseau avait été dressé à dire : Ave Maria ; se voyant
poursuivi par un épervier il cria : Ave Maria ! et l'épervier tomba mort. - Le Seigneur a voulu nous montrer par cet exemple,
que, si un pauvre animal a pu être sauvé en prononçant le nom de Marie, à plus forte raison
tout homme échappera-t-il aux mains du démon qui l'attaque, s'il a soin d'invoquer ce nom béni. Ainsi,
dit saint Thomas de Villeneuve, lorsque les démons viennent nous tenter, nous n'avons qu'à
imiter les poussins effrayés à la vue du milan : de même qu'ils courent aussitôt se réfugier
sous l'aile maternelle, allons sans retard, et sans raisonner avec la tentation, nous mettre
en sûreté sous le manteau de Marie. Car c'est à vous, ô notre Reine et notre Mère,
continue le même, c'est à vous de nous défendre ; car, après Dieu, nous n'avons pas d'autre
refuge que vous ; vous êtes notre unique espérance, la seule protectrice en qui nous
mettions notre confiance.
Concluons par ces paroles de saint Bernard : O vous, qui comprenez que,
dans le tourbillon de ce siècle, vous naviguez sur une mer agitée par la tempête, plutôt que
vous ne marchez sur la terre ferme, voulez-vous ne pas être submergé par les vents contraires ?
gardez vous de détourner les yeux de cette brillante Étoile. Etes-vous en danger de tomber
dans le péché, pressé par de fâcheuses tentations, ou biens, dans vos doutes, ne savez-vous
que résoudre ? regardez l'Étoile, pensez que Marie est assez puissante pour vous secourir,
invoquez-la sans retard. Que son Nom puissant soit toujours dans votre coeur par la
confiance, et sur vos lèvres par la fidélité à l'invoquer. En suivant Marie, vous ne
sauriez vous écarter de la voie du salut ; pourvu que vous ayez soin de vous recommander à elle,
vous ne tomberez point ; si elle vous protège, vous n'avez pas à craindre de vous perdre ;
si elle vous guide, vous vous sauverez sans peine. En un mot, si Marie vous prend sous sa
défense, vous arriverez certainement au royaume des Bienheureux.
Faites ainsi et vous vivrez.
Paragraphe
3
Marie est notre douceur : elle rend la mort douce à ses
serviteurs
L'ami sincère aime en tout
temps ; et le frère se connaît dans l'affliction. Les vrais amis et les vrais parents ne sont pas bien connus dans
les temps de prospérité, mais seulement dans la détresse et la misère. Les partisans du monde restent attachés à un ami
tant que la fortune lui sourit ; mais qu'il vienne à essuyer quelque disgrâce, que surtout la
mort approche, et aussitôt les amis de s'éloigner. Marie n'agit pas ainsi envers ceux qui lui
sont dévoués : bonne Maîtresse et bonne Mère, elle ne saurait abandonner ses fidèles
serviteurs dans leurs tribulations, surtout dans les angoisses de la mort, qui sont les plus
terribles qu'on puisse éprouver ici-bas ; et, après avoir été notre
vie durant tout le temps de
cet exil, elle devient notre douceur au terme de notre carrière, en nous ménageant une mort
douce et heureuse.
En effet, depuis le jour mémorable où elle eut à la fois le bonheur et la douleur
d'être présente à la mort de Jésus-Christ, son Fils, qui est le Chef des prédestinés, Marie est
en possession du privilège d'assister tous les prédestinés à
l'heure de la mort. C'est pourquoi
l'Église nous fait prier cette bienheureuse Vierge de venir à notre secours principalement à
nos derniers moments : Priez pour nous, pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort.
Bien cruelles sont les angoisses des pauvres mourants ! remords des péchés commis,
horreur du jugement qui est proche, incertitude du salut, tout est pour les tourmenter. En
ce moment où l'âme va passer à l'éternité, l'enfer fait appel plus que jamais à toutes ses
armes ; il met en jeu toutes ses forces pour s'en rendre maître
; il sait qu'il lui reste peu de
temps pour la gagner, et que, s'il la perd alors, c'est pour toujours : Le diable descend vers
vous plein d'une grande fureur, sachant qu'il n'a plus qu'un peu de temps. Alors, le démon
qui la tentait ordinairement pendant sa vie, ne vient pas seul l'attaquer, mais il en appelle
d'autres à son aide, et la maison se remplit d'esprits infernaux qui unissent leurs efforts
pour la perdre : Leur demeure se remplira de dragons.
On raconte de saint André
d'Avellino qu'au temps de sa mort,
dix mille démons vinrent le tenter ; ils lui livrèrent surtout de rudes assauts quand il fut à l'agonie ; tous les
religieux présents étaient épouvantés du spectacle qui s'offrait à leurs regards. Le visage du saint
se gonflait jusqu'à paraître tout noir par l'effet de son agitation intérieure ; il tremblait de
tous ses membres et se débattait étrangement ; de ses yeux sortaient deux torrents de larmes,
sa tête était en proie à des secousses violentes : autant d'indices de l'horrible combat
qu'il soutenait contre l'enfer. Tous les assistants, émus jusqu'aux larmes, redoublaient de
prières et tremblaient de crainte, en voyant un saint mourir de la sorte. On se consolait
toutefois, en le voyant tourner souvent les yeux vers une pieuse image de Marie, comme
pour réclamer son secours ; et on se souvenait de lui avoir entendu dire bien des fois,
dans le courant de sa vie, que la sainte Vierge serait son refuge à l'heure de sa
mort.
Il plut enfin au Seigneur de mettre fin à ce combat par une glorieuse
victoire : les convulsions cessèrent, le visage désenflé reprit sa première couleur, et on vit
le saint, tenant les yeux tranquillement fixés sur l'image, faire une dévote inclination comme
pour remercier Marie, laquelle, pense-t-on, se faisait voir à lui ; après cela, il remit
paisiblement son âme bénie entre les mains de la divine Mère, et ses traits prirent une expression
de paix céleste. En ce moment-là même, une religieuse capucine à l'agonie, se tourna vers
les soeurs qui l'assistaient, et leur dit : " Récitez l'Ave Maria ; car un saint vient de
mourir ".
A l'aspect de la Reine, les rebelles prennent la fuite. Si, à l'heure de la mort, nous
avons Marie de notre côté, que pourrons-nous craindre de la part de tous nos ennemis
infernaux ? Dans les craintes que lui inspirait la pensée de cette lutte suprême, David
reprenait courage en s'appuyant sur le sacrifice du Rédempteur futur et sur l'intercession de
la Vierge Marie : Alors même, disait-il, que je marcherais au sein des ombres de la mort, je
ne craindrais rien... votre verge et votre bâton me rassurent. Par le mot bâton,
le cardinal Hugues entend ici la croix du Sauveur : et, par le mot verge, notre Médiatrice Marie,
qui fut prédite en ces termes par Isaïe : il sortira une verge de la racine de Jessé, et une
fleur s'élèvera de sa racine. Verge puissante, dit saint Pierre Damien, par elle sont
réprimées toutes les violences des esprits infernaux. Courage donc, s'écrie saint Antonin ;
car, "
si Marie est avec nous, qui osera nous attaquer "
?
Quand le
Père Manuel Padial, jésuite, était près de mourir,
Marie lui apparut, et lui adressa ces consolantes
paroles : " Voici enfin le moment où les anges vont te
féliciter,
et te dire : O heureux travaux ! ô mortifications bien récompensées "
! - On vit ensuite une troupe
de démons qui fuyaient, en criant avec désespoir : "
Hélas ! nous ne pouvons rien ; celle qui est
sans tache, le protège "
! Le Père Gaspard Hayewood fut assailli par les démons à ses
derniers moments et violemment tenté contre la foi ; il se recommanda aussitôt à la sainte
Vierge, et on l'entendit ensuite s'écrier : " Je vous rends grâces, ô Marie, d'être venue à
mon secours " !
Selon saint Bonaventure, quand un serviteur de Marie est sur le point de mourir,
elle lui envoie saint Michel et tous les anges dont il est le chef, afin qu'ils le défendent contre
les attaques des démons ; elle les charge de recevoir les âmes de tous ceux qui ont eu
l'heureuse habitude d'implorer avec ferveur sa maternelle protection.
Lorsqu'une âme va sortir de ce monde, l'enfer s'émeut, dit Isaïe, et il envoie les plus
terribles d'entre les démons la tenter avant qu'elle quitte son corps, et l'accuser au tribunal
de Jésus-Christ, quand elle s'y présentera : L'enfer s'est mis en mouvement à ton arrivée ; il
suscitera contre toi des géants. Mais, si cette âme est défendue par Marie, les démons
n'oseront entreprendre de l'accuser, assure Richard ; ils savent trop bien que le divin Juge
n'a jamais condamné et ne condamnera jamais une âme protégée par son auguste Mère.
Dans son épître à sainte Eustochie, saint Jérôme enseigne que, non contente de secourir
ses chers serviteurs au moment de leur mort, Marie vient encore à leur rencontre quand ils
passent à l'autre vie, les encourage par sa douce présence, et les accompagne au tribunal
suprême : " Quel jour que celui où Marie, Mère du Seigneur, viendra au devant de vous,
suivie des choeurs des vierges " ! et cela est conforme à ce que la bienheureuse Vierge a
dit elle-même à saint Brigitte, touchant ses serviteurs à leurs derniers moments : " Moi,
leur Maîtresse bien-aimée et leur Mère, j'irai à leur rencontre quand ils seront pour mourir,
afin que, dans la mort même, ils trouvent consolation et soulagement ".
Saint Vincent Ferrier ajoute qu'elle reçoit leurs âmes. Oui, cette Reine pleine de tendresse
les reçoit en quelque sorte dans les plis de son manteau, et les présente elle-même à leur
Juge, qui est son Fils ; et ainsi elle leur obtient infailliblement la grâce du salut. Tel fut, par
exemple, le bonheur de Charles, fils de sainte Brigitte : comme il était mort dans le
périlleux métier des armes et loin de sa mère, la sainte craignait pour son salut, mais la
bienheureuse Vierge lui révéla que Charles était sauvé, grâce à son amour pour elle. Elle-même,
ajouta-t-elle, l'avait assisté dans ses derniers moments, et lui avait suggéré les actes
que tout chrétien doit faire en cette circonstance. Sainte Brigitte vit en même temps Jésus-Christ
sur un trône, et le démon qui portait deux accusations contre la divine Mère. En
premier lieu, disait-il, elle m'a empêché de tenter Charles au moment de sa
mort : en second
lieu, elle a présenté elle-même au jugement l'âme de ce soldat, et l'a ainsi sauvée, sans
même me permettre d'exposer les droits que je prétends avoir sur cette âme. La sainte vit
ensuite le démon repoussé par le divin Juge, et l'âme de Charles portée au ciel.
Oh ! quel bonheur pour vous, mon cher frère, si, à la mort, vous vous trouvez attaché à la
Mère de Dieu par les douces chaînes de l'amour ! Ses chaînes sont des chaînes de salut,
c'est-à-dire qu'elles vous assurent le salut éternel. Elles vous feront goûter à la mort une
heureuse paix, qui sera pour vous le commencement d'un repos et d'un bonheur sans fin.
Le Père Binet rapporte qu'un pieux serviteur de Marie disait en mourant : " Si vous saviez
quel contentement on sent en son âme, au moment de la mort, d'avoir essayé de bien servir
la très sainte Mère de Dieu durant le cours de sa vie, vous en seriez étonné et
consolé ; je
ne saurais dire la joie que je ressens en mon coeur à l'heure où vous me voyez
". Ainsi
mourut également le Père Suarez, si dévot envers la sainte Vierge qu'il aurait donné toute
sa science, disait-il, pour le mérite d'un seul Ave Maria ; il déclara au moment d'expirer,
qu'avant d'en avoir fait l'expérience, il ne se serait jamais imaginé que la mort pût être si
douce.
Tel sera sans doute aussi votre contentement, pieux lecteur, telle sera votre joie au
moment de la mort, si vous pouvez vous rendre alors le témoignage d'avoir aimé cette
bonne Mère, toujours fidèle à récompenser ceux de ses enfants qui ont été fidèles à la
servir et à l'honorer par des visites, par la
récitation du rosaire, par des jeûnes, et surtout à
la remercier, à la louer, et à implorer souvent sa puissante protection. Vous ne serez même
pas privé de cette consolation pour avoir vécu un temps dans le péché, si désormais vous
tâchez de vous bien conduire et de servir fidèlement cette Reine si clémente et si
généreuse ; dans les angoisses de votre dernière heure, et dans les tentations par où le
démon cherchera à vous jeter dans le désespoir, elle vous fortifiera et portera la bonté
jusqu'à venir elle-même vous assister au moment de votre mort.
Saint Pierre Damien raconte qu'un jour
son frère Martin, ayant eu le malheur d'offenser Dieu, se rendit devant un autel de Marie pour se
consacrer à elle en qualité d'esclave ; en signe de quoi, il se passa sa ceinture autour du cou, et parla
ainsi : " O ma
Souveraine, Miroir de pureté ! je suis un pauvre pécheur, j'ai offensé mon Dieu et vous, en blessant
la chasteté ; je ne puis mieux réparer ma faute qu'en m'offrant à vous pour esclave ; me
voici donc à vos pieds, recevez-moi, tout rebelle que je suis, ne me rejetez-pas ". Ensuite,
il déposa sur le marchepied de l'autel une certaine somme d'argent, qu'il promit de payer
chaque année comme esclave tributaire de Marie. Quand il fut près de mourir, on l'entendit
un matin qui s'écriait : "
Levez-vous ; saluez ma Souveraine "
! Puis il ajouta : " O Reine du
ciel ! quelle est votre bonté de daigner visiter ce pauvre serviteur ! De grâce, bénissez-moi,
ma Souveraine, et ne permettez pas que je me perde, après que vous m'avez honoré de
votre présence ". Pierre étant alors arrivé, Martin lui raconta comment la sainte Vierge l'avait
visité et béni, se plaignant de ce que les assistants ne s'étaient pas levés en présence de la
Mère de Dieu. Peu après, il passa doucement dans le sein du Seigneur.
Oui, mon cher lecteur, telle aussi sera votre mort si vous êtes fidèle à Marie ; eussiez-vous
d'ailleurs offensé Dieu dans le passé, elle ne laissera pas de faire que votre fin soit douce et
heureuse. Et si alors, une crainte excessive au souvenir de vos péchés d'autrefois, ébranle
votre confiance, elle viendra elle-même soutenir votre courage. Ainsi fit-elle pour
Adolphe, comte d'Alsace, dont l'histoire se lit aux chroniques des Frères Mineurs. Ce
prince avait renoncé au monde pour entrer dans l'ordre de Saint François, et s'y était
distingué par sa dévotion à la Mère de Dieu. Sur la fin de ses jours, il se remit devant les
yeux la vie qu'il avait menée dans le siècle et la rigueur des divins jugements ; ces pensées
lui inspirèrent des doutes touchant son salut et une vive crainte de la mort. Mais, quand les
pieux serviteurs de Marie sont dans la peine, elle ne dort pas. Escortée d'une multitude de
saints, elle se présenta tout à coup au mourant, et le rassura par ces tendres paroles : Mon
cher Adolphe, tu m'appartiens, tu t'es donné à moi, et tu redoutes la mort ? - A ces mots,
le serviteur de Marie se sentit entièrement consolé, toutes ses craintes s'évanouirent, et il
mourut au sein d'une paix profonde et d'un doux contentement.
Ayons bon courage, nous aussi, bien que pécheurs et si,
pendant le reste de notre pèlerinage ici-bas, nous servons Marie avec amour, espérons qu'elle viendra nous
secourir dans les angoisses de notre mort, et nous consoler par sa présence. Notre bonne Reine
en fit la promesse formelle, un jour qu'elle s'entretenait avec sainte Mechtilde : " Tous
ceux, lui dit-elle, qui me servent pieusement, peuvent compter qu'à leur heure dernière,
je me ferai un devoir de me tenir à leurs côtés, comme la
plus tendre des mères,
pour les consoler et les défendre ". O Dieu ! à ce moment où nous attendrons la décision
de notre éternel sort, quelle joie pour nous, de voir auprès de nous la Reine du ciel qui
nous assistera et relèvera notre confiance, en nous assurant de sa
protection !
C'est là une faveur dont on voit dans les livres une multitude innombrable
d'exemples, outre ceux que nous avons déjà cités. Elle fut accordée à sainte Claire, à saint
Félix de Cantalice, à sainte Claire de Montefalco, à sainte Thérèse, à saint Pierre d'Alcantara.
Mais, pour notre commune consolation, nous en relaterons quelques autres encore.
Au rapport du Père Crasset, sainte Marie d'Oignies vit un jour la bienheureuse Vierge au chevet
d'une pieuse veuve de Willembroc ; elle se tenait tout à côté de la malade ; et, comme
celle-ci était en proie aux brûlantes ardeurs de la fièvre, elle la consolait et la
rafraîchissait à l'aide d'un éventail. Saint Jean de Dieu allait mourir et attendait la visite de Marie,
à laquelle il était très dévot ; mais, ne la voyant point paraître, il en était tout triste, et peut-être
même s'en plaignait-il. Tout à coup, le moment suprême arrivé, la divine Mère lui apparut, et,
comme pour lui reprocher son peu de confiance, elle lui adressa ces tendres paroles, qui
doivent remplir de courage tous ses serviteurs : " Cette heure est celle où jamais je ne
délaisse mes serviteurs dévoués ". C'est comme si elle eût dit : Mon cher Jean, que
pensais-tu ? que je t'avais abandonné ? Ne sais-tu donc pas que je ne saurais abandonner
mes serviteurs à l'heure de la mort ? Je ne suis pas accourue plus tôt, parce que le temps
n'était pas encore venu ; maintenant qu'il est arrivé, me voici prête à te prendre avec moi ;
allons en paradis. - Peu après, le saint expira, et son
âme s'envola vers les cieux, pour y
remercier à jamais sa très aimante Reine.
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