Livre
Premier
CONSEILS
POUR LA VIE SPIRITUELLE
Chapitre
1
IMITATION
DE JÉSUS CHRIST
ET MÉPRIS DES VANITÉS DU MONDE
1.
Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres (Jean 8,12).
Ce sont là des paroles de Jésus
Christ, paroles par lesquelles il nous exhorte à imiter
sa vie et sa conduite si nous voulons trouver la véritable
lumière et ne pas tomber dans l'aveuglement des
passions.
Que notre principale étude soit donc de méditer la
vie de Jésus Christ.
2. La doctrine de Jésus Christ est plus haute que
tous les enseignements des saints, et celui qui possède
l'esprit du Christ y trouve une manne cachée.
Mais il arrive que bien des hommes qui entendent
souvent l'évangile ne sentent en eux qu'un médiocre
désir de perfection: c'est parce qu'ils ne possèdent
pas l'esprit du Christ.
Qui veut comprendre et se pénétrer pleinement des
paroles du Christ doit conformer toute sa vie à la
sienne.
3. A quoi bon des discussions théologiques sur la
Trinité, si tu manques d'humilité et que par là, tu déplais
à la Trinité? Non, ce ne sont pas les discours savants
qui élèvent l'âme, mais une vie vertueuse et
agréable à Dieu.
J'aime mieux avoir la componction que d'en savoir
la définition. Car, même si tu savais par cœur toute la
Bible et toutes les sentences des philosophes, à quoi te
servirait tout cela sans l'amour et sans la grâce de
Dieu?
Vanité des
vanités; tout n'est que vanité (Eccl. 1,2), hormis l'amour de Dieu et son divin service.
La plus haute sagesse est d'aspirer au royaume des
cieux en ne se souciant pas des vanités du monde.
4. Qu'il est donc vain d'amasser des richesses
éphémères et de s'y attacher!
Qu'il est vain d'aspirer aux honneurs et aux situations
élevées!
Vain de suivre les désirs de la chair, qui n'apporteront
qu'un sévère châtiment!
Vain de souhaiter une longue vie et de ne pas se
soucier de bien vivre!
Vain de ne penser qu'aux moments présents, sans
souci de la vie future!
Vain enfin de se consacrer à ce qui passe si vite, et
de ne pas se hâter vers le lieu de la joie éternelle!
5.
Rappelle-toi souvent ce proverbe: L'œil n'est
jamais rassasié de voir, ni l'oreille d'entendre (Eccl. 1,8).
Cherche donc à te détacher de l'amour des choses
matérielles pour te porter tout entier vers la vie spirituelle. Car ceux qui suivent l'attrait du monde se
privent de la grâce de Dieu.
Chapitre
2
SAVOIR
SE JUGER AVEC HUMILITÉ
1.
Tout homme a une soif naturelle de connaissance; mais que vaut la science en face de la crainte
de Dieu? Un pauvre ignorant qui sert Dieu est plus
utile aux yeux de son Maître qu'un savant rempli
d'orgueil.
Celui qui se
connaît bien ne s'estime pas au-dessus
de ses semblables et n'aime pas à s'entendre louer.
Même si toute la science du fionde m'appartenait,
mais que l'esprit de charité ne se trouve pas en moi, à
quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera
sur mes actes?
2. Il faut refréner un trop grand désir de savoir;
c'est là une source de dispersion et de déception.
Les savants veulent souvent
paraître et passer pour
sages. Or, il y a tant de choses dont la connaissance
n'est d'aucune utilité pour l'âme, et bien insensé est
celui qui se passionne pour autre chose que ce qui
concourt à son salut.
L'âme ne se nourrit pas de mots, mais une vie vertueuse
et une conscience pure donnent un esprit confiant
en Dieu.
3. Plus ta science sera vaste et profonde, et plus tu
seras jugé sévèrement si tu ne vis pas selon la loi du Christ.
Ne
tire vanité d'aucun art et d'aucune science,
mais crains plutôt à cause de ces dons que tu as reçus.
Si tu crois savoir et comprendre beaucoup de choses,
sache que tu en ignores encore davantage.
Ne
t'enorgueillis pas (Rom. 11,20): avoue plutôt
ton ignorance.
Comment peux-tu te juger supérieur à quelqu'un,
tandis que tant d'autres sont plus savants et plus instruits
que toi de la volonté de Dieu?
Si tu veux apprendre et
connaître quelque chose
d'utile, cherche à te faire ignorer et à ne pas compter
aux yeux du monde.
4) Se
connaître
soi-même et parvenir à s'oublier
totalement, tout en respectant autrui: voilà la véritable sagesse.
Même si tu vois quelqu'un commettre un péché ou
un crime, ne te crois pas meilleur que lui, car tu ignores
de quoi tu es capable.
Nous sommes tous fragiles, mais chacun doit se
dire qu'il est le plus fragile de tous.
Chapitre
3
L'ENSEIGNEMENT DE LA
VÉRITÉ
1.
Heureux celui que la Vérité instruit directement,
au-delà des images et des paroles oiseuses.
Nos pensées et nos sentiments nous trompent souvent
en nous masquant la vérité.
A quoi servent les discussions subtiles sur des choses
cachées et obscures, que Dieu, au moment de notre
jugement, ne nous reprochera pas d'avoir ignorées?
C'est une grande folie de négliger ce qui est utile et
nécessaire pour se consacrer à des problèmes inutiles
et dangereux pour la foi. On pourrait dire: Nous
avons des yeux et nous ne voyons pas! (Ps. 113,5).
2. Que nous importe ce qu'on dit sur la nature des
choses. Celui à qui parle le Verbe éternel est délivré
de tout cela.
Le Verbe unique éclaire tout et tout en lui s'éclaire.
Il est le Principe, et c'est lui qui parle en dedans
de nous (Jean 8,25). Sans lui, nulle intelligence ne
peut exister, nul jugement ne peut être porté.
Celui qui unifie sa vie et ramène tout à l'unité dans
le Verbe unique ne connaîtra pas l'incertitude, et son
cœur peut paisiblement demeurer en Dieu.
O Vérité, qui êtes Dieu, faites que je sois un avec
vous dans un amour éternel.
Souvent, j'éprouve un grand ennui à force de lire
ou d'entendre parler: en vous seul résident tous mes
désirs.
Que tout se taise devant vous; que votre seule voix
me parle.
3) Plus on se recueille en
soi-même en se dégageant
des choses extérieures, plus l'esprit s'ouvre et
s'élève sans peine, parce qu'on reçoit d'en haut la lumière
de l'intelligence.
Une
âme pure, simple et ferme n'est jamais distraite
au milieu même de nombreuses occupations,
parce qu'elle rapporte tout à la gioire de Dieu; et
parce qu'elle possède la tranquillité, elle ne se recherche
en rien.
Qu'est-ce qui te trouble et te fatigue si ce n'est les
élans désordonnés de ton cœur?
L'homme juste et pieux dispose intérieurement les
actes qu'il doit exécuter. Il ne se laisse pas entraîner
par une inclination mauvaise, mais il règle tout selon
une raison droite.
Qui soutient un plus rude combat que celui qui travaille à
se vaincre? C'est là pourtant ce qui devrait
nous occuper le plus: devenir chaque jour plus forts
et accomplir chaque jour quelques progrès vers le
bien.
4. La perfection dans cette vie ne peut jamais
être
absolue et nous ne voyons qu'à travers une certaine
obscurité.
L'examen sévère de
son âme mène plus sûrement à
Dieu que les recherches de la science; non qu'il faille blâmer la science, ni la connaissance des choses, car
elles sont dans l'ordre voulu par Dieu; mais on doit
toujours leur préférer une bonne conscience et une vie
vertueuse. Parce que certains ont un plus grand souci
de s'instruire que de bien vivre, ils s'égarent souvent
et ne retirent que peu de fruits de leur travail.
5. S'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs
vices et pour progresser dans la vertu qu'à soulever
des questions, il y aurait moins de scandales dans le
peuple, moins de relâchement dans les maisons religieuses.
Au jour du jugement, on ne nous demandera pas
de rendre compte de ce que nous avons lu, mais de ce
que nous avons fait; ni si nous avons bien parlé, mais
si nous avons bien vécu.
Dis-moi, où sont maintenant ces hommes illustres
que tu as connus de leur vivant et qui brillaient dans
leur science? D'autres occupent à présent leur place,
et je doute qu'ils pensent à eux. Vivants, ils paraissaient être quelqu'un, et maintenant le silence est fait
sur eux.
6. Oh! que la gloire du monde passe vite! Si seulement
la beauté de leur vie avait répondu à la profondeur de leur science, alors, ils n'auraient pas lu et
étudié en vain.
Combien d'hommes se perdent par l'oubli du
service de Dieu! Et parce qu'ils aiment mieux paraître
grands que d'être humbles, ils s'évanouissent dans
leurs pensées (Rom. 1,21).
Celui dont le
cœur est charitable, celui-là est vraiment grand.
Celui qui, pour gagner Jésus-Christ, regarde comme
fumier toutes les choses de la terre (Philip. 3,8), celui-là est vraiment sage.
Celui qui fait la volonté de Dieu et renonce à la
sienne, celui-là possède la véritable science.
Chapitre
4
LA PRUDENCE DANS LES ACTES
1.
Il ne faut pas croire n'importe quoi, ni obéir à
la première impulsion, mais peser chaque chose devant Dieu, avec prudence et patience.
Hélas! nous sommes si faibles que nous croyons
plus facilement au mal qu'au bien quand il s'agit des
autres et que c'est encore le mal que nous répandons
le plus facilement à leur sujet. Mais l'homme sage
n'accepte pas pour vrai tout ce qu'il entend, parce
qu'il sait que la nature humaine est portée au mal et
que l'on pèche souvent en paroles.
2. C'est une grande sagesse que de ne pas agir avec
précipitation, et de ne pas rester attaché obstinément
à ses propres opinions.
Cherche conseil auprès d'un homme à la conscience
droite et cherche à t'instruire par ses avis plutôt que de
suivre tes propres idées. Une telle vie te procurera la
sagesse selon Dieu et te donnera l'expérience en beaucoup de domaines.
Plus l'on offrira à Dieu humilité et soumission,
plus l'on recevra sagesse et paix en toutes choses.
Chapitre
5
COMMENT LIRE
L'ÉCRITURE SAINTE
1.
Dans l'Ecriture sainte, c'est la vérité qu'il faut
chercher, non l'éloquence.
Toute l'Ecriture doit
être lue dans le même esprit
qui l'a dictée: nous devons y chercher l'utilité plutôt
que la finesse de style.
Ne
t'arrête pas à considérer la valeur de l'écrivain,
ni son degré d'instruction, mais lis par seul amour de
la vérité.
Ne te demande pas qui a prononcé telles ou telles
paroles, mais médite plutôt sur ces paroles.
2. Les hommes passent, mais la vérité du Seigneur
demeure à jamais (Ps. 116,2).
Dieu nous parle de diverses manières, sans distinguer
entre les voix par lesquelles il se fait entendre.
La curiosité nous nuit souvent dans la lecture de
l'Ecriture sainte, parce que nous voulons tout comprendre
et discuter là où il ne faut que lire et accepter.
Si tu veux en tirer quelque profit, lis humblement,
simplement, fidèlement, et ne cherche jamais à passer pour savant.
Aime à interroger et à écouter les paroles des saints
en silence, et ne méprise pas les sentences des anciens, car ce n'est pas sans raison qu'elles sont
venues jusqu'à nous.
Chapitre
6
AFFECTIONS DÉRÉGLÉES
1.
Chaque fois qu'un homme commence à désirer
quelque chose hors de l'ordre divin, aussitôt il sent
l'inquiétude s'installer en lui.
L'orgueilleux et l'avare n'ont jamais de repos; le
pauvre et l'humble en esprit jouissent d'une grande
paix (Ps. 36,11).
L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort
à lui-même est facilement tenté et il succombe dans
les plus petites choses. Celui qui est faible en esprit,
qui est encore charnel et attiré vers les choses sensibles,
s'arrache difficilement aux désirs terrestres.
C'est pourquoi, lorsqu'il essaie de le faire, il éprouve
de la tristesse, et toute résistance l'irrite.
2. Dès qu'il a obtenu ce qu'il convoitait, le remords
commence à peser sur sa conscience, parce
qu'il a obéi à sa passion et qu'il s'est par là écarté de
la paix qu'il cherchait.
C'est en résistant aux passions, et non en leur cédant,
qu'on trouve la vraie paix du cœur. Cette paix
est le partage de celui qui vit selon l'esprit et non selon
la chair.
Chapitre
7
ORGUEIL ET VAINES ESPÉRANCES
1.
Quel insensé, celui qui place toute son espérance
dans les créatures mortelles!
N'aie pas honte de servir les autres pour l'amour
de Jésus Christ et de paraître pauvre en ce monde.
Ne t'appule pas sur
toi-même, mais place ton espérance
en Dieu seul.
Fais ce que tu peux, et Dieu viendra en aide à ta
bonne volonté.
Ne te fie pas à tes propres connaissances, ni à l'habileté
des hommes, mais compte plutôt sur la grâce
de Dieu: elle relève les humbles et humilie les présomptueux.
2. Ne te vante pas de tes richesses, si tu en as, ni
de tes amis parce qu'ils sont puissants, mais glorifie
Dieu qui donne tout, et qui, par-dessus tout, désire
encore se donner lui-même.
Ne te montre pas trop fier de la force ou de la
beauté de ton corps, qui peut disparaître à tout moment.
Ne
parle pas avec trop de complaisance de ton
adresse ni de tes talents, si tu ne veux pas offenser
Dieu, de qui tu tiens tous les dons naturels.
3. Ne t'estime pas meilleur que les autres, de
crainte que tu ne paraisses pire aux yeux de Dieu, qui
voit au fond des âmes.
Ne tire pas orgueil de tes bonnes
œuvres, car les
jugements de Dieu sont autres que ceux des hommes,
et ce qui leur plaît à eux, souvent lui déplaît.
S'il se trouve en toi quelques qualités, persuade-toi
qu'il y en a davantage chez les autres, afin de te conserver
dans l'humilité.
Si tu te mets après tous les autres, cela ne te fera
aucun mal; cela t'en fera beaucoup de te préférer, ne fût-ce qu'à un seul.
Une paix inaltérable remplit le
cœur de l'homme
humble; la rancune et la colère empoisonnent celui
de l'homme orgueilleux.
Chapitre
8
ÉVITER LA TROP GRANDE FAMILIARITÉ
1. N'ouvre
pas ton cœur au premier venu (Eccli.
8,19), mais confie-toi à un homme sage et craignant
Dieu.
Sois réservé avec les jeunes et avec les personnes
inconnues.
Ne
flatte pas les riches et ne cherche pas à être reçu
chez les grands. Recherche plutôt la compagnie des
gens simples et de bonne conduite, et entretiens-toi
avec eux de sujets enrichissants.
N'aie d'intimité avec aucune personne de l'autre sexe.
Fuis la popularité parmi les hommes et tâche
seulement d'entrer dans le cercle des familiers de
Dieu.
2. Il ne faut pas confondre la charité avec la
familiarité.
Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres
par nos assiduités, alors même que nous commençons
à leur déplaire par les défauts qu'ils découvrent en
nous.
Chapitre
9
OBÉISSANCE ET SOUMISSION
1.
C'est une grande chose que de vivre dans
l'obéissance, dominé par la volonté d'un supérieur, et
de ne pas dépendre uniquement de soi-même.
Il est bien moins risqué d'obéir que de commander.
Beaucoup obéissent
plutôt par nécessité que par
amour; ceux-là ne sont pas heureux et se plaignent
souvent. Iis n'atteindront jamais à la liberté d'esprit,
à moins qu'ils ne se soumettent de tout cœur et pour
plaire à Dieu.
Va ici ou là: tu ne trouveras la paix que dans une
humble soumission au gouvernement du supérieur.
Le désir du voyage et du changement en a trompé
beaucoup.
2. Il est vrai que l'on aime agir à sa guise et se rapprocher
plus volontiers de ceux qui ont la même mentalité
que soi. Mais si nous voulons que Dieu reste au
milieu de nous, il nous faut quelquefois renoncer à
notre opinion pour sauvegarder la paix.
Qui peut se prétendre parfaitement éclairé en toutes
choses? Ne te fie donc pas trop à ton propre jugement,
mais écoute avec attention les opinions des
autres.
Si ton avis te semble juste et que tu doives le sacrifier
pour l'amour de Dieu à celui d'un autre, tu n'en
tireras qu'un plus grand profit.
3. J'ai souvent entendu dire qu'il vaut mieux recevoir
des conseils qu'en donner.
Il peut aussi arriver que deux opinions se valent;
mais ne pas vouloir céder aux autres lorsque la raison
ou les circonstances l'exigent, c'est le fait d'un esprit
orgueilleux et opiniâtre.
Chapitre
10
ÉVITER LES ENTRETIENS INUTILES
1.
Evite autant que possible la vaine agitation des
hommes; car le soin que tu prendras aux affaires du
monde, si bien intentionné que tu sois, sera un obstacle
dans ton cheminement vers la perfection. Bientôt,
la vanité souillera ton âme et s'en emparera.
D'où vient notre
goût pour la conversation et le
bavardage alors que nous nous retirons si rarement
dans le silence de notre conscience? C'est que, dans
ces entretiens, nous cherchons réconfort mutuel et
un soulagement à notre fatigue et que nous nous plaisons à parler de nos
projets, de nos désirs, ou au
contraire de nos contrariétés.
2.
Hélas! c'est bien souvent une tentative inutile,
car le réconfort extérieur est un grand obstacle à celui
que Dieu nous apporte intérieurement. Il faut donc
veiller et prier, afin de ne pas perdre inutilement notre temps.
Cependant, un échange de
vues spirituelles entre personnes unies en Dieu et
animées d'un même esprit
peut aider beaucoup à progresser.
Chapitre
11
POUR GAGNER LA PAIX
ET PROGRESSER VERS LE BIEN
1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous
voulions ne pas nous mêler de ce que disent et de ce
que font les autres.
Comment un homme peut-il vivre en paix s'il cherche
toujours à s'immiscer dans les affaires d'autrui, à
se dépenser au-dehors, sans se ménager des temps de
recueillement?
Heureux les simples: ils jouiront d'une grande
paix.
2. Comment certains saints se sont-ils élevés à un si
haut degré de vertu et de contemplation? Ils se sont
seulement appliqués à mortifier tous leurs désirs terrestres,
parvenant ainsi à s'unir à Dieu de tout leur
cœur, dégagés de toute préoccupation égoïste. Mais
nous sommes trop possédés par nos passions et trop
tourmentés par des besoins passagers.
Il est rare que nous venions à bout d'un seul défaut.
Le souci d'un progrès quotidien ne nous enfiamme pas;
et ainsi, nous restons froids ou tièdes.
3. Si nous étions tout à fait morts à nous-mêmes
et libérés de nos attaches, alors nous pourrions aussi
nous élever vers la joie de la contemplation; mais
nous sommes trop asservis à nos passions et à nos
convoitises pour pouvoir marcher sur les traces des
saints. Et puis, nous voilà aussitôt découragés dès
que se présente sur notre route le premier obstacle.
4. Si nous demeurions comme des hommes forts,
toujours prêts au combat, nous recevrions certainement
le secours de Dieu, car il est toujour prêt à aider
ceux qui luttent et espèrent en sa grâce; et c'est
lui qui nous offre les occasions de combattre, afin de
nous donner la victoire.
Si nous comptons uniquement sur les observances
extérieures pour accomplir un progrès spirituel, notre
piété risque d'être de courte durée.
C'est à la racine qu'il faut mettre la cognée, afin
que, dégagés de nos passions, nous possédions notre
esprit dans la paix.
5. Si nous pouvions, chaque année, nous débarrasser
d'un seul défaut, nous serions bientôt parfaits.
Mais, au contraire, nous devons avouer que nous
étions meilleurs et que notre conduite était plus pure
au commencement de notre vie spirituelle qu'après
plusieurs années de pratique.
Nous devrions
croître chaque jour en sagesse et en
vertu; or, on estime que c'est un grand bonheur que
d'avoir réussi à conserver une partie de sa ferveur
première. Il suffirait pourtant de se faire un peu violence
au début, et ensuite, tout deviendrait aisé et
plaisant.
6. Il est dur de rompre avec des habitudes, mais il
est plus dur encore de faire plier sa propre volonté.
Si tu n'arrives pas maintenant à vaincre les petites
difficultés, comment résisteras-tu plus tard aux tentations?
Renonce donc le plus
tôt possible à tes mauvais
penchants et à tes mauvaises habitudes, car elles t'entraîneraient
peu à peu dans des chemins dangereux.
Oh! si tu savais quelle paix t'apporterait une vie
exemplaire, et quelle joie ce serait pour les autres,
alors certainement tu t'efforcerais d'accomplir des
progrès spirituels.
Chapitre
12
UTILITÉ DE L'ADVERSITÉ
1. Il est bon d'éprouver parfois des ennuis et des
contrariétés, parce qu'elles rappellent à l'homme sa
véritable condition en lui faisant sentir qu'il est en
exil sur la terre et qu'il ne doit mettre son espérance
en aucune chose de ce monde.
Il nous est plus profitable de souffrir quelquefois
des contradictions, ou de savoir que l'on a mauvaise
opinion de nous, même si nos intentions et nos actions
sont bonnes; cela sert à nous rendre modestes
et à nous préserver de la vanité. Et nous mettons plus
d'empressement à nous rapprocher de Dieu, qui voit
dans le secret, quand les hommes nous rabaissent et
nous tiennent en peu d'estime.
2. Chacun devrait s'affermir en Dieu jusqu'à ce
qu'il puisse se passer de tout réconfort humain.
Lorsqu'un homme de
bonne volonté est troublé,
tenté, affligé de mauvaises pensées, il comprend
mieux combien Dieu lui est nécessaire, et combien son aide lui est indispensable. Alors il s'attriste, il gémit, et sa souffrance fait naître en lui le besoin de
prier; sa vie désormais lui pèse et il souhaite la mort,
afin que, délivré de ses liens, il soit avec le Christ
(Philip. 1,23). Et c'est ainsi qu'il comprend que la
complète sécurité et la paix parfaite ne sont pas de ce
monde.
Chapitre
13
IL FAUT VAINCRE LES TENTATIONS
1.
Nous ne pouvons manquer de rencontrer la
souffrance et la tentation durant notre existence terrestre.
C'est pourquoi on lit dans le livre de Job:
Une tentation, telle est la vie de l'homme sur la terre
(Job 7,1).
Nous devrions donc toujours rester en alerte contre
les tentations qui nous assiègent, veiller et prier
pour ne pas donner prise aux attaques du démon, qui
ne dort jamais et qui tourne de tous côtés, cherchant
qui dévorer (1 Pierre 5,8).
Personne n'est si parfait et si saint qu'il n'ait parfois
des tentations; jamais, nous n'en serons complètement
délivrés.
2. Toutes mauvaises qu'elles soient, les tentations
ont souvent leur utilité pour l'homme qu'elles éprouvent:
elles l'humilient, le purifient et l'instruisent.
Tous les saints ont subi beaucoup de tentations et
de douleurs, et c'est parce qu'ils ont su les vaincre
qu'ils se sont sanctifiés, alors que ceux qui ont défailli
sur la route du salut se sont vus rejetés.
Il n'y a pas d'Ordre si saint ni de lieu si retiré que
l'on n'y trouve encore des tentations.
3. Tant qu'il vit, l'homme n'est jamais entièrement à l'abri du mal,
car il en porte le germe en lui
depuis sa naissance. Une tentation ou une épreuve
viennent-elles de s'apaiser? Il en survient d'autres, et
nous avons ainsi toujours une peine à endurer parce
que nous n'avions pas mérité de conserver notre félicité
primitive.
Certains cherchent à fuir pour
n'être pas tentés, et
ils tombent dans des tentations encore plus grandes.
Il ne suffit pas de fuir pour vaincre; c'est seulement
la patience et la véritable humilité qui peuvent nous
rendre plus forts que tous nos ennemis.
4. Celui qui cherche à éviter les occasions extérieures
sans arracher de son cœur la racine du mal n'accomplira
que peu de progrès; bientôt, les tentations
reviendront à la charge et le harcèleront davantage.
Tu triompherais plus
sûrement par l'exercice d'une
longue patience et avec l'aide de Dieu, que par un
sursaut violent, mais éphémère.
Prends souvent conseil d'autrui quand tu te sens
faiblir, et ne te montre pas dur envers ceux qui sont
tentés, mais aide-les comme tu voudrais toi-même être aidé.
5. La source de toutes les tentations, c'est le manque
de fermeté de l'esprit et le défaut de confiance en
Dieu. Comme un vaisseau sans gouvernail ballotté çà
et là par les flots, ainsi l'homme inconstant abandonne
ses résolutions et se trouve assailli par des tentations
diverses.
De
même que le feu éprouve le fer (Eccli. 31,26),
de même la tentation éprouve l'homme juste. Souvent,
nous ne connaissons pas la limite de nos forces;
eh bien, justement, elle nous est révélée par la
tentation.
Il faut surtout se montrer vigilant au début de la
tentation, car on triomphe bien plus facilement de
l'ennemi si on ne le laisse pas pénétrer dans son âme,
et si on le repousse à l'instant même où il se présente.
C'est ce qui a fait dire à un poète antique: "Arrêtez
le mal dès son origine; le remède vient trop tard,
quand le mal s'est accru par de longs délais" (Ovide).
D'abord c'est une simple pensée qui s'offre à
l'esprit, puis une représentation plus complexe; ensuite,
on se laisse aller à la complaisance et le consentement
au mal en résultera tôt ou
tard. Ainsi, peu à
peu, l'ennemi envahit l'àme tout entière lorsqu'on ne
lui résiste pas tout de suite. Plus on met de retard
et de mollesse à le repousser, plus on s'affaiblit,
et plus l'ennemi au contraire prend de vigueur.
6. Certains supportent les tentations les plus violentes
au début de leur conversion, d'autres à la
fin; il en est qui en souffrent presque toute leur
vie. Si plusieurs ne sont tentés que légèrement,
c'est selon les desseins de la sagesse et justice de
Dieu, qui pèse les conditions et les mérites des
hommes et ordonne toutes choses pour le bien de
ses élus.
7. Ne désespérons pas au moment où se présente
la tentation, mais prions Dieu avec plus de ferveur,
afin qu'il daigne nous soutenir dans toutes nos
épreuves car, selon la parole de saint Paul, Il nous
donnera, avec la tentation, le moyen de la surmonter
et d'en tirer avantage (1 Cor. 10,13).
Humilions nos
âmes sous la main de Dieu (1 Pierre 5,6)
dans toutes nos tentations et afflictions;
il sauvera les humbles d'esprit et les élèvera.
8. Les tentations et les épreuves permettent de
mesurer le progrès réalisé par un homme; elles accroissent
le mérite et font resplendir davantage la vertu.
Ce n'est pas grand-chose qu'un homme soit
pieux et fervent quand rien n'éprouve son âme;
mais qu'au temps de l'adversité il supporte tout
avec patience, voilà qui promet de grands espoirs.
Certains savent parfois surmonter de grandes tentations
et puis succombent tous les jours aux petites:
c'est afin que, constatant par là leur faiblesse,
ils ne présument jamais de leurs forces dans des
combats plus durs.
Chapitre
14
LES
JUGEMENTS TÉMÉRAIRES
1. Tournez vos regards en vous-mêmes et gardez-vous de juger les actions des autres. A juger les autres,
on perd son temps, on se trompe le plus souvent
et on commet de graves péchés; s'examiner et se juger soi-même est toujours une chose fructueuse.
D'habitude, nous jugeons une chose non pas sur ce
qu'elle est, mais selon ce que nous désirons qu'elle
soit, car l'amour-propre fausse notre jugement.
Si nous n'avions jamais devant les yeux que Dieu
seul, nous serions moins troublés quand on s'oppose
à notre façon de voir.
2. Souvent, les circonstances extérieures viennent
au-devant d'un secret désir qui est en nous et nous entraînent.
C'est pour cela que beaucoup se recherchent
eux-mêmes à travers leurs actes inconsciemment. On
les prendrait pour des gens ayant gagné la véritable
paix quand tout va selon leur volonté et leurs désirs;
mais dès qu'ils éprouvent quelques contradictions, aussitôt ils se troublent et s'attristent.
La différence de tempérament et d'opinion cause
souvent des discordes entre amis et concitoyens, et
même entre religieux et personnes spirituelles.
3. On quitte difficilement une vieille habitude, et
nul ne se laisse volontiers conduire au-delà de ses façons
de voir.
Si tu t'appuies plus sur des raisonnements que sur
la force intérieure de Jésus Christ, tu arriveras difficilement
à comprendre les choses spirituelles, car Dieu
veut que nous lui soyons parfaitement soumis, et que
nous nous élevions au-dessus de tout par un ardent amour.
Chapitre
15
LES ŒUVRES DE CHARITÉ
1. Au nom d'aucun principe, au nom d'aucune personne,
on ne doit commettre le moindre mal; mais
pour rendre service à qui en a besoin, on peut interrompre
une action bonne et la remplacer par une meilleure.
Ainsi notre œuvre n'en est que plus excellente.
Sans la charité, toute activité se révèle inutile. Au
contraire, tout ce qui se fait par charité, depuis la plus
petite et plus insignifiante action, produit des fruits
abondants; car Dieu apprécie davantage l'intention
et l'amour qui pousse à agir, que l'importance de
l'action elle-même.
2. Celui qui aime beaucoup construit une œuvre
solide, de même que celui qui accomplit ses tâches de
tout son cœur, et celui qui sert les autres plus que lui-même.
Souvent ce qu'on croit charité n'est que convoitise,
car les mauvais penchants, la volonté propre, l'espoir
de la récompense ou l'amour des commodités nous
quittent rarement.
Celui qui possède une charité profonde et parfaite
ne recherche rien pour lui-même; son unique désir est
de faire briller la gloire de Dieu en toute chose. Il
n'est jaloux de personne, parce qu'il ne souhaite aucune
faveur particulière; il ne poursuit aucune joie
égoïste, et ce n'est pas en lui-même qu'il cherche son
bonheur, mais en Dieu seul, au-dessus de tout autre bien.
Il ne s'attribue aucun mérite: il rapporte tout à
Dieu, de qui tout vient comme d'une source.
Oh! celui qui posséderait une étincelle de la vraie
charité, comme il sentirait l'absolue vanité de toutes
les préoccupations humaines!
Chapitre
16
SUPPORTER LES DÉFAUTS D'AUTRUI
1. Ce que l'homme ne peut corriger chez lui ou
chez les autres, il doit le supporter avec patience, jusqu'à ce que Dieu en dispose autrement.
Songe qu'il est sans doute souhaitable qu'il en soit
ainsi afin d'éprouver ta patience, sans laquelle tes mérites
sont peu de chose. Tu dois cependant prier Dieu
de t'aider à vaincre les obstacles ou à les supporter
avec résignation.
2. Si tes avertissements n'ont pas gagné ton prochain,
ne conteste plus, mais remets tout à Dieu, afin
que sa volonté et sa gloire soient accomplies dans tous
ses serviteurs: il peut changer le mal en bien.
Tâche de supporter patiemment les défauts d'autrui,
quels qu'ils soient, parce que toi aussi, tu as beaucoup
d'imperfections que les autres doivent supporter.
Si tu ne peux même pas te transformer toi-même
comme tu le voudrais, comment pourrais-tu alors
transformer les autres à ton gré? Nous désirons la
perfection pour nos frères alors que nous ne corrigeons
pas nos propres défauts.
3. Nous aimons que les autres soient sévèrement
repris, et nous ne supportons pas les réprimandes.
Nous sommes mécontents de voir les autres jouir
d'une trop grande liberté, et nous n'admettons pas de voir
nos désirs repoussés.
Nous voulons enfermer les autres dans des règlements,
et nous ne souffrons pas la moindre contrainte pour nous-mêmes.
Cela prouve combien il est rare de savoir appliquer la même
mesure à soi qu'à son prochain.
Si tout le monde était parfait, qu'aurions-nous à
offrir à Dieu?
4. Or, Dieu l'a voulu ainsi, afin que nous apprenions à
porter le fardeau les uns des autres (Ep. aux Gal. 6,2), car personne n'est sans défauts, nul ne se
suffit à soi-même, nul n'est assez sage pour se diriger seul; il faut nous supporter, nous réconforter, nous
aider, nous instruire, nous avertir les uns les autres.
C'est dans l'adversité que l'on discerne le plus clairement
la vertu d'un homme, car c'est là qu'il se
montre sous son vrai jour.
Chapitre
17
LA VIE RELIGIEUSE
1.
Il faut que tu apprennes à renoncer à toi-même
en toutes choses si tu veux faire régner la paix entre
toi et ceux avec qui tu vis.
Il est très difficile de vivre dans un monastère ou
dans une communauté sans jamais se plaindre et d'y
persévérer fidèlement jusqu'à la mort.
Heureux celui qui a su y vivre selon sa conscience
et bien y terminer ses jours.
Si tu veux y rester avec profit, considère-toi comme
un pèlerin sur la terre.
Si tu veux vivre en religieux, il te faut aimer Jésus
Christ par-dessus tout.
2. Ce ne
sont pas les signes extérieurs de la consécration, c'est le changement des
mœurs et la totale
mortification des passions qui font le vrai religieux.
Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le
salut de son âme ne trouvera que déchirement et
douleur.
Celui qui ne s'efforce pas de se
tenir à la dernière place et de rester soumis à tous, celui-là ne saurait
non plus demeurer longtemps en paix.
3. C'est pour obéir que tu es venu en ce lieu, et
non pour commander.
Sache que tu es appelé à travailler et à servir et non
à mener une vie tranquille et oisive.
Ici donc, les hommes
sont éprouvés comme l'or
dans la fournaise. Ici, nul ne peut demeurer s'il ne
veut s'humilier jusqu'au plus profond de son cœur
au service de Dieu.
Chapitre
18
LES EXEMPLES DES SAINTS
1.
Considère les exemples vivants des saints, par
qui se manifestaient la vraie perfection, la vraie vie religieuse,
et tu verras de quel néant est faite notre existence.
Qu'est-ce que notre vie comparée à la leur?
Les saints et les amis de Jésus Christ ont servi Dieu
dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité, dans
le travail et la fatigue, dans les veilles et les jeûnes,
dans les prières et les méditations, à travers une infinité
de persécutions et de tourments.
2. Oh! quels obstacles ont rencontrés les
apôtres,
les martyrs, les confesseurs, les vierges et tous ceux
qui ont voulu suivre les traces de Jésus Christ ! Ils ont
haï leur âme en ce monde pour la posséder dans la vie
éternelle (Jean 12,25).
Quelle vie de renoncement et d'austérité que celle
des saints Pères du désert ! Que de cruelles tentations
ils ont dû repousser! Quelle ardeur dans leurs prières
à Dieu! Quelle rigueur dans le jeûne, quel zèle pour
leur progrès spirituel, quelle lutte incessante pour
vaincre leurs défauts, quelles intentions pures et droites
toujours dirigées vers le Seigneur!
Ils travaillaient pendant le jour et passaient la nuit
en prières, et même durant le travail, ils ne cessaient
pas de prier dans le fond de leur cœur.
3. Tout leur temps trouvait un emploi utile. Les
heures qu'ils donnaient à Dieu leur semblaient courtes,
et la douceur de la contemplation leur faisait oublier
le besoin même de se nourrir.
Ils avaient renoncé aux richesses, aux dignités, aux
honneurs, à leurs amis, à leurs parents; ils ne voulaient
rien posséder en ce monde; ils prenaient à
peine ce qui était nécessaire pour la vie. Donner à
leur corps les soins indispensables était pour eux une
affliction.
Ils étaient pauvres de biens terrestres, mais riches
en esprit. En apparence, ils étaient dénués de tout,
mais Dieu leur accordait le réconfort de sa grâce.
4. Etrangers au monde, ils étaient les amis et les
familiers de Dieu. Indignes à leurs propres yeux et
méprisés aux yeux du monde, ils étaient chers et précieux
aux yeux de Dieu.
Ils vivaient dans une sincère humilité, dans l'obéissance,
la charité et la patience. Chaque jour, ils progressaient
sur le chemin de la perfection spirituelle et
recevaient de Dieu seul leur récompense.
Les saints ont été donnés en exemple à tous les religieux;
ils doivent nous porter à l'avancement plus
que la multitude des tièdes ne nous porte au relâchement.
5. Oh! la ferveur de tous les religieux dans les débuts
de leur institution! Quelle ardeur dans leur
prière, quelle émulation dans la vertu, quels respect
et obéissance sous la règle de leur maître!
Les témoignages qui nous restent de leur vie attestent
encore la sainteté et la perfection de ces hommes
qui, par leur lutte généreuse, foulèrent aux pieds
l'orgueil du monde.
Aujourd'hui, on compte pour beaucoup qu'un religieux
s'attache à respecter le plus possible la Règle
de son Ordre et qu'il porte patiemment le joug dont il
s'est chargé.
6. Combien
notre âme est négligente! Quand la
lassitude et le découragement l'envahissent, elle ne
leur oppose aucune résistance.
Plût à Dieu que devant l'exemple d'hommes
vraiment donnés, tu ne laisses pas s'assoupir en toi le
désir de t'améliorer!
Chapitre
19
LES EXERCICES DU CHRÉTIEN
1.
La vie d'un vrai chrétien doit être une recherche
continue de la vertu, afin qu'il soit intérieurement tel
qu'il paraît devant les hommes. Et même, il doit être
encore plus parfait au-dedans qu'il ne le semble au-dehors, car il est sous le regard de Dieu qui voit tout;
ce Dieu que nous devons révérer profondément et
supplier de nous accompagner sur notre route.
Chaque jour, nous prendrons de nouvelles résolutions,
comme si notre conversion commençait à l'instant
même, et nous répéterons: "Seigneur mon Dieu,
aide-moi dans ma ferme résolution de te servir; donne-moi la grâce de bien commencer maintenant,
car ce que j'ai fait jusqu'ici n'est rien."
2. La fermeté
de nos résolutions est la condition de notre progrès, et
celui qui veut avancer beaucoup doit
y mettre tout son cœur. En effet, si les résolutions les
plus fortes n'empêchent pas de succomber, qu'adviendra-t-il
de celui qui n'aura pris que de faibles déterminations?
Comment se fait-il que nous désertons si vite nos
bons propos? La plus légère omission de nos exercices
ne va pas sans dommage.
Les justes comptent bien plus sur la grâce de Dieu
que sur leur propre volonté pour voir aboutir leurs
résolutions; c'est à lui qu'ils confient toutes leurs entreprises,
car l'homme propose, mais Dieu dispose (Prov. 16,9), et personne n'est le maître de sa
destinée (Jér. 10,23).
3. Si nous omettons parfois un exercice de piété
pour quelque motif charitable, nous y remédierons
facilement plus tard. Mais si nous l'omettons sans
cause valable, par ennui ou par négligence, nous
sommes coupables et nous aurons à en supporter les
conséquences.
En nous tenant sur nos gardes, nous commettrons
encore beaucoup de fautes. C'est pourquoi on doit
toujours prendre des résolution précises, surtout
dans les voies qui se sont révélées pour nous les plus
périlleuses.
Il faut veiller aussi bien au comportement de notre
esprit qu'à celui de notre corps, car tous deux sont
des éléments de progrès.
4. Si tu n'es pas capable d'un recueillement continu,
recueille-toi au moins de temps en temps, ne serait-ce qu'une
fois le jour, le matin ou le soir.
Le matin, prends tes résolutions; le soir, examine
ta conduite, ton comportement en paroles, en actions,
en pensées, car tu as peut-être en cela offensé
Dieu et ton prochain plus d'une fois.
Tel un soldat courageux, arme-toi contre les ruses
du démon. Refrène ta gourmandise: tu réprimeras
ainsi plus aisément toute autre convoitise charnelle.
Ne
reste jamais tout à fait inactif, mais lis ou écris,
prie ou médite, travaille à quelque chose d'utile pour
la communauté.
En ce qui concerne les travaux manuels, il convient
de les exécuter avec discernement, car ils ne conviennent
pas à tous sans distinction.
5. Ne te livre pas ostensiblement à des pratiques
qui sortent un peu du domaine courant; efforce-toi
de ne pas négliger des pratiques communautaires
pour d'autres de ton choix; mais, si après avoir accompli
fidèlement et jusqu'au bout les devoirs
prescrits il te reste du temps, tu pourras te consacrer à la
dévotion qui te plaît.
Tout le monde ne saurait suivre les mêmes pratiques: l'une
convient mieux à celui-ci, une autre à
celui-là. On aime même à les faire varier selon les circonstances: il
en est qu'on goûte plus les jours de
fête, et d'autres les jours ordinaires. Les unes nous
sont nécessaires aux temps de la tentation, d'autres
au temps de la paix et du repos; certaines nous plaisent
quand nous sommes tristes, d'autres quand nous
sommes joyeux dans le Seigneur.
6. Aux approches des grandes
fêtes, il faut renouveler
notre piété et implorer avec plus de ferveur le secours
des saints.
Proposons-nous de vivre de
fête en fête, comme si
la prochaine devait être célébrée pour marquer notre
départ de ce monde et notre entrée dans la fête éternelle.
Tâchons donc de nous y préparer avec soin, en
ce temps béni, par une vie plus fervente, par une plus
fidèle observance des Règles, comme si nous allions
bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail.
7. Et si ce jour-là est différé, il faut nous dire que
nous n'étions pas encore bien prêts, ni dignes de cette
gloire qui doit se manifester en nous à son heure, et il
nous reste à redoubler d'efforts pour mieux nous
préparer à ce départ.
Heureux ce serviteur, que
son
maître, en arrivant,
trouvera occupé. Je vous dis en vérité, qu'il l'établira
sur tous ses biens (Luc 12,43-44).
Chapitre
20
AMOUR DE LA SOLITUDE ET DU SILENCE
1.
Cherche à te ménager des entretiens avec toi-même
afin de te rappeler souvent les bienfaits de
Dieu.
Laisse là tout ce qui ne sert qu'à nourrir la curiosité.
Lis des ouvrages édifiants de préférence à ce qui
distrait l'esprit.
Si tu te tiens à l'écart des vains bavardages, si tu
fermes l'oreille aux bruits du monde, tu trouveras assez
de loisirs pour de fructueuses méditations.
Les plus grands saints évitaient, autant que possible,
le commerce des hommes et préféraient servir
Dieu dans le silence.
2. Un philosophe antique a dit:
"Chaque fois
que j'ai été parmi les hommes, j'en suis revenu
moins homme" (Sénèque, ép. 7). C'est l'impression
que nous retirons souvent du contact avec certaines
personnes.
Il est plus facile de se taire tout à fait que de garder
le contrôle de ses paroles, plus facile de rester chez soi
que de bien se conduire au-dehors.
Celui donc qui aspire à la vie intérieure et spirituelle
doit, à l'exemple de Jésus, s'écarter de la foule.
Nul ne peut se montrer sans danger, s'il n'aime à
demeurer caché.
Nul ne peut parler avec mesure, s'il n'aime à se
taire.
Nul n'est bon supérieur qui n'est pas bon inférieur.
Nul ne peut commander sans risque qui n'a pas appris à
bien obéir.
Nul ne peut goûter la vraie joie sans le témoignage
d'une bonne conscience.
3. Cependant, la confiance des saints a toujours
marché de pair avec la crainte de Dieu; quel que fût
l'éclat de leurs vertus et de leurs grâces, ils n'en demeuraient
pas moins humbles et vigilants.
L'assurance des méchants, au contraire,
naît de
l'orgueil et de la présomption et ne peut mener qu'à
une défaite.
Ne te promets jamais de sécurité dans cette vie,
même si tu as la réputation d'un bon religieux ou
d'un solitaire éprouvé.
4. Souvent, les hommes les plus estimés par leurs
semblables ont couru les plus grands dangers pour
avoir eu trop confiance en eux-mêmes. C'est pourquoi,
il nous est utile de n'être pas entièrement délivrés
des tentations et de subir de fréquents assauts;
sinon, nous nous laisserions trop facilement aller à
notre orgueil.
Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies passagères,
si l'on ne se souciait jamais des vanités du monde,
quelle bonne conscience on garderait!
Celui qui débarrasserait
son esprit de toutes vaines
préoccupations pour ne penser qu'à son salut et aux
choses de Dieu, mettant en lui toute son espérance,
celui-là jouirait d'une grande paix et d'un repos parfait.
5. Nul n'est digne de recevoir un secours divin s'il
ne s'est exercé longtemps à la contrition.
Si tu veux trouver la vraie contrition du
cœur, entre
dans ta chambre et fais taire les bruits extérieurs,
car il est écrit: C'est dans votre demeure que vous
éprouverez la contrition (Ps. 4,5).
Dans ta cellule, tu trouveras ce que, le plus souvent,
tu perds au-dehors. Bien gardée, la cellule est douce;
souvent désertée, elle engendre l'ennui. Si tu la gardes
fidèlement dès le début de ta conversion, elle te sera
plus tard une amie très chère et ton réconfort.
6. C'est dans le silence et le calme que l'âme peut
progresser et pénétrer les secrets des saintes Ecritures.
Elle y trouve la source des larmes dont elle se purifie
chaque nuit, et elle devient d'autant plus intime
avec son Créateur qu'elle vit plus éloignée de tous les
bruits du monde.
Le Seigneur viendra à la rencontre de celui qui aura
su renoncer à ses relations, à ses amis.
Il vaut mieux vivre caché et s'occuper de son âme,
que de faire des prodiges pour s'éblouir soi-même.
Sortir peu, éviter de voir et
d'être vu, c'est pour un
religieux chose très louable.
7. Pourquoi désirer obtenir ce qu'il ne t'est pas
permis d'avoir? Le monde passe, et ainsi toute sa
séduction (1 Jean 2,17).
Les désirs des sens
t'entraîneront çà et là, mais
qu'en rapporteras-tu, l'heure passée, sinon un poids
sur la conscience et un grand vide dans le cœur?
Un joyeux départ mène souvent à un triste retour;
ainsi, toute joie des sens commence dans la
douceur, mais finit dans l'amertume et la désolation.
8. Que pourrais-tu voir ailleurs que tu ne vois
déjà là où tu es? Voici le ciel, la terre et tous
les éléments: c'est d'eux que toutes choses sont faites.
Où que tu
ailles, que peux-tu trouver de durable
sous le soleil? Tu essaieras peut-être ainsi d'apaiser
ta faim, mais tu n'y parviendras jamais par ce
moyen. Lève plutôt les yeux vers Dieu et prie pour
tes péchés et tes négligences.
Laisse aux hommes vains les occupations vaines;
pour ta part, ne t'occupe que de ce que Dieu te
commande.
Ferme ta porte et appelle à toi Jésus, ton bien-aimé.
Demeure aussi en sa présence, car jamais tu
ne trouveras une aussi grande paix.
Si tu n'étais pas sorti et si tu n'avais pas entendu
une seule nouvelle, tu serais demeuré dans la paix.
C'est le plaisir que tu prends aux bruits du monde
qui te cause tout ce trouble dans l'âme.
Chapitre
21
LA
CONTRITION
1. Si tu veux faire quelque progrès, garde
en toi la
crainte de Dieu, et ne te conduis pas trop librement;
soumets tes sens à une sévère discipline et ne te livre
jamais à une exubérance déraisonnable.
Prépare ton
cœur à la contrition et tu trouveras la
vraie dévotion. La contrition apporte les richesses
que la dissipation gaspille.
C'est une chose étrange, que l'homme puisse être
une seule fois parfaitement heureux en celle vie en
prenant conscience de son exil et des dangers auxquels est exposée son âme.
2. Notre légèreté et nos défauts nous
empêchent de
ressentir les maux de l'âme, et souvent nous rions
sans souci, alors que nous devrions plutôt pleurer.
Il n'y a de vraie liberté et de joie pure que dans la
crainte de Dieu et la bonne conscience.
Heureux celui qui peut éloigner tout objet de distraction
et se recueillir tout entier dans une parfaite
contrition.
Heureux celui qui sait repousser à temps tout ce qui
peut souiller ou charger sa conscience!
Lutte sans te décourager: une bonne habitude en
chasse une mauvaise.
3. Ne t'occupe ni des affaires des autres ni des causes
des "grands".
Garde toujours les yeux fixés sur
toi-même et corrige-toi
d'abord, avant de vouloir corriger tes amis.
Si tu n'as pas la faveur des hommes, ne t'en attriste
pas, mais que ton chagrin soit de pas avoir la
vie recueillie et vigilante qui conviendrait à un bon
serviteur de Dieu.
Il est souvent plus utile et plus sûr de ne pas recevoir
de réconfort en cette vie, surtout des consolations
sensibles. Mais si nous sommes privés du secours
divin ou si nous ne l'éprouvons que rarement,
c'est notre faute, parce que nous ne recherchons
pas la contrition du cœur et que nous ne rejetons
pas entièrement les vaines satisfactions extérieures.
4. Reconnais que tu es indigne de l'aide divine,
et plutôt digne d'une abondante tribulation.
Quand un homme est pénétré d'une parfaite contrition, toutes
les choses du monde lui paraissent
alors amères et pénibles à supporter.
Un homme juste trouve toujours assez de sujets
d'affiction car, soit qu'il se considère lui-même soit
qu'il pense aux autres, il sait que nul ne vit ici-bas
sans tourments; et plus il se considère attentivement,
plus profonde est sa douleur.
Les motifs de notre tristesse intérieure, ce sont
nos péchés et nos vices. Nous y sommes ensevelis à
tel point que nous sommes rarement capables d'élever
les yeux jusqu'au ciel.
5. Si tu pensais plus souvent à la mort, nul doute
que tu travaillerais plus sérieusement à te corriger.
Et si tu réfléchissais sérieusement aux peines de
l'enfer ou du purgatoire, tu supporterais volontiers
labeur et douleur, et ne redouterais aucune austérité.
Mais parce que ces vérités ne pénètrent pas jusqu'à
notre cœur, et que nous aimons encore ce qui nous
flatte, nous demeurons dans notre paresse.
6. C'est souvent du fait de
notre pauvreté spirituelle
que notre chair misérable se plaint sans raison.
Prie donc humblement le Seigneur de te donner
l'esprit de contrition, et dis avec le prophète: Nourrissez-moi,
Seigneur, du pain des larmes; abreuvez-moi
du calice des pleurs (Ps. 79,6).
Chapitre
22
CONSIDÉRATION DE LA MISÈRE HUMAINE
1.
Où que tu sois et où que tu ailles, tu seras toujours
malheureux si tu ne marches pas vers Dieu.
Pourquoi te troubles-tu lorsque tout n'arrive pas
selon ta volonté, selon ton désir? C'est le sort commun à
tous les hommes.
Personne en ce monde n'est sans souffrance et
douleur, fût-il roi ou pape.
Quel est donc l'homme le plus heureux sur terre?
Celui qui sait endurer sa souffrance pour Dieu.
2. Dans leur pauvreté spirituelle, certains disent:
"Oh! que cet homme-là a une belle vie! Qu'il est riche!
Qu'il est puissant! Quelle situation!" Mais
considère les biens célestes et tu verras que tous ces
avantages temporels ne sont autre chose qu'une
source d'incertitudes, parce qu'on ne les possède jamais
sans crainte ni souci.
Le bonheur de l'homme ne réside pas dans l'abondance
des biens temporels; peu de choses suffisent
d'ailleurs à satisfaire ses besoins en ce domaine.
C'est vraiment une grande misère que notre passage
sur la terre!
Plus on veut avancer dans le domaine spirituel,
plus la vie présente devient pesante, parce qu'on
voit plus clairement combien la nature humaine est
corrompue et aveuglée.
Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler,
être assujetti à toutes les lois de la nature, c'est
vraiment une grande misère et affliction pour un
homme qui voudrait vivre dégagé de ses liens terrestres
et au-dessus de toute faute.
3. L'homme juste porte en ce
monde les nécessités
de son corps comme un poids. Et c'est pourquoi
le prophète supplie d'en
être affranchi, disant: Seigneur,
délivrez-moi de mes nécessités (Ps. 24,17).
Malheur à ceux qui ne connaissent pas leur misère!
Et malheur surtout à ceux qui aiment cette vie périssable!
Car il y en a qui l'embrassent aussi éperdument
que s'ils devaient toujours vivre ici-bas, et ne
s'inquiètent nullement du royaume de Dieu.
4. O insensés et
cœurs incrédules, si profondément
enfoncés dans les choses terrestres qu'ils ne goûtent plus d'autres joies que les charnelles! Les
malheureux, ils sauront amèrement, à la fin, la misère
et le néant de ce qu'ils ont aimé.
Mais les saints, eux, au contraire, et tous les fidèles
amis de Jésus Christ, ne se sont pas arrêtés à
tout ce qui flatte la chair et au succès d'un instant;
tous leurs espoirs, toutes leurs intentions étaient dirigées
vers la conquête des biens éternels. Tous leurs
désirs s'élevaient vers des richesses invisibles et impérissables,
de peur que l'amour trop humain ne les rabaissât
vers la terre.
5. Mon frère, ne te décourage pas dans ton cheminement
spirituel; il ne pourra s'effectuer que très
lentement.
Pourquoi veux-tu remettre au lendemain l'exécution
de tes résolutions? Allons! Commence dès
maintenant et dis-toi: "Voici le moment d'agir, de
combattre, voici le moment de me corriger!"
Quand ça ne va pas et que tu souffres, c'est justement
le temps de méditer ceci:
Il faut passer por le feu et l'eau avant d'entrer
dans le lieu de rafraîchissement (Ps. 65,12).
Si tu ne te fais violence, tu ne triompheras pas du
vice.
Tant que nous sommes liés à ce corps fragile, nous
ne pouvons être sans péché ni vivre sans douleur et
ennui.
Nous aimerions jouir d'un repos exempt de toute
misère; mais en perdant l'innocence par le péché,
nous avons aussi perdu la vraie béatitude.
Il faut donc persévérer dans la patience et attendre
la miséricorde de Dieu, jusqu'à ce que l'iniquité passe
(Ps. 56,2), et que ce qu'il y a de mortel en vous soit
absorbé por la vie (2 Cor. 5,4).
6. Oh! combien l'homme est fragile et toujours
enclin au mal! Aujourd'hui, tu confesses tes péchés,
et demain tu retombes dans les mêmes fautes. Tu te
promets de faire attention et, une heure après, tu
agis comme si tu avais tout oublié.
Ainsi, nous avons dans notre fragilité et notre inconstance
un grand sujet d'humiliation. Comment
pourrions-nous donc garder bonne opinion de nous-mêmes?
En une seconde, par négligence, on peut perdre
un bien acquis par la grâce après de longs efforts.
7. Dans quel état serons-nous à la fin du jour, si
nous nous montrons si lâches dès le matin?
Malheur à nous si nous voulons nous abandonner
au repos avant le temps comme si nous avions déjà
atteint le but, alors qu'on ne peut trouver dans notre
vie une seule trace de sainteté!
Il faudrait
plutôt qu'on se remette à nous former
comme des débutants: peut-être y aurait-il espoir
d'une conversion et d'un plus grand progrès spirituel.
Chapitre
23
LA
MORT
1.
Il en sera vite fait de ton existence ici-bas; tu
n'as qu'à examiner ta condition. Un homme est là
aujourd'hui, demain il n'est plus et il est vite oublié.
O sottise et dureté du
cœur humain, qui ne
pense qu'aux choses présentes et ne prévoit pas les
futures!
Dans toutes tes actions et tes pensées, comporte-toi
comme s'il te fallait mourir aujourd'hui.
Si tu avais bonne conscience, tu craindrais peu la
mort.
Il vaut mieux éviter le péché que fuir la pensée de
la mort.
Si tu n'es pas
prêt maintenant, comment le serais-tu
plus tard? Le lendemain est incertain; et sais-tu
même s'il y aura encore pour toi un lendemain?
2. A quoi sert de vivre longtemps, puisque nous
nous corrigeons si peu? Une longue vie ne mène pas
toujours à la perfection; souvent, elle augmente
même le poids des fautes.
Plût à Dieu que nous eussions bien passé ne
fût-ce
qu'un jour en ce monde!
Certains comptent de nombreuses années depuis
leur conversion, mais leur progrès dans la perfection
est souvent médiocre.
S'il est terrible de mourir, il est
peut-être plus dangereux
de vivre plus longtemps.
Heureux celui qui garde toujours les yeux tournés
vers l'heure de sa mort, et qui chaque jour, se prépare
à mourir.
S'il t'est arrivé de voir quelqu'un mourir, songe
que toi aussi tu prendras le même chemin.
3. Le matin, pense que tu pourrais ne pas atteindre
le soir; la nuit venue, ne sois pas assuré de voir le
matin.
Tiens-toi donc toujours
prêt et vis de telle sorte
que la mort ne te prenne jamais au dépourvu.
Beaucoup d'hommes sont enlevés par une mort soudaine
et imprévue, car le Fils de l'homme viendra à
l'heure où l'on n'y pense pas (Luc 12,40).
Quand viendra cette heure dernière, tu commenceras à
juger tout autrement de ta vie passée, et tu
regretteras amèrement de t'être conduit avec autant
de négligence et de lâcheté.
4. Combien est sage celui qui s'efforce de mener
une vie telle qu'il la souhaitera à l'heure de sa
mort! Car rien ne donnera une si grande confiance
pour une bonne mort que le parfait mépris des vanités
du monde, le désir ardent de progresser dans
la vertu, l'esprit de contrition et d'obéissance, l'abnégation
de soi-même et la constance à souffrir toutes
sortes d'adversités pour l'amour de Jésus Christ.
En bonne santé, tu peux faire beaucoup de bien;
une fois malade, que pourras-tu faire encore? Il est peu d'hommes qui sortent meilleurs d'une maladie;
peu qui se sanctifient par de fréquents pèlerinages.
5. Ne compte ni sur tes amis ni sur tes proches,
et ne remets pas à plus tard le soin de travailler à
ton salut, car les hommes t'oublieront plus vite que
tu ne le penses. Il vaut mieux y pourvoir à temps et
faire de bonnes œuvres que de compter sur le secours
des autres.
Si tu ne penses pas à toi-même maintenant, qui
pensera à toi dans l'avenir?
Maintenant, ton temps est très précieux. Voici le
temps propice! Voici le jour du salut! (2 Cor. 6,2).
Quel dommage pour toi de ne pas utiliser pleinement
le temps qui devrait te servir à mériter la vie
éternelle!
6. Le moment
viendra où tu désireras bénéficier
encore d'un jour ou même d'une heure pour t'amender,
et peut-être cela ne te sera-t-il pas accordé.
Mon ami, quel danger écarté, quelle épouvante
épargnée alors, si tu vis dans la crainte de Dieu et la
pensée de la mort! Vis dès à présent de manière à
avoir à l'heure de ta mort plus de sujets d'espérer que
de crainte.
Apprends maintenant à mourir au monde, afin que
tu commences alors à vivre avec Jésus Christ.
Apprends maintenant à te détacher de tout afin que
tu puisses aller librement à Jésus Christ.
Châtie maintenant ton corps par la pénitence, afin
que tu puisses avoir alors une confiance certaine.
7. O insensé! pourquoi penses-tu vivre si longtemps,
alors que pas un seul de tes jours ne t'est assuré?
Combien s'y sont trompés et ont été arrachés subitement à
ce monde!
Souvent tu entends dire: un tel a été assassiné, un
autre s'est noyé, un autre a été victime d'un accident;
l'un est mort en prenant son repas, un autre durant les
vacances; l'un a péri par le feu, un autre à la guerre,
un autre du fait de la maladie, un autre à la suite d'une
agression; la fin de tous, c'est la mort, et la vie des
hommes passe comme une ombre (Ps. 143,4).
8. Qui, après la mort, se souviendra de toi? Qui
priera pour toi ? Allons, mon ami! efforce-toi maintenant
d'agir le mieux possible, car tu ne sais pas
quand tu mourras, ni ce qui t'attend après la mort.
Amasse des richesses impérissables pendant qu'il
en est encore temps. Ne pense qu'à ton salut et n'aie
souci que des choses de Dieu.
Fais-toi maintenant des amis en priant et imitant les
saints, afin qu'arrivé au terme de cette vie, ils te
reçoivent dans les tabernacles éternels (Luc 16,9).
9. Vis, sur la terre, com me un voyageur et un étranger
que les affaires de ce monde ne concernent pas.
Garde ton
cœur toujours libre et élevé vers Dieu,
parce que tu n'as pas ici-bas de demeure durable
(Hébr. 13,14).
Adresse là-haut, chaque jour, tes prières et supplications,
afin qu'après la mort, ton esprit mérite d'aller à Dieu.
Chapitre
24
JUGEMENT ET PEINES DES PÉCHEURS
1. En toutes choses, considère la fin et l'instant où
tu paraîtras devant le Juge Suprême, à qui rien ne
peut être caché et qui jugera selon la justice.
O
pécheur misérable et insensé! Que vas-tu répondre à
Dieu qui connaît toutes tes fautes, toi qui trembles
quelquefois seulement devant le visage d'un
homme irrité? Pourquoi ne penses-tu donc pas à te
prémunir pour le jour du jugement, où nul ne pourra
excuser ou défendre un autre, mais où chacun sera à
soi-même un fardeau assez lourd?
Maintenant, ton travail peut encore produire des
fruits, ton repentir peut encore être accepté, ta douleur
d'avoir péché peut réparer tes fautes et purifier
ton âme.
2. L'homme patient qui sous le coup de l'injustice
s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa propre
peine, qui prie de bon cœur pour ceux qui l'oppriment
et pardonne leurs fautes, qui est plus enclin à la
compassion qu'à la colère, qui se fait violence à lui-même
et s'efforce de soumettre entièrement la chair
à l'esprit, cet homme-là fait son purgatoire de façon
profonde et salutaire.
Il vaut mieux expier maintenant ses péchés que
d'attendre de les expier dans l'autre monde, car,
vraiment, l'amour désordonné que nous avons pour
la chair nous fait commettre beaucoup de fautes.
3. Plus tu te laisses aller maintenant, et plus tu
flattes la chair, plus sévère sera alors le châtiment,
ayant plus d'aliment pour le feu éternel.
Où l'homme aura le plus péché, là il sera le plus
puni. Là, les paresseux seront percés par des aiguillons
ardents, et les gourmands tourmentés d'une
faim et d'une soif extrêmes; les voluptueux et les impudiques
seront plongés dans une poix brûlante et un
soufre fétide; les envieux, dans leur douleur, hurleront
comme des chiens enragés.
4. Pas de vice qui ne trouve là-bas son propre
tourment. Les orgueilleux seront remplis de confusion,
et les avares réduits à une noire indigence.
Une heure de
châtiment là-bas sera plus terrible à
supporter que cent années ici de la plus dure pénitence.
Ici, quelquefois, nous interrompons nos occupations
pour nous distraire avec des amis: là, nul repos,
nulle consolation pour les damnés.
Prends conscience de tes péchés et aies-en le regret,
afin qu'au jour du jugement, tu puisses partager
la félicité des saints.
Les justes, alors, se dresseront avec une grande
fierté en face de ceux qui les opprimaient et
méprisaient (Sag. 5,1).
Alors se lèvera pour juger Celui qui se soumet maintenant
au jugement des hommes. Alors, l'humble ou
le pauvre en esprit se sentira empli d'une grande confiance,
tandis que l'orgueilleux tremblera d'épouvante.
5. Alors,
on verra que celui qui sut se laisser mépriser
et maltraiter pour Jésus Christ fut sage en ce monde.
Alors, les tourments soufferts avec patience se
changeront en joie, et toute iniquité sera muette (Ps. 106,42).
Alors, les justes seront transportés d'allégresse,
et les pécheurs impénitents accablés de douleur.
Alors, il y aura une grande joie pour le saint et une
grande tristesse pour l'impie; la chair affligée se réjouira
plus que si elle avait toujours été repue de délices.
Le vêtement grossier sera lumière, et ténèbre le vêtement fin. La plus pauvre demeure aura plus de
valeur qu'une riche villa.
Une patience constamment soutenue aura plus de
poids que toute la puissance du monde, et une obéissance
toute simple vaudra mieux aux yeux de Dieu
que toute la prudence du siècle.
6. Une conscience droite et pure donnera plus de
joie qu'un grand savoir. Le mépris des richesses
triomphera de tous les trésors de la terre.
Alors une prière fervente te réjouira plus qu'un repas
délicieux; tu seras plus heureux d'avoir gardé le
silence que d'avoir beaucoup parlé. Les actions saintes
vaudront mieux que les belles paroles; une vie de
peine et de travail rapportera plus que tous les plaisirs
de la terre.
Exerce-toi donc dès à présent à supporter quelques
légères afflictions, afin de te trouver alors à
l'abri de souffrances bien plus grandes.
Si tu ne peux maintenant endurer la moindre des
choses, comment supporteras-tu les tourments éternels?
Si la plus petite douleur te cause tant d'impatience,
qu'en sera-t-il alors des tortures de l'enfer?
Il y a deux joies qui sont tout à fait incompatibles:
goûter les délices de ce monde et régner ensuite
avec Jésus Christ.
7. A quoi te servirait d'avoir vécu jusqu'à
ce jour dans les honneurs et les plaisirs s'il te fallait
mourir à l'instant? Tout n'est que vanité,
hormis l'amour de Dieu et son divin service (Eccl. 1,2).
Celui qui aime Dieu de tout son
cœur ne craint
ni la mort, ni le jugement, ni l'enfer, parce que
l'amour parfait mène sûrement à Dieu. Mais pour
celui qui se complaît encore dans le péché, il n'est
pas surprenant qu'il redoute de comparaître devant
le Seigneur. Cependant, si l'amour de Dieu ne t'a
pas encore détourné du mal, il est bon que tu sois
au moins retenu par la crainte de l'enfer.
Celui qui ne craint pas Dieu ne peut persévérer
longtemps dans le bien; il tombera bientôt dans les
pièges du diable.
Chapitre
25
TRAVAILLER A PERFECTIONNER SA VIE
1.
Reste un serviteur de Dieu, vigilant et attentif,
et pose-toi souvent ces questions: pourquoi ai-je
quitté le siècle? N'est-ce pas afin de vivre pour Dieu
et atteindre à un haut degré de vie spirituelle?
Emplis-toi donc du désir de te perfectionner, parce
que tu recevras bientôt le prix de ton labeur, et alors,
il n'y aura plus pour toi ni crainte ni souffrance. Un
peu de labeur maintenant, et puis le repos même de
Dieu, une joie immense, une joie sans fin.
Si tu restes fidèle et dévoué à Dieu, il saura te récompenser
fidèlement.
Garde le ferme espoir de parvenir à la gioire, mais
sans te fier trop à toi-même, de peur de tomber dans
la présomption ou dans la paresse.
2. Un homme vivait dans l'anxiété, sans cesse partagé
entre la crainte et l'espérance. Un jour, accablé
de tristesse, il entra dans une église et là, prosterné devant
l'autel, il disait et redisait en lui-même: "Oh! si
j'étais sûr de persévérer!" Aussitôt, il entendit intérieurement
cette réponse divine: "Si tu le savais, que
ferais-tu? Agis maintenant comme tu agirais alors et
tu retrouveras la paix." Rasséréné à l'instant même et
réconforté, il s'abandonna à la volonté de Dieu, et
son angoisse cessa. Il ne chercha plus à connaître son
avenir, mais s'appliqua à discerner la volonté et le
bon plaisir de Dieu, afin de mener à bien toutes les œuvres justes et bonnes qu'il entreprenait.
3.
Compte sur la grâce de Dieu et agis bien, dit
le prophète; habite la terre et vis tranquille; place en
Dieu toute ta joie, et il comblera les désirs de fon cœur (Ps. 36,3).
Il est une chose qui en empêche beaucoup d'avancer
dans la voie de la conversion et du progrès: c'est
la peur devant l'effort et les difficultés du combat.
Et pourtant, ceux qui luttent courageusement pour
se vaincre en ce qui leur est le plus pénible, parce que
le plus contraire à leurs penchants, sont les plus dignes
d'admiration. Car l'homme mérite d'autant
plus de grâces qu'il se surmonte lui-même et se mortifie
davantage.
4. Il est vrai que tous n'ont pas un égal combat à
soutenir pour se vaincre et mourir à eux-mêmes; cependant,
un homme plein de passions, mais doué
d'une grande volonté, fera plus de progrès qu'un
homme qui a moins à lutter mais est moins ardent
pour la vertu.
Il y a deux buts essentiels à atteindre: s'arracher aux
inclinations mauvaises de la nature, et travailler ardemment à
acquérir la vertu qui nous manque le plus.
Tâche aussi d'éviter de commettre ces mêmes fautes
qui te déplaisent chez les autres.
5. Saisis toutes les occasions
pour te fortifier dans
la vertu. Ainsi, tâche d'imiter tous les bons exemples
que tu pourras voir ou qu'on te rapportera.
Si tu aperçois quelque chose de répréhensible,
prends garde de tomber dans le même piège, et si jamais
cela t'arrive, tâche de te corriger au plus tôt.
Ton
œil observe les autres, mais les autres aussi te
jugent.
Qu'il est bon et réconfortant de voir des religieux
pieux et fervents, observant fidèlement la Règle!
Mais comme on s'attriste devant ceux qui ne suivent
pas la voie que Dieu avait tracée devant eux!
Qu'il est nuisible de négliger les devoirs de sa vocation
pour prendre goût à des choses dont on n'est pas
chargé!
6. Souviens-toi de ce que tu as promis et garde
toujours devant les yeux l'image de Jésus crucifié.
Si tu considères la vie de Jésus Christ, tu y verras
matière à rougir de toi-même d'avoir fait jusqu'ici
si peu d'efforts pour y conformer la tienne.
Un religieux qui médite sérieusement la vie et la
Passion du Seigneur y puisera en abondance tout ce
qui lui est utile et nécessaire, et il n'a pas besoin de
chercher hors de Jésus quelque chose de meilleur.
Oh! si Jésus crucifié entrait dans
notre cœur,
comme nous serions vite instruits!
7. Un religieux fervent comprend le sens de ce
qu'on lui ordonne et s'y soumet sans peine. Le religieux
tiède ne rencontrera qu'adversité et amertume
de toutes parts, parce qu'il est privé du réconfort intérieur
et que le réconfort extérieur lui est interdit.
Un religieux qui vit en marge de la discipline s'expose à
un grand danger. Celui qui recherche une vie
plus libre et moins austère connaît une inquiétude!
perpétuelle, car il trouve sans cesse des sujets d'incertitude
sur son chemin.
8. Quelle est l'existence de tant d'autres religieux
qui observent la sévère discipline du cloître? Ils sortent
rarement, ils vivent retirés, ils ont une table frugale,
un vêtement grossier, ils travaillent beaucoup,
parlent peu, veillent tard, se lèvent tôt, font de longues
prières, de fréquentes lectures et observent en
tout une obéissance parfaite.
Regarde les Chartreux, les Cisterciens, les religieux
et les religieuses de différents Ordres: ils se lèvent
chaque nuit pour chanter la gioire du Seigneur. Ne
serait-ce donc pas une honte que tu te montres paresseux
dans une tâche si sainte, à l'heure même où tant
de religieux célèbrent Dieu dans la joie?
9. Oh! si nous n'avions d'autre
tâche à accomplir
que celle de louer Dieu de toutes nos forces, à tout
instant!
Si tu n'éprouvais jamais le besoin de manger, de
boire, de dormir, et si tu pouvais te consacrer uniquement à
l'étude des matières spirituelles, tu serais
alors beaucoup plus heureux que maintenant où tu es
assujetti à ton corps et à toutes ses nécessités.
Oh! si elles n'existaient pas, ces nécessités, mais
seule la nourriture spirituelle que nous goûtons si rarement!
10. Quand un homme est arrivé au point de ne rechercher
de réconfort auprès d'aucune créature humaine,
alors Dieu commence à devenir pour lui une
nourriture délicieuse dont il continuera à se rassasier,
quoi qu'il arrive.
Il ne se laissera emporter
ni par l'élan d'un grand
bonheur ni par l'accablement d'une petite peine; il
s'abandonnera tout entier, avec une pleine confiance, à Dieu,
qui lui est tout en toutes choses, et en qui
rien ne périt.
11. Souviens-toi toujours que tu es mortel et que
le temps perdu ne revient plus. Les vertus ne s'acquièrent
qu'avec beaucoup de patience et d'efforts constants.
Si tu commences à tiédir, tu commences à devenir
malheureux. Mais si tu persévères dans la ferveur, tu
trouveras une grande paix; la grâce de Dieu et ton
amour de la vertu rendront ton fardeau léger.
L'homme diligent et charitable est toujours
prêt à
toute œuvre bonne.
Il y a plus de labeur à résister aux vices et aux passions
qu'à peiner dans les travaux corporels.
Celui qui n'évite pus les petites fautes tombera peu
à peu dans les plus grandes (Eccli. 19,1).
Tu te sentiras plein de bonheur le soir si tu as bien
employé ta journée.
Veille sur toi-même, ne laisse pas ton zèle s'éteindre
et, quelle que soit la conduite des autres, ne néglige
pas la tienne.
Tu accompliras des progrès dans la mesure où tu te
feras violence à toi-même. Amen.
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