Le Saint Rosaire
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Livre Deuxième

EXHORTATIONS A LA VIE INTÉRIEURE

Chapitre 1

LA CONVERSION INTÉRIEURE

1. Le royaume de Dieu est en vous-mêmes, dit le Seigneur (Luc 17,21).
Reviens à Dieu de tout ton cœur, laisse là ce monde misérable, et ton âme trouvera la paix. Apprends à te détacher des choses extérieures et à rechercher les choses spirituelles; ainsi, tu auras accès au royaume de Dieu, car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit Saint (Rom. 14,17). Il n'est pas donné aux hommes pervers.

Le Christ viendra à toi et t'apportera joie et réconfort si tu lui prépares à l'intérieur de ton âme une demeure digne de lui. Toute sa gloire et toute sa beauté sont intérieures (Ps. 44,14), et c'est là qu'il se complaît.
Jésus vient souvent visiter le cœur de l'homme intérieur à qui il prodigue la douceur de sa parole et l'immensité de ses bienfaits.

2. Ne perds pas courage! Prépare à cet Epoux ton cœur, afin qu'il daigne venir et y demeurer. Car il a dit: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure (Jean 14,23). Qu'il n'y ait donc place dans ta vie que pour le Christ.
Quand tu posséderas l'intimité de Jésus, tu seras suffisamment riche, de sorte que tu n'auras plus besoin de rien attendre des hommes. Car les hommes changent vite et nous manquent tout d'un coup, mais Jésus Christ continue d'exister éternellement (Jean 12,34), et reste notre soutien inébranlable jusqu'à la fin.

3. N'accorde pas ta confiance d'une manière trop absolue à un homme fragile et mortel, même si tu l'aimes et s'il te rend des services; et ne t'attriste pas s'il te cause des déceptions.
Ceux qui sont avec toi aujourd'hui peuvent être demain contre toi, et vice versa; comme le vent qui tourne, les hommes changent.
Abandonne-toi à Dieu, et qu'il soit ta crainte et ton amour. Il répondra pour toi et il fera ce qui est le mieux.
Tu n'as pas ici-bas de demeure durable (Hébr. 13,14). Où que tu sois, tu n'es qu'un hôte, un passant, et tu n'auras jamais de paix si tu n'es pas intimement uni à Jésus Christ.

4. Que cherches-tu autour de toi? Le lieu de ton repos n'est pas ici-bas. Ta demeure est au ciel, et rien sur cette terre ne t'appartient.
Tout passe, et tu passeras avec tout ce qui t'entoure. Prends donc garde de t'attacher à quoi que ce soit, car tu serais pris et perdu.
Que ta pensée se tourne sans cesse vers le Très-Haut, et que ta prière s'élève vers Jésus Christ.
Si tu ne sais pas méditer la profondeur des mystères célestes, repose-toi dans la Passion du Christ, et aime à te cacher dans ses plaies sacrées. Car, si tu te réfugies dans les plaies et les stigmates de Jésus, tu éprouveras un grand réconfort dans la tribulation: tu ne craindras pas le mépris des hommes, et tu supporteras aisément leurs critiques.

5. Jésus Christ, en ce monde, a été méprisé par les hommes et, dans l'angoisse la plus extrême, abandonné par ses amis et de ses proches, et livré à l'opprobre général.
Jésus Christ a voulu souffrir et être méprisé: et toi, tu oses te plaindre de la moindre contrariété?
Jésus Christ a eu des ennemis et des détracteurs: et toi, tu voudrais n'avoir que des amis et des bienfaiteurs?
Comment ta patience pourrait-elle mériter d'être récompensée si tu n'as jamais eu à l'exercer? Si tu ne veux souffrir aucune contradiction, comment pourrais-tu devenir l'ami de Jésus Christ?
Si tu veux régner avec le Christ, vis avec le Christ et pour le Christ.

6. Si tu étais parvenu une seule fois à pénétrer dans le cœur de Jésus, et si tu avais ressenti son amour ardent, tu ne te préoccuperais plus de ce qui peut te plaire ou te déplaire; tu te réjouirais plutôt d'un outrage reçu, car l'amour de Jésus fait que l'homme se méprise.
Celui qui aime Jésus et la vérité et qui a réussi à se dégager de toute affection déréglée peut librement s'approcher de Dieu, s'élever en esprit au-dessus de sa condition présente, et goûter dans le Christ un bonheur éternel.

7. Celui qui juge toutes choses d'après ce qu'elles valent vraiment et non d'après les paroles et l'opinion des hommes, celui-là est vraiment sage et instruit par Dieu.
A celui qui mène une vie intérieure et qui s'inquiète peu des événements du dehors, tous les lieux et tous les temps sont bons pour remplir ses exercices de piété.
Un homme pieux se recueille facilement parce que son attention ne se laisse jamais complètement détourner par le travail qu'il accomplit; une occupation imprévue ne lui est pas un obstacle: il se prête aux choses comme elles arrivent.
Celui qui possède un esprit recueilli et bien discipliné ne se préoccupe guère des faits sensationnels ni des scandales du jour.
L'homme éprouve d'autant plus de distractions et d'obstacles qu'il se les crée lui-même.

8. Si tu étais conséquent avec les engagements de ton baptême, tout contribuerait à ton bien et à ton progrès spirituel. Mais si beaucoup de choses te déplaisent et souvent te troublent, c'est que tu n'es pas encore tout à fait mort à toi-même et détaché des biens de la terre.
Rien ne souille et n'enveloppe autant le cœur de l'homme que l'amour égoïste des créatures.
Si tu renonces au réconfort extérieur, tu pourras contempler les choses divines et goûter souvent la joie intérieure.

Chapitre 2

S'ABANDONNER A DIEU EN ESPRIT D'HUMILITÉ

1. Peu importe de savoir qui est avec toi ou contre toi; prends plutôt soin que Dieu soit avec toi dans toutes tes pensées et tes actions. Garde la conscience pure, et Dieu te défendra.
Celui que Dieu veut protéger, nulle perversité ne peut l'atteindre.
Si tu sais te taire et souffrir, tu recevras le secours de Dieu. Il connaît le temps et la façon de te délivrer; abandonne-toi donc à lui. C'est à lui de t'aider et te libérer de toute confusion.
Il est souvent très utile, pour nous maintenir dans une plus grande humilité, que les autres connaissent nos défauts et qu'ils nous les reprochent.

2. Quand un homme reconnaît humblement ses défauts, il désarme aisément ses ennemis et gagne sans peine ceux qui lui en voulaient.
Dieu protège l'homme au cœur humble: il l'aime et le réconforte, il se penche vers lui, le comble de sa grâce et le fait enfin participer à sa gloire. C'est à lui qu'il révèle ses secrets; il l'invite et l'attire à lui avec douceur.
Les affronts ne troublent pas la paix de l'homme humble, parce qu'il s'appuie sur Dieu et non sur des êtres mortels.
Ne t'imagine pas avoir accompli quelque progrès si tu te crois encore supérieur à ton prochain.

Chapitre 3

L'HOMME BON ET PACIFIQUE

1. Garde toujours ton calme et tu pourras ainsi apaiser les autres. Un homme pacifique est plus utile qu'un homme instruit. Un homme passionné croit facilement au mal et tourne en mal le bien lui-même; l'homme pacifique et bon, au contraire, sait reconnaître ce qui est bien.
Celui qui vit en paix ne se défie de personne, mais celui qui est mécontent et ombrageux est tourmenté de soupçons: il ne se sent jamais tranquille et ne laisse pas non plus les autres en repos. Il laisse souvent échapper des paroles malencontreuses et néglige ce qu'il a à faire. Il est attentif aux devoirs d'autrui et il ne s'acquitte pas de ses propres obbligations.
Sois donc zélé pour toi-même avant de l'être pour les autres.

2. Tu sais bien excuser et justifier tes actions, alors que tu ne veux pas entendre les excuses des autres.
Si tu veux qu'on te supporte, commence par te montrer tolérant.
Vois combien tu es loin encore de la vraie charité et de l'humilité qui ne s'irrite jamais et ne s'indigne que contre elle-même!

Ce n'est pas difficile d'être en bons termes avec des personnes qui ont bon caractère, car cela plaît naturellement à tous; chacun aime la paix et s'attache à ceux qui partagent ses sentiments. Mais entretenir toujours de bons rapports avec ceux qui sont durs, méchants, indisciplinés ou qui nous contrarient, c'est une grande grâce et une vertu digne de louange.

3. Il y a des hommes qui sont en paix avec eux-mêmes et en paix avec les autres; et il y en a qui ne portent pas la paix en eux-mêmes, et qui de plus troublent celle d'autrui: ils sont à charge à tout le monde. Il y en a enfin qui savent rester dans la voie de la paix et qui, en outre, s'efforcent d'y conduire les autres.
Cependant, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus à nous exercer à une longue patience qu'à chercher à éviter les contrariétés.
Qui sait souffrir jouira d'une grande paix: celui-là est son propre vainqueur; il est le vainqueur du monde, l'ami de Jésus Christ et l'héritier du ciel.

Chapitre 4

CŒUR PUR ET INTENTION DROITE

1. Deux ailes soulèvent l'homme au-dessus des choses terrestres: la simplicité et la pureté.
La simplicité doit être dans l'intention, la pureté, dans l'affection. La simplicité monte vers Dieu comme un parfum agréable; la pureté l'atteint et lui plaît.
Nulle bonne œuvre ne te sera difficile si ton cœur est libre de toute affection déréglée.

Si tu ne veux et ne cherches que le bon plaisir de Dieu et le bien du prochain, tu jouiras de la liberté intérieure.
Si ton cœur était droit, toute créature serait pour toi un miroir de vie, un livre de saints enseignements.

Il n'est pas de créature si petite et si insignifiante qui ne soit l'image de la bonté de Dieu.

2. Si ton cœur était bon et pur, tu verrais et comprendrais tout sans peine.
Un cœur pur pénètre le ciel et l'enfer, c'est-à-dire qu'il discerne le bien et le mal.

Chacun juge des choses extérieures selon les sentiments qui emplissent son âme à ce moment-là.
S'il est quelque joie dans le monde, le cœur pur la possède. Et s'il y a de l'affliction, de l'angoisse, c'est d'abord les mauvaises consciences qui les connaissent.
Comme le fer, mis au feu, perd sa rouille et devient incandescent, ainsi l'homme qui se donne à Dieu sans réserve se trouve dépouillé de sa faiblesse et devient un homme nouveau.

3. Quand un homme perd sa ferveur, il en vient alors à redouter le moindre effort et cherche avidement les consolations extérieures. Mais lorsqu'il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec courage dans la voie qui mène à Dieu, ce qui lui paraissait lourd lui semble désormais léger.

Chapitre 5

QUI SOMMES-NOUS?

1. Il ne faut pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la grâce nous fait défaut, ainsi que le jugement droit.
Nous ne possédons en nous qu'une parcelle de lumière, et encore notre négligence nous la fait perdre facilement. Parfois, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles. Nous agissons mal et nous donnons les pires excuses. Nous sommes fréquemment mus par la passion, et nous essayons de faire passer cela pour du zèle.
Nous relevons de petites fautes chez les autres, et nous nous en permettons de plus grandes.
Nous sommes prompts à déceler et à condamner les travers d'autrui, mais nous ne prenons pas garde à ce que nous leur faisons supporter.
Celui qui se jugerait équitablement lui-même n'aurait plus le courage de juger sévèrement les autres.

2. Un chrétien prend soin de sa propre vie avant toute chose, et celui qui se surveille attentivement se garde bien ensuite de critiquer la conduite des autres.
Tu ne seras jamais un homme vraiment intérieur si tu ne t'efforces pas de te taire au sujet de ton prochain pour t'occuper principalement de toi-même.
Si tu avais comme seules préoccupations Dieu et toi-même tu serais peu touché par les événements extérieurs.
Où es-tu quand tu n'es pas présent à toi-même? Et même si tu avais parcouru tous les coins de la terre, que t'en resterait-il si tu as négligé le soin de ton âme?
Si tu veux posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il faut laisser là tout le superflu et ne penser qu'à ton salut.

3. Grand profit pour toi si tu te dégages de tout souci temporel; grand dommage si tu en gardes un seul.
Qu'il n'existe à tes yeux rien de grand, d'élevé, de doux ou d'aimable en dehors de Dieu seul ou de ce qui vient de Dieu.
Regarde comme pure vanité toutes les satisfactions que peuvent t'apporter les créatures humaines.
Celui qui aime Dieu compte pour peu de chose tout ce qui est au-dessous de Dieu, car Dieu seul, éternel, immense, qui comble tout, est le réconfort de l'âme et la vraie joie du cœur.

Chapitre 6

JOIE D'UNE BONNE CONSCIENCE

1. La fierté d'un homme est le témoignage d'une bonne conscience (2 Cor. 1,12). Garde une bonne conscience et tu vivras toujours joyeux.
Une bonne conscience peut supporter beaucoup de choses; elle reste sereine au milieu même de l'adversité. La mauvaise conscience, au contraire, est toujours inquiète et troublée. Ton repos sera tranquille si ton cœur ne te reproche rien.
N'aie d'autre joie que celle d'avoir bien fait.
Les méchants ne connaîtront jamais la véritable joie; ils ne posséderont pas la paix intérieure, car il n'y a pas de paix pour les impies (Is. 57,21).
Et s'ils disent: Nous sommes en paix; les malheurs ne viendront pas sur nous, et qui oserait nous nuire? (Jér. 5,12) ne les crois pas, car la colère de Dieu se lèvera soudain et réduira à néant leurs œuvres et leurs pensées.

2. Se réjouir jusque dans ses souffrances n'est pas chose difficile pour celui qui aime, car se réjouir ainsi, c'est se réjouir dans la croix de Jésus Christ (Rom. 5,3; Gal. 6,14).
Elle est si brève, la félicité que donnent ou reçoivent les hommes! Et la tristesse accompagne toujours la joie du monde.
Le bonheur des justes est dans leur conscience et ne dépend pas de l'humeur des hommes. Il vient de Dieu et vit en Dieu; il jaillit de la vérité.
Celui qui désire une joie véritable et éternelle dédaigne la gloire temporelle; et celui qui cherche une gloire temporelle ou ne la méprise pas aime peu la gloire céleste.
Celui qui n'est ému ni par les louanges ni par les blâmes jouit d'une grande tranquillité de cœur.

3. Il sera facilement calme et heureux, celui dont la conscience est pure.
Tu ne deviendras pas plus saint parce qu'on te louera, ni plus vil parce qu'on te blâmera. Tu resteras ce que tu es; tout ce qu'on pourra dire de toi ne te fera pas paraître plus grand aux yeux de Dieu. Si tu prêtes seulement attention à ce que tu es véritablement, tu t'inquiéteras peu de l'opinion des hommes à ton sujet.
L'homme voit la face, mais Dieu voit le cœur (1 Samuel 16,7).
L'homme considère les actions, mais Dieu pèse les intentions.
Faire toujours le bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme humble.
Ne chercher de réconfort auprès d'aucun être humain, c'est la marque d'une grande pureté et d'une grande confiance intérieure.

4. Celui qui n'attend aucun témoignage extérieur en sa faveur prouve par là qu'il s'en remet entièrement à Dieu.
Ce n'est pas celui qui se loue lui-même qui est approuvé, écrit saint Paul, mais celui que Dieu loue (2 Cor. 10,18).
Vivre toujours en présence de Dieu et être libre par rapport au monde, telle devrait être la conduite d'un bon chrétien.

Chapitre 7

AIMER JÉSUS CHRIST PAR-DESSUS TOUT

1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer le Christ et de s'oublier soi-même pour Jésus.
Il faut que l'amour de Jésus nous détache de tout autre amour, parce que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses.
L'amour humain est décevant et passager; l'amour de Jésus est fidèle et durable.
Celui qui s'attache aux hommes disparaîtra avec eux; celui qui s'attache à Jésus vivra éternellement avec lui.
Aime et garde pour ami celui qui ne te quittera pas alors que tous les autres te manqueront, et qui ne te laissera pas périr quand viendra la fin.
Que tu le veuilles ou non, il te faudra un jour te détacher de tous tes liens humains.

2. Tout au long de ta vie, tiens-toi donc près de Jésus; confie-toi à la fidélité de celui qui seul peut t'aider lorsque tout te fera défaut.
Ton bien-aimé est tel qu'il ne veut pas de rival; il veut être seul à posséder ton cœur et à y régner comme un roi sur le trône qui lui appartient.

Si tu savais te dégager de toutes les affections terrestres, Jésus se plairait à demeurer chez toi. Tu verras que tous les espoirs que tu auras fondés sur les hommes et non sur Jésus seront presque toujours déçus.
Ne t'appuie pas à un roseau qu'agite le vent, car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe comme la fleur des champs (Is. 40,6).

3. Tu seras vite détrompé si tu juges les hommes d'après leur apparence.
Si tu cherches dans les autres soutien et profit, tu n'en retireras le plus souvent qu'une perte.

Si tu cherches Jésus en tout, tu le trouveras certainement; si tu cherches d'abòrd ton plaisir tu le trouveras aussi, mais pour ton propre malheur. Car l'homme qui ne cherche pas Jésus se fait plus de mal que ne pourraient lui en faire tous ses ennemis et le monde entier.

Chapitre 8

L'AMITIÉ DE JÉSUS

1. Quand Jésus est présent, tout est beau et rien ne semble difficile; mais quand il n'est pas là, tout paraît triste et ardu.
Quand Jésus reste muet pour certains cœurs, toute aide leur est alors vaine; mais que Jésus dise une seule parole, et voilà qu'ils se sentent remplis d'une grande allégresse.
Marie-Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitôt de l'endroit où elle restait assise à pleurer, lorsque Marthe lui dit: Le Maître est là: Il t'appelle? (Jean 11,28).
Heureux moment où Jésus nous fait passer des larmes à la joie de l'esprit!
Que tu es insensible et aride sans Jésus! Que tu es naïf et vain si tu désires quelque chose en dehors de Jésus Christ!

2. Que peut te donner le monde sans Jésus? Vivre sans Jésus, c'est un insupportable enfer; être avec Jésus, c'est un paradis délicieux. Si Jésus reste à tes côtés, aucun ennemi ne peut te nuire.
Celui qui trouve Jésus trouve un vrai trésor, un bien inappréciable. Celui qui perd Jésus perd beaucoup plus que s'il perdait le monde entier.
Très pauvre celui qui vit sans Jésus; très riche, au contraire, celui qui demeure avec lui.

3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jésus, et une grande sagesse que de savoir le garder.
Sois humble et pacifique et Jésus ne te quittera pas.
Sois fidèle et patient et Jésus ne t'abandonnera pas.
Tu auras vite fait d'éloigner Jésus et de perdre sa grâce si tu te soucies des vanités du monde. Et quand tu auras perdu Jésus, vers quel autre ami te dirigeras-tu?
Sans ami, tu ne saurais vivre heureux, et si Jésus n'est pas le premier de tes amis, tu n'éprouveras que tristesse et désolation. Tu te conduirais comme un insensé si tu mettais en quelqu'un d'autre toute ta confiance et toute ta joie.
Il vaudrait mieux avoir contre soi le monde entier que d'encourir la disgrâce de Dieu.
Parmi tous ceux qui te sont chers, que Jésus seul soit ton bien-aimé!

4. Que les autres soient aimés pour Jésus, et Jésus pour lui-même! Lui seul est vraiment l'ami bon et fidèle. C'est en lui et pour lui que tu dois aimer tes amis, aussi bien que tes ennemis; et c'est pour eux tous qu'il te faut prier, afin que tous le connaissent et l'aiment.
Ne désire jamais être loué, être aimé pour toi-même, car cela n'appartient qu'à Dieu, qui n'a pas d'égal.

Ne souhaite jamais occuper toute la place dans le cœur de quelqu'un, et toi non plus, ne te rends captif d'aucune affection humaine; que Jésus te tienne lieu de tout.

5. Reste pur et libre intérieurement, sans aucune attache terrestre. Il faut que tu sois dépouillé de tout et que tu offres à Dieu un cœur pur si tu veux être capable de goûter la douceur du Seigneur. Et tu n'y parviendrais jamais si sa grâce ne t'aidait et ne te stimulait, de sorte qu'après avoir exclu et banni tout le reste, tu sois uni à lui, à lui seul.
Lorsque la grâce de Dieu illumine l'homme, il devient capable d'accomplir n'importe quoi; mais quand elle se retire, alors, pauvre et infirme, il ne semble attirer sur lui que des malheurs.
Cependant, même dans cet état, il ne doit ni se laisser abattre, ni s'abandonner au désespoir; il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu, acceptant de souffrir tous les maux pour l'amour de Jésus Christ, car à l'hiver succède l'été, après la nuit revient le jour, et après la tempête, c'est le grand calme.

Chapitre 9

PRIVATION DE TOUT RÉCONFORT

1. Il n'est pas difficile de mépriser les consolations humaines quand on jouit des secours divins; mais c'est une très grande chose que de se passer tout à la fois de joies sensibles, tant humaines que divines, de supporter pour la gloire de Dieu la solitude du cœur, de faire abstraction de soi-même et de ne tenir aucun compte de ses propres mérites.
Qu'y a-t-il d'étonnant si tu te sens joyeux et fervent quand la grâce te visite? Tous désirent cet heureux moment.
Celui qui est mené par la grâce avance aisément. Et comment sentirait-il son fardeau, puisqu'il est porté par le Tout-Puissant et conduit par le chef suprême?

2. Nous cherchons volontiers quelque soulagement, et un homme se dégage difficilement de lui-même.
Le saint martyr Laurent vainquit le monde, parce qu'il méprisa tout ce que le monde offrait de séduisant, et qu'il accepta, pour l'amour de Jésus Christ, d'être séparé du Souverain Pontife Sixte, qu'il aimait beaucoup. C'est que, par amour pour le Créateur, Laurent avait surmonté en lui l'amour terrestre, et au réconfort qui vient des hommes, il avait préféré le bon plaisir divin.

Toi aussi, apprends à quitter, pour l'amour de Dieu, ton ami le plus cher et le plus intime, et à ne pas te laisser abattre s'il arrive que ton ami t'abandonne! Tu sais bien qu'après tout, il te faudra un jour tout abandonner.

3. Ce n'est pas sans un long et dur combat avec soi-même que l'on arrive à se vaincre pleinement, et à mettre en Dieu toute son affection.
Quand on n'aime que soi-même, on cherche volontiers les satisfactions humaines, mais celui qui a vraiment l'amour de Jésus Christ et le zèle de la vertu ne cède pas à leur attrait et ne cherche pas de telles douceurs sensibles: il aime plutôt l'exercice pénible et les dures épreuves qu'il supporte pour Jésus Christ.

4. Quand Dieu t'accorde son soutien, accueille-le avec gratitude, mais souviens-toi que c'est un don du Seigneur et non la récompense de ton propre mérite. Donc, pas d'orgueil, pas de joie excessive, pas de vaine présomption! Que ce don de Dieu te rende au contraire plus humble, plus prudent et plus réservé dans toutes tes actions.
Si cette aide t'est ôtée, ne te décourage pas aussitôt, mais attends avec humilité et avec patience que Dieu te visite de nouveau, car il peut t'accorder une joie plus grande encore.

Cela n'est ni nouveau ni étrange pour ceux qui ont l'expérience des voies de Dieu; les grands saints et les anciens prophètes ont souvent éprouvé ces vicissitudes.

5. L'un d'eux, sentant la présence de la grâce, s'écriait: Moi, je disais dans mon bonheur: Rien à jamais ne m'ébranlera! Mais, privé de la grâce, il avoua: Tu as détourné de moi ton visage et me voici bouleversé! (Ps. 29,7-8).
Cependant, dans ce trouble, il ne désespéra pas, mais pria le Seigneur avec plus d'insistance, répétant: Je crie vers Toi, Seigneur! Mon Dieu, je demande pitié! (Ps. 29,9).
Enfin, quand il eut recueilli le fruit de sa prière, il témoigna qu'il avait été exaucé: Le Seigneur m'a écouté: Il a eu pitié de moi; le Seigneur s'est fait mon appui. Tu as, dit-il, changé mes pleurs en joie et tu m'as comblé d'allégresse! (Ps. 29,11-12).
Si Dieu agit ainsi avec les grands saints, nous ne devons pas désespérer, nous, faibles et pauvres comme nous le sommes, si quelquefois nous éprouvons de la ferveur, et quelquefois de l'aridité: car l'Esprit de Dieu va et vient comme il lui plaît. Ce qui faisait dire à Job: Tu visites l'homme dès le matin, et aussitôt tu l'éprouves (Job 7,18).

6. En quoi donc espérer et mettre notre confiance, si ce n'est uniquement dans la grande miséricorde de Dieu et dans l'espoir de la grâce céleste?
J'ai beau avoir près de moi des hommes saints, des confrères vertueux et des amis fidèles, lire des livres spirituels et de beaux traités, entendre des chants et des hymnes émouvants: tout est inutile, tout est vain quand, dépourvu de grâce, je reste seul avec ma pauvreté.
Il n'est pas de meilleur remède aux souffrances terrestres qu'une humble patience et un abandon total à la volonté de Dieu.

7. Je n'ai jamais rencontré une personne, si pieuse et si parfaite fût-elle, qui n'ait éprouvé quelquefois cette privation de la grâce, cette diminution de ferveur.
Nul saint, aussi haut se soit-il élevé dans la vertu et la contemplation, n'a été à l'abri des épreuves. Car celui qui n'a pas enduré quelques tentations pour l'amour de Dieu n'est pas digne de pouvoir le contempler.
La tentation annonce d'habitude la visite divine qui doit suivre, car l'aide d'en haut est promise à ceux qui ont été éprouvés. A celui qui vaincra, dit le Seigneur, je donnerai en nourriture de l'arbre de vie (Apoc. 2,7).

8. Le réconfort divin est donné à l'homme pour le fortifier et l'aider à surmonter les épreuves. Et si ensuite vient la tentation, c'est pour qu'il ne s'enorgueillisse pas du privilège reçu.
Le diable ne dort jamais et la chair n'est pas encore soumise; il faut sans cesse nous tenir en éveil, car nous sommes environnés d'ennemis qui ne connaissent pas le repos.

Chapitre 10

RECONNAÎTRE LA GRÂCE DE DIEU

1. Pourquoi cherches-tu le repos, alors que tu es fait pour le travail? Prépare-toi à la souffrance plutôt qu'à l'allégresse, et au fardeau de la croix plutôt qu'à la joie.
Qui, ici-bas, refuserait la douceur des joies spirituelles s'il pouvait en jouir sans cesse? Car elles surpassent toutes les délices du monde et tous les plaisirs charnels.
Les délices mondaines sont vaines ou avilissantes; seules les délices spirituelles sont douces et chastes; elles sont le fruit des vertus et Dieu les répand dans les âmes pures. Mais il n'est donné à personne d'en jouir toujours à son gré, car la tentation ne laisse jamais longtemps en repos.

2. Une fausse liberté d'esprit et une trop grande confiance en nous-mêmes constituent un grand obstacle aux visites de Jésus dans nos âmes.
Dieu, dans sa bonté, a donné à l'homme la joie intérieure, mais l'homme agit mal s'il ne reçoit pas ce don avec reconnaissance.
Si les dons de la grâce ne se répandent pas en abondance sur nous, c'est parce que nous sommes ingrats envers notre bienfaiteur et que nous ne faisons pas tout remonter à la source d'où ils jaillissent.
La grâce est toujours accordée à ceux qui la reçoivent avec reconnaissance, et Dieu ordinairement procure à l'humble ce qu'il ôte à l'orgueilleux.

3. Je ne veux pas d'une faveur insigne, mais qui m'ôterait la componction; je ne veux pas d'une contemplation qui conduit à l'orgueil.
Tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est pas bon; tout ce qu'on désire n'est pas pur; tout ce qu'on aime n'est pas agréable à Dieu.
J'aspire à une grâce qui me rende plus humble, plus recueilli plus apte à renoncer à moi-même.
L'homme instruit par le don de la grâce et qui en a éprouvé la privation n'osera plus s'attribuer quelque mérite; il avouera plutôt sa pauvreté et son indignité.
Rends à Dieu ce qui est à Dieu, et à toi ce qui est à toi; c'est-à-dire: remercie Dieu de t'envoyer sa grâce, en te chargeant toi-même de toutes les fautes et du châtiment qu'elles appellent.

4. Mets-toi toujours à la dernière place (Luc 14,10), et l'on te donnera la première, car pour s'élever, il faut prendre appui sur l'humilité.
Les plus grands saints aux yeux de Dieu sont petits à leurs propres yeux, et plus leur gloire est grande, plus ils sont humbles. Fondés sur Dieu et fixés en lui, ils ne sont pas avides d'une gloire qui vient des hommes. Confiants et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
Ceux qui rapportent à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bon ne vont pas mendier la gloire extérieure et ne veulent recevoir de louanges que de Dieu seul. Leur unique désir est de travailler pour sa plus grande gloire.

5. Montre-toi donc reconnaissant pour le moindre bienfait et tu te rendras ainsi digne d'en recevoir de plus grands. Regarde la plus petite faveur comme la marque d'une extrême indulgence.
Si l'on considère la grandeur du donateur, aucun de ses présents ne peut paraître petit ni insignifiant. Et même si ce sont des peines et des châtiments que Dieu t'envoie, reçois-les encore avec joie, car ils viennent toujours du Seigneur.
Celui qui veut garder la grâce de Dieu doit être reconnaissant lorsqu'elle lui est accordée, patient lorsqu'elle lui est retirée; il doit prier pour la retrouver et rester humble et vigilant pour ne plus la perdre.

Chapitre 11

AIMER LA CROIX DE JÉSUS CHRIST

1. Beaucoup d'hommes désirent entrer dans le royaume céleste de Jésus, mais peu consentent à porter sa croix. Beaucoup souhaitent ses faveurs, mais peu aiment ses souffrances. Tous veulent partager sa joie, mais peu veulent souffrir pour lui. Nombreux sont ceux qui suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais rares ceux qui partagent le calice de la Passion. La plupart des gens aiment Jésus tant qu'ils n'éprouvent aucune adversité; ils le louent et le bénissent tant qu'ils reçoivent de lui quelque secours; mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans un profond désarroi.

2. Ceux qui aiment Jésus pour Jésus, et non pour les dons qu'il leur fait, le bénissent aussi bien dans les tourments et l'angoisse de leur cœur que dans leurs plus grandes joies. Et s'il voulait ne jamais les réconforter, ils n'en resteraient pas moins toujours en état de louange et de gratitude.

3. Oh! que l'amour de Jésus est puissant quand il est pur et sans aucun mélange de recherche de soi ni d'intérèt!
Ne sont-ils pas des mercenaires, ceux qui cherchent toujours à recevoir? Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mêmes plus que Jésus Christ, ceux qui ne pensent qu'à leurs avantages et à leur plaisir? Où trouver un homme qui serve Dieu gratuitement?

4. On rencontre rarement quelqu'un d'assez avancé dans les voies spirituelles pour être dépouillé de tout. En effet, où trouver le véritable pauvre en esprit, libéré de toute attache humaine? Il faut le chercher bien loin et jusqu'aux extrémités de la terre (Prov. 31,10). Si un homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien (Cant. 8,7). S'il fait régulièrement pénitence, c'est peu encore. Si sa vertu est grande et sa piété fervente, il lui manque encore une chose absolument nécessaire: renoncer à lui-même et se dépouiller entièrement de tout amour propre; enfin, une fois cela accompli, penser que c'est encore peu de chose aux yeux de Dieu.

5. L'homme spirituel doit faire peu de cas de l'estime qu'on pourrait lui porter, mais s'avouer en toute sincérité un pauvre serviteur, selon la parole de la Vérité: Quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites: Nous sommes de pauvres serviteurs; nous n'avons fait que ce que nous devions (Luc 17,10) Alors, celui qui pourra dire avec le prophète: Oui, je suis seul et je n'ai plus rien en ce monde (Ps. 24,16) sera vraiment pauvre et détaché de tout en esprit.
Et cependant, nul n'est plus riche, plus puissant, plus libre que celui qui a su tout quitter pour occuper la dernière place.

Chapitre 12

LE CHEMIN DE LA CROIX EST SOURCE DE VIE

1. Renonce à toi-même, prends ta croix et suis Jésus (Luc 9,23). Ce langage peut sembler dur à certains, mais il sera bien plus dur d'entendre, au dernier jour, cette parole: Retirez-vous de moi, maudits! Allez au feu éternel! (Mt. 25,41). Ceux qui maintenant répondent à l'invitation de la croix n'auront pas à craindre alors l'arrêt d'une condamnation éternelle.
Le signe de la croix apparaîtra dans le ciel lorsque le Seigneur viendra pour juger (Mt. 24,30). Alors, les disciples de la croix qui auront imité pendant leur vie Jésus crucifié s'approcheront du Juge suprême avec une grande confiance.

2. Pourquoi donc refuses-tu de porter la croix, puisqu'elle donne accès au Royaume des cieux?
Dans la croix est le salut, dans la croix la vie, dans la croix la protection contre les ennemis, dans la croix la source du bonheur éternel, dans la croix la joie de l'esprit, la perfection des vertus, le couronnement de la sainteté.
Il n'existe pas de salut pour l'âme ni d'espérance pour la vie éternelle en dehors de la croix.
Porte donc ta croix et suis Jésus, et tu parviendras à la vie éternelle. il t'a précédé en portant la sienne, et il est mort pour toi afin que tu puisses être sauvé. Car si tu meurs avec lui, tu vivras avec lui (Rom. 6,8), et si tu partages ses peines, tu partageras aussi sa gloire.

3. Ainsi, c'est la croix qui est la véritable source de vie. Il n'y a pas d'autre issue vers le ciel et la véritable paix intérieure que le chemin de la sainte croix et la mortification continuelle.
Va où tu veux, cherche ce que tu veux, et tu ne trouveras pas de chemin plus élevé ni plus sûr que le chemin de la sainte croix.
Tu peux tout disposer et régler selon tes vues: tu rencontreras toujours quelque obstacle sur ta route, et que tu le veuilles ou non, tu feras toujours connaissance avec la croix; car, si ce n'est pas le corps qui souffre, c'est l'âme qui éprouve de l'amertume.

4. Tu seras tantôt délaissé par Dieu, tantôt éprouvé par le prochain et, ce qui est pire, tu deviendras souvent un fardeau pour toi-même. Tu ne trouveras à tes peines aucun remède, aucun soulagement: il te faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra. Et Dieu veut que tu apprennes à souffrir sans être soulagé, à te soumettre à lui sans réserve, et par là, à devenir plus humble.
Nul ne comprend si bien la Passion de Jésus Christ que celui qui a enduré quelque chose de semblable.
La croix est présente en tous lieux, à toutes heures et tu ne peux fuir devant elle, car elle se dressera toujours à côté de toi où que tu ailles. Il faut donc que partout tu prennes patience si tu veux trouver la paix intérieure et mériter la couronne immortelle.

5. Si tu portes ta croix à regret, tu en augmentes le poids, tu rends ton fardeau plus dur, et cependant tu ne peux t'y soustraire. Si tu rejettes une croix, tu en trouveras certainement une autre, et peut-être même plus lourde.

6. Crois-tu pouvoir échapper au sort commun des hommes? Quel saint parvint à traverser cette vie sans croix et sans tourment? Jésus Christ lui-même, Notre Seigneur, n'a pas échappé à la règle et il a dû éprouver la douleur de sa Passion. Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances, qu'il ressuscitât d'entre les morts pour entrer dans sa gloire? (Luc 24,26.46).
Pourquoi voudrais-tu donc chercher un autre chemin que la voie royale tracée par la croix?

7. La vie de Jésus Christ s'est achevée dans un martyre: et toi, tu cherches le repos et la joie? C'est une erreur de chercher à éviter la croix, car toute cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de croix. Souvent même, plus un homme est élevé en perfection spirituelle, plus ses croix sont pesantes, car s'ajoute à sa peine d'ici-bas celle de ne pouvoir rejoindre encore le Christ, seul objet de son désir et de son amour.

8. Cependant, celui que Dieu éprouve par tant de peines n'est pas sans rien qui les adoucisse, parce qu'il sent s'accroître les fruits de sa patience à porter la croix. Et lorsqu'il la porte de bon cœur, elle change tout son poids en douce confiance qui lui redonne courage. Et plus la souffrance afflige la chair, plus la joie intérieure fortifie l'esprit.
Quelquefois même, le désir de souffrir pour être plus conforme à Jésus crucifié lui donne tant d'énergie qu'il ne voudrait pas rester sans souffrance et douleur, car plus il porte pour Dieu de lourds fardeaux, plus il se sent aimé de lui.
Cela n'est pas vertu de l'homme; seule la grâce de Jésus Christ est assez puissante patir transformer une chair fragile au point que ce qu'elle redoute et fuit instinctivement, elle l'embrasse et l'aime du fait de la ferveur de l'esprit.

9. Il n'est pas dans la nature de l'homme d'aimer porter la croix, de châtier son corps, de le réduire en servitude, de fuir les honneurs, d'accepter volontiers les outrages, de se mépriser lui-même et de souhaiter être méprisé, de supporter patiemment les adversités et de ne désirer aucune réussite dans ce monde.
Si tu ne comptes que sur toi-même, tu n'atteindras à rien de tout cela; mais si tu mets ta confiance en Dieu, la force te sera donnée d'en haut, tu auras pouvoir sur la chair et le monde, et si tu es armé par la foi et marqué de la croix de Jésus Christ, tu ne craindras plus ce combat de la vie spirituelle.

10. Dispose-toi donc, comme un bon et fidèle serviteur de Jésus Christ, à porter courageusement la croix de ton maître, crucifié par amour pour toi.
Prépare ton cœur à beaucoup d'adversités en cette misérable vie, car partout où tu seras, elles te trouveront. Il doit en être ainsi. Pour tenir dans les souffrances du mal et de la douleur, il n'y a pas d'autre moyen que de supporter tout courageusement.

Il te faut boire avec joie le calice du Seigneur si tu veux être son ami et avoir part à sa gloire.
Laisse Dieu accorder son aide quand il lui plaira. Quant à toi, accueille les souffrances comme un présent, car les souffrances actuelles ne sont pas à comparer à la gloire future qui doit se manifester en nous (Rom. 8,18).

11. Lorsque tu en seras venti à trouver douce toute souffrance endurée pour Jésus Christ, tu pourras alors t'estimer heureux, parce que tu auras trouvé le paradis sur la terre. Mais tant que la souffrance te fait peur et que tu cherches à la fuir, tu seras malheureux, et ton tourment te suivra partout.

12. Si tu acceptes l'inévitable, qui est de souffrir et de mourir, tout ira mieux, et tu trouveras la paix.
Aurais-tu été ravi, comme saint Paul, jusqu'au troisième ciel, tu n'en serais pas plus assuré contre une nouvelle adversité. En effet, Jésus dit, au sujet du même saint Paul: Je lui montrerai combien il faut qu'il souffre pour mon nom (Act. 9,16).
Il ne te reste donc qu'à souffrir si tu veux aimer Jésus et le servir toujours.

13. Plût à Dieu que tu fusses digne de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus! Quelle gloire t'en reviendrait! et quelle édification pour le prochain!
Tous prêchent la patience, mais peu la pratiquent. Tu devrais accepter certaines peines pour Jésus, en pensant que d'autres en supportent bien davantage pour le monde.

14. Sache que ta vie doit être une mort continuelle, car plus tôt on meurt à soi-même, plus tôt on commence à vivre en Dieu.
Nul n'est capable de comprendre les choses du ciel s'il n'endure l'adversité patir Jésus Christ.
Rien n'est plus agréable à Dieu et rien n'est meilleur pour toi en ce moment que de souffrir avec joie pour Jésus Christ. Et si tu avais à choisir, tu devrais même souhaiter cette souffrance, parce que tu serais alors plus semblable au Christ et à tous les saints. Car le mérite et le progrès vers la perfection ne naissent pas d'une vie de mollesse et de facilité, mais plutôt des épreuves supportées courageusement.

15. S'il existait pour le salut des hommes un moyen meilleur et plus utile que la souffrance, Jésus Christ nous l'aurait certainement enseigné. Or, c'est à porter la croix qu'il a exhorté les disciples qui le suivaient et tous ceux qui désirent le suivre. Il dit: Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renonce lui-même, se charge de sa croix chaque jour et qu'il me suive! (Luc 9,23).
Ainsi, après avoir lu tout cela et l'avoir médité, voici la conclusion: Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu (Act. 14,22).