Livre
Troisième
LE
RÉCONFORT INTÉRIEUR
Chapitre
1
DIALOGUE AVEC LE CHRIST
1.
J'écoute ce que dit en moi le Seigneur mon Dieu
(Ps. 84,9). Heureuse l'âme qui peut converser avec le
Seigneur et qui reçoit de sa bouche une parole de réconfort!
Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir
ce message divin, et qui ne prêtent nulle attention
aux vanités du monde!
Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures,
ne contemplent que les réalités spirituelles!
Heureux ceux qui pénètrent à l'intime de leur cœur
et qui, pour mieux comprendre les secrets divins, se
recueillent chaque jour!
Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu,
et qui se dégagent de tout le reste!
Considère ces choses, ô mon âme, et ferme la porte
aux appels du dehors afin que tu puisses entendre la
voix du Seigneur ton Dieu!
2. Voici ce que dit le Seigneur, ton Bien-Aimé:
C'est moi ton salut, ta paix et ta vie! (Ps. 34,3).
Demeure près de moi et tu trouveras la paix. Laisse là
tout ce qui passe: ne t'attache qu'à ce qui est éternel.
Que sont toutes les choses temporelles, sinon de
vaines séductions ? A quoi te servent tous les hommes
qui t'entourent si tu es abandonné du Créateur? Renonce
donc à tout, et applique-toi à plaire à ton Dieu
et à lui être fidèle, et tu parviendras ainsi à la vraie béatitude.
Chapitre
2
LA VÉRITÉ SE MANIFESTE EN SILENCE
A L'INTÉRIEUR DE NOUS-MÊMES
1.
Parle, Seigneur, ton serviteur écoute! (1 Samuel 3,9).
Je suis ton serviteur, donne-moi l'intelligence
pour comprendre tes vérités (Ps. 118,125).
Fléchis mon cœur vers tes paroles; qu'elles tombent
sur lui comme une rosée (Ps. 118,36).
Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse:
Parle-nous, toi, et nous t'écouterons, mais que Dieu
ne nous parle pas, car alors, c'est la mort! (Ex. 20,19).
Ce n'est pas là, Seigneur, ma prière, mais, avec
le prophète Samuel, je t'implore humblement et ardemment: Parle,
Seigneur, ton serviteur écoute! (1 Samuel 3,9).
Ce n'est pas
Moïse que je veux entendre, ni aucun
des prophètes, mais toi, Seigneur mon Dieu, toi qui
illumines et inspires tous les prophètes. Seul, sans
eux, tu peux pénétrer toute mon âme de ta vérité;
eux, sans toi, ne peuvent rien.
2. Ils prononcent des mots, mais ils ne donnent
pas l'esprit. Leur langage est sublime, mais sans ton
intervention, il n'enflamme pas le cœur. Ils écrivent
des phrases, mais c'est toi qui en fais découvrir le sens. Ils propagent les mystères, mais c'est toi qui en
possèdes la clef. Ils publient tes commandements,
mais c'est toi qui aides à les accomplir.
Les prophètes montrent le chemin, mais c'est toi
qui donnes la force d'avancer. Ils agissent au-dehors,
mais c'est toi qui instruis et éclaires les cœurs. De toi
seul vient la compréhension et jaillit la fécondité.
3. Seigneur mon Dieu, vérité éternelle, penche-toi
vers moi afin que ton amour jette sa clarté sur toutes
choses: je veux accomplir ta parole quand elle me sera
révélée, l'aimer, la vivre intensément et non me
contenter d'y croire passivement.
Parle-moi donc, Seigneur, car ton serviteur écoute;
tu as les paroles de la vie éternelle (1 Samuel 3,9; Jean 6,69).
Parle-moi pour me réconforter dans ma
vie, et aussi pour m'aider à glorifier l'honneur éternel
de ton nom.
Chapitre
3
IL FAUT ÉCOUTER LES PAROLES DE
DIEU
AVEC HUMILITÉ
1.
Ecoute mes paroles, dit le Seigneur; paroles
pleines et qui surpassent toute la science des philosophes
et des sages de ce monde.
Mes paroles sont esprit et vie (Jean 6,63) et l'on
ne doit pas leur donner seulement un sens humain. Il
ne faut pas non plus en tirer une vaine complaisance,
mais les accueillir en silence, les recevoir avec une humilité
profonde et un ardent amour.
2. Et moi je dis: Heureux l'homme que tu as instruit,
Seigneur, et à qui tu enseignes ta loi! Les jours
mauvais lui seront moins pénibles, et il ne sera pas
laissé sans ton aide sur la terre (Ps. 93,12-13).
3. C'est moi, dit le Seigneur, qui dès le commencement
ai instruit les prophètes, et jusqu'à présent, je
n'ai pas cessé de parler à tous, mais beaucoup restent
sourds à ma voix.
La plupart des hommes écoutent de préférence la
voix du monde à la voix de Dieu; ils aiment mieux
suivre les désirs de la chair qu'obéir à la volonté divine.
Ce monde qui offre quelques petits avantages temporels,
on le sert avec une grande ardeur; et moi qui
promets des biens immenses, éternels, je ne parviens
pas à toucher le cœur de l'homme.
Quel est l'homme qui me sert et m'obéit en tout
comme on sert le monde et ses maîtres?
Tu entreprends facilement de longs voyages, pour
en retirer de maigres avantages, mais pour la vie éternelle,
tu hésites à faire un pas. Tu recherches parfois
un gain médiocre qui exige de toi de nombreux efforts;
sur une vaine promesse, tu ne crains pas de te
fatiguer jour et nuit. Mais pour mériter un bien incomparable,
une récompense infinie, un honneur suprême et une gloire sans fin,
tu n'acceptes pas d'endurer la moindre fatigue!
4. Rougis, serviteur lâche et paresseux, car il y a
des gens plus enflammés pour leur perdition que tu
ne l'es pour ton salut, plus joyeux dans la recherche
de la vanité que toi dans celle de la vérité.
Et pourtant ils sont souvent trompés dans leur
espérance, tandis que mes promesses n'ont jamais
trompé personne et je n'ai jamais renvoyé les mains
vides celui qui s'est confié à moi. Ce que j'ai promis,
je le donne; ce que j'ai dit, je l'accomplis, si toutefois
tu demeures fidèle à mon amour jusqu'à la fin.
C'est moi qui récompense les bons et qui éprouve
fortement les justes.
5. Grave mes paroles dans ton cœur, et médite-les
profondément: elles te seront très nécessaires à
l'heure de la tentation. Ce que tu ne comprends pas
tout de suite, tu le comprendras au moment de ma
visite.
J'ai deux façons de visiter mes élus: par le sacrifice
que je leur demande, et par l'aide que je leur apporte.
Et tous les jours, je leur donne deux leçons: l'une
pour leur reprocher leurs fautes, l'autre pour les exhorter à
avancer dans la vertu.
Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles sera jugé: la parole
que j'ai fait entendre, voilà qui le jugera
au dernier jour (Jean 12,48).
PRIÈRE POUR DEMANDER L'AIDE DE DIEU
6. Seigneur mon Dieu, tu es tout mon bien! Et
qui suis-je pour oser te parler? Je suis ton très pauvre
serviteur, beaucoup plus pauvre et plus méprisable
encore que je n'ose l'avouer. Souviens-toi cependant,
Seigneur, que sans toi, je ne suis rien, je n'ai
rien, je ne peux rien! Toi seul es bon, juste et saint!
Tu peux tout, tu donnes tout, tu remplis tout, tu ne
laisses à l'écart que le pécheur. Souviens-toi de tes
miséricordes (Ps 24,6) et comble mon cœur de ta
grâce, toi qui veux qu'aucun de tes ouvrages ne demeure stérile!
7. Comment puis-je, en cette misérable vie, porter
mon fardeau si ta miséricorde et ta grâce ne viennent
me soutenir? Ne détourne pas de moi ton visage!
Ne diffère pas ta visite! N'éloigne pas de moi ... ton
réconfort, de peur que, privée de toi, mon âme ne
devienne comme une terre sans eau (Ps. 142,6). Seigneur,
apprends-moi à faire ta volonté! (Ps. 142,10) apprends-moi à
vivre d'une vie humble et digne de toi.
Car tu es ma sagesse, toi qui me connais tel que
je suis et qui me connaissais avant même que j'existe.
Chapitre
4
VIVRE DEVANT DIEU DANS LA SINCÉRITÉ ET L'HUMILITÉ
1.
Marche devant moi dans la vérité, et reste toujours
avec moi dans la simplicité de ton cœur. Celui
qui marche ainsi devant moi dans la vérité ne craindra
nulle attaque; la vérité le délivrera des calomnies
et de l'attrait du mal. Si la vérité te sauve, tu seras
alors vraiment libre et les vains discours des hommes
te laisseront indifférent.
2. Seigneur, ce que tu dis est vrai; qu'il m'advienne
selon ta parole. Que ta vérité m'instruise, qu'elle
me garde, qu'elle me préserve jusqu'à la fin dans la
voie du salut. Qu'elle écarte de moi tout désir mauvais,
tout amour déréglé, et je marcherai avec toi
dans une grande liberté de cœur.
3. Moi, la vérité, je t'enseignerai ce qui est bon, ce
qui me plaît.
Rappelle-toi tes péchés avec une contrition sincère
et un profond regret, et ne pense jamais t'être élevé
au-dessus des autres à cause des bonnes œuvres que
tu auras pu faire. Car tu n'en demeures pas moins
pécheur, sujet à beaucoup de passions qui te tiennent
enchaîné.
Livré à tes seules forces, tu tendrais toujours vers
le néant; un rien t'ébranle, t'abat, te trouble, te décourage.
Tu ne possèdes rien en toi dont tu puisses te
glorifier, mais, au contraire, tu aurais bien de quoi
t'affliger, car ta faiblesse est encore plus grande que
tu ne l'imagines.
4. Ne vois donc rien de grand dans tout ce que tu
fais, et n'accorde de valeur qu'à ce qui est éternel.
Aime par-dessus toutes choses la vérité, et n'aie jamais
que du mépris pour ta condition d'homme pécheur.
Ne crains, ne blâme et ne fuis rien tant que tes
vices et tes péchés; ils doivent t'attrister plus que
tout autre dommage.
Il y a des gens qui ne veulent pas se laisser guider
par moi, mais qui, poussés par une curiosité présomptueuse,
veulent pénétrer seuls les mystères et les
desseins de Dieu, tout en négligeant de s'occuper de
leur salut. Ceux-là sont souvent entraînés par leur orgueil
en de grandes tentations et de grandes fautes,
parce que je me suis séparé d'eux.
Il en est pour qui tout
reste sur le plan intellectuel,
ou sentimental. Pour d'autres encore, seuls comptent
les manifestations et les actes extérieurs.
Il en est qui m'ont souvent à la bouche, mais très
peu dans le cœur. Bienheureux ceux qui ont su purifier
leur cœur et n'aspirent qu'aux biens éternels; fatigués
de leur vie terrestre, ils ne restent assujettis
qu'à regret aux nécessités de la nature. Ceux-là entendent
ce que l'Esprit de vérité dit en eux, car il leur
apprend à mépriser les vanités du monde et à s'attacher
aux choses célestes, à n'avoir nuit et jour qu'un seul
désir: gagner le ciel.
Chapitre
5
MERVEILLEUX EFFETS DE L'AMOUR DIVIN
1.
Je te bénis, Père céleste, Père de Jésus Christ
mon Seigneur, parce que tu as daigné te souvenir de
moi, pauvre créature. O Père des miséricordes et
Dieu de toute consolation (2 Cor. 1,3), je te rends
grâce de bien vouloir cependant quelquefois me visiter,
tout indigne que je suis. Je te bénis à jamais et je
te glorifie avec ton Fils unique et ton Esprit Saint,
dans les siècles des siècles.
O Seigneur mon Dieu, unique objet de mon
amour: quand tu viendras visiter mon cœur, mon
âme tressaillira de joie. Tu es ma gloire et la joie de
mon cœur (Ps. 118,111); tu es mon espérance et
mon refuge à l'heure de l'épreuve.
2. Mais parce que mon amour est encore faible et
ma vertu imparfaite, j'ai besoin de ton soutien et de
ton aide.
Délivre-moi des passions mauvaises et détache
mon cœur de toutes ses affections insensées, afin
que, guéri et purifié, il devienne capable de t'aimer,
de souffrir pour toi et de persévérer dans le droit chemin.
3. L'amour est un bien immense qui rend léger ce
qui est lourd, et fait supporter avec une âme égale
toutes les vicissitudes de la vie. En effet, il allège tous
les fardeaux, et rend doux et savoureux tout ce qui
est amer.
L'amour de Jésus rend généreux: il pousse aux
grandes entreprises et mène toujours à ce qu'il y a de
plus parfait.
Celui qui le possède aspire à s'élever et il veut être
libre et dégagé de toute affection terrestre; il n'accepte
pas d'être entravé dans ses aspirations intérieures,
ni mêlé à des intérêts temporels mesquins; il ne
se laisse pas abattre dans les adversités.
Rien n'est plus doux que l'amour, rien de plus
fort, rien de plus haut, rien de plus étendu, rien de
plus délicieux et enivrant au ciel et sur la terre, car
l'amour est né de Dieu et ne peut se reposer qu'en
Dieu, au-dessus de toute créature.
4. Celui qui aime ainsi court, vole, il est tout à la
joie, il est libre et rien ne le retient. Il donne tout
pour le Tout, il possède tout en toutes choses, car il
ne se repose que dans le seul Etre souverain au-dessus
de toute créature de qui jaillit et découle tout
bien. Il ne s'arrête pas aux dons, il s'élève au-dessus
de tout bien, vers celui qui les donne.
L'amour, souvent, ne connaît pas de mesure;
comme l'eau qui bouillonne, il déborde de toutes
parts. Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte; il tente
n'importe quoi, ne se dérobe devant aucun obstacle,
parce qu'à lui, tout est possible, tout est permis. Il
réussit là où les autres ont échoué.
5. L'amour veille sans cesse et ne connaît pas de
repos. Aucune fatigue ne l'abat, aucun lien ne l'enchaîne,
aucune frayeur ne le trouble; mais telle une flamme haute et vive, il s'élance vers le ciel et s'ouvre
un passage en dépit de toutes les difficultés.
6. L'amour est sincère, tendre, doux, joyeux, avenant,
fort, patient, fidèle, prudent, courageux, et il
ne recherche jamais rien pour lui-même.
L'amour est réservé, humble et droit; il ne s'occupe
pas de choses vaines, il est sobre, chaste, résolu, calme
et toujours attentif à la moindre défaillance.
L'amour est soumis à ses supérieurs; à ses propres
yeux, il n'est rien. Dévoué à Dieu sans réserve et toujours
plein de reconnaissance, il ne cesse jamais de se
confier à lui, d'espérer en lui, même dans l'adversité.
7. Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à accomplir
entièrement la volonté du Bien-Aimé ne possède pas
le véritable amour.
Celui qui aime doit être capable de supporter avec
joie tout ce qu'il y a de plus dur et de plus amer pour
l'amour du Christ, de ne se laisser détacher de lui par
aucun imprévu de la vie.
Quelle joie pour Jésus que d'entendre ce cri ardent
d'une âme embrasée: Mon Dieu, mon amour! Tu es
tout à moi, et le suis tout à toi!
PRIÈRE POUR DEMANDER L'AMOUR DE DIEU
8. Inonde-moi de ton amour afin que j'apprenne
à goûter, au fond de mon cœur, la douceur d'aimer
et de me fondre dans cet amour! Qu'il m'emporte et
m'élève au-dessus de moi-même! Permets-moi de te
suivre, ô mon Bien-Aimé, jusqu'au sommet de ta
gloire et que toutes les forces de mon âme s'épuisent
à te louer! Que je t'aime au-delà de tout et que je
n'aime en moi-même que le reflet de ton amour!
Chapitre
6
ÉPREUVE DU VÉRITABLE AMOUR
1.
Ton amour n'est encore ni assez fort ni assez
pur.
Pourquoi, Seigneur?
Parce qu'à la moindre contrariété, tu te détournes
de moi pour rechercher avidement des consolations.
Celui qui aime d'un cœur ferme demeure debout au
milieu des épreuves et ne cède pas aux premières attaques
de l'ennemi. Il m'aime dans la prospérité, et
ne cesse de m'aimer dans l'adversité.
2. Celui dont l'amour est pur considère moins le
don de celui qu'il aime que l'amour de celui qui
donne. L'affection le touche plus que le bienfait, et
il préfère son Bien-Aimé à tout ce qu'il reçoit de lui.
Celui qui m'aime d'un amour généreux ne recherche
pas mes dons, mais moi à travers ceux-ci.
Cependant, ne crois pas que tout soit perdu s'il
t'arrive de ressentir moins d'amour que tu ne voudrais.
Cet amour sensible et doux que tu éprouves
quelquefois est un effet de la présence de la grâce, une
sorte d'avant-goût de la patrie céleste; il ne faut pas
s'appuyer sur lui, car il disparaît comme il est venu.
Mais combattre les mouvements désordonnés de
l'âme, mépriser les suggestions du démon, c'est là la
marque d'une vertu solide et une source de mérite.
3. Ne te laisse pas troubler par les rêves qui obsèdent
ton imagination, si étranges qu'ils soient. Garde
une âme toujours résolue et une intention toujours
droite.
Ce n'est pas une
faute si quelquefois il t'arrive,
après avoir été comme ravi en extase, de retomber
aussitôt dans les inepties qui occupent d'ordinaire
ton cœur; tu les subis alors plus que tu ne les provoques,
et tant qu'elles te déplaisent et que tu les désavoues,
elles sont plus un mérite qu'un dommage.
4. Sache que le diable fait tout pour étouffer tes
bons sentiments et t'éloigner de tout exercice spirituel: du
culte des saints, de la méditation de mon
chemin de la croix, du souvenir si utile de tes péchés,
de ta vigilance à progresser sur le chemin de la vertu.
Il te suggère mille mauvaises pensées pour te troubler
et te décourager, et ainsi, te détourner de la prière et
des lectures saintes. Une humble confession lui déplaît
et, s'il le pouvait, il te ferait abandonner la
communion.
Ne l'écoute pas et n'aie pour lui aucune crainte,
quoiqu'il t'ait souvent tendu des pièges. C'est sur lui seul que tu devras rejeter toutes les mauvaises pensées
qu'il t'inspire, et lui dire: "Va-t'en, esprit impur!
Rougis, misérable! C'est toi qui es impur pour
oser tenir ce langage à mes oreilles. Retire-toi, séducteur,
car tu n'auras jamais sur moi aucun pouvoir;
c'est Jésus qui me protège de sa force et tu ne peux
rien contre lui.
"Plutôt mourir en souffrant tous les supplices que
de te suivre jamais!
"Silence! Tais-toi! Je ne t'écoute plus; tu peux
m'importuner tant que tu voudras."
Le Seigneur est ma lumière et mon salut: de qui
aurais-je crainte? Qu'une armée vienne m'assaillir:
mon cœur est sans crainte (Ps. 26,1-3). Le Seigneur
est mon soutien et mon sauveur (Ps. 18,15).
5. Lutte comme un vaillant soldat, et si quelquefois
tu succombes par faiblesse, reprends courage, convaincu
d'être sans cesse soutenu par la grâce, et garde-toi
surtout de la vaine complaisance et de l'orgueil, car
ces péchés, en effet, ont entraîné beaucoup d'hommes
dans l'erreur et les ont plongés dans un aveuglement
presque incurable. Que la chute des orgueilleux qui
présument follement d'eux-mêmes soit toujours ton
école de vigilance et d'humilité.
Chapitre
7
GARDER LA
GRÂCE DANS L'HUMILITÉ
1. Il est plus utile et plus sûr pour toi de garder cachée
la grâce de la dévotion, d'en parler peu et de n'en
pas faire trop de cas, et surtout de ne pas te surestimer
pour autant et de craindre d'en être indigne.
Il ne faut pas trop s'attacher à un sentiment qui peut
bientôt se changer en sentiment contraire. Quand la
grâce t'est donnée, songe combien tu es pauvre et misérable
sans elle.
Le progrès dans la vie spirituelle ne consiste pas seulement à
jouir de la grâce sensible du réconfort, mais à
en supporter la privation avec humilité, abnégation et
patience; à ne pas se relâcher dans l'exercice de la prière, à
n'abandonner aucune de ses pratiques habituelles; à travailler
de son mieux en mettant en œuvre la
volonté et l'intelligence, à ne pas se laisser aller pour
une aridité ou une anxiété d'esprit.
2. Il y en a beaucoup qui, au premier échec, se découragent
et s'arrêtent. Cependant l'homme ne peut pas toujours prendre le chemin qu'il désire (Jér. 10,23).
Il appartient seulement à Dieu d'accorder l'aide
de sa grâce quand il veut, autant qu'il veut, à qui il
veut et comme il veut.
Des imprudents se sont perdus en voulant faire plus
qu'ils ne pouvaient, ne mesurant pas leur faiblesse,
mais répondant à leur impulsion plutôt qu'à l'appel
de la raison. Et parce qu'ils ont entrepris, dans leur
présomption, plus qu'il ne plaisait à Dieu, ils ont aussitôt
perdu son soutien.
Les voilà tout à coup pauvres et délaissés, eux qui
avaient bâti leur demeure au ciel! C'était pour apprendre,
dans l'humiliation et le dénuement, à ne plus
voler de leurs propres ailes, mais à se réfugier sous les
miennes.
Ceux qui sont encore débutants et sans expérience
dans la "voie de Dieu", s'ils ne règlent pas leur conduite
selon les conseils de personnes prudentes, peuvent
aisément se tromper et se briser sur le premier
obstacle.
S'ils persistent à suivre leur propre sentiment plutôt
qu'à se fier à l'expérience des autres, s'ils s'obstinent
dans leur propre opinion: malheur à eux!
3. Ceux qui se croient sages se laissent difficilement
guider par les autres.
Il vaut mieux posséder peu de connaissances avec
humilité que de grands trésors de science avec une
vaine complaisance en soi-même.
Celui qui se livre tout à sa joie, oubliant son indigence
passée et cette crainte salutaire qui fait trembler
de perdre la grâce reçue, celui-là n'est pas un
homme avisé.
C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller
à un découragement excessif à l'heure de l'épreuve,
et de nourrir des pensées et des sentiments indignes
de la confiance qu'on me doit.
4. Celui qui s'abandonne à une trop grande sécurité
quand tout va bien devient souvent timide et lâche
lorsqu'il lui faut lutter.
Si tu savais toujours demeurer humble et modeste,
tu ne courrais pas si souvent le danger de t'écarter de
Dieu par tes fautes.
Il est sage de penser dans le calme à ce qui peut arriver
quand la tempête se lèvera.
5. Une épreuve t'est souvent plus utile que si tout
se réalisait constamment selon tes désirs.
On ne peut pas juger des mérites d'un homme selon
qu'il est fort en Ecriture Sainte, ou qu'il occupe un
rang élevé, mais selon qu'il est affermi dans la véritable
humilité, qu'il est rempli de l'amour de Dieu, qu'il recherche
en tout, toujours et partout la gloire de Dieu,
et qu'il est bien convaincu de son propre néant.
Chapitre
8
N'AVOIR AUCUNE CONSIDÉRATION
ENVERS SOI-MÊME
1. Je vais parler au Seigneur mon Dieu, bien que
je ne sois que cendre et poussière (Gen. 18,27).
Si je crois être davantage, te voilà dressé contre
moi; mes iniquités portent un témoignage vrai et je
n'y puis pas contredire. Mais si je m'abaisse, si je
m'anéantis, si je me dépouille de toute estime de
moi-même, si je me considère comme poussière - ce
que je suis vraiment - alors ta grâce me sourit et ta
lumière s'approche de mon cœur; alors toute estime
de moi-même est submergée et disparaît à jamais
dans l'abîme de mon néant. Là tu me montres ce que
je suis, ce que j'ai été, jusqu'où je suis descendu:
car je ne suis rien et je ne le savais pas (Ps. 72,22).
Livré à moi-même, je ne suis que néant et poussière;
mais dès que tu jettes un regard sur moi, je deviens à
l'instant fort et je m'emplis d'une joie nouvelle.
Et cela me confond d'étonnement de me voir,
tout à coup, relevé et reçu avec tant de bonté entre
tes bras, moi qui suis toujours entraîné par mon propre
poids vers la terre.
2. C'est ton amour qui opère ce miracle: un
amour qui me prévient dans son désintéressement,
qui ne se lasse jamais de me secourir dans mes besoins,
qui me préserve des plus grands périls et me
délivre de maux innombrables.
En m'aimant d'un amour excessif, je me suis perdu;
en ne cherchant que toi seul et en te vouant un
amour pur, je me suis retrouvé en même temps que
je t'ai retrouvé toi-même. Et cet amour m'a fait entrevoir
le fond de mon néant, parce que toi, ô Dieu
plein de tendresse, tu fais pour moi beaucoup plus
que je ne le mérite, plus que je n'oserais l'espérer ou
le demander.
3. Béni sois-tu donc, mon Dieu, de me combler de
biens malgré mon indignité! Ta générosité et ta bonté
infinies ne cessent de se pencher même vers les plus
ingrats et vers ceux qui se sont le plus éloignés de toi.
Ramène-nous à toi, afin que nous puissions te témoigner
notre reconnaissance, notre humilité et notre
ferveur, car tu es notre salut et notre force.
Chapitre
9
IL FAUT TOUT RAPPORTER A DIEU
COMME A NOTRE FIN DERNIÈRE
1.
C'est moi qui dois être ta fin dernière, si véritablement
tu désires être heureux. Il faut dans ce but te
libérer de tes affections, trop souvent tournées vers
toi-même et vers les hommes; car si tu te recherches
en quoi que ce soit, ta vie intérieure ne deviendra jamais
fertile.
Rapporte donc tout à
moi, puisque c'est moi qui
t'ai pourvu en tout. Et toute chose doit remonter à
moi comme à son origine.
2. En moi, comme à une source intarissable, les
petits et les grands, les pauvres et les riches, puisent
l'eau vive; et ceux qui me servent volontairement et
de tout leur cœur recevront grâce sur grâce. Mais quiconque
voudra poursuivre sa gloire en dehors de moi,
ou se complaire dans un bien qu'il possède ne sera jamais établi
dans la vraie joie, et son cœur, toujours à
l'étroit, ne rencontrera de tous côtés qu'entraves et angoisses.
Ne t'approprie donc aucun bien, et n'attribue à
personne le mérite de sa vertu, mais rends tout à
Dieu, de qui l'homme tient toutes ses richesses.
C'est moi qui t'ai tout donné, et je veux que tu te
donnes à moi tout entier.
3. La vérité agit en dissipant la vanité de la gloire
humaine. Là où pénètrent la grâce céleste et la vraie
charité, il n'y a plus de place pour l'amour-propre ni
pour l'envie qui torture le cœur. Car l'amour divin
submerge tout et exalte toutes les puissances de l'âme.
Si tu veux agir sagement, tu mettras ta joie et ton
espérance en moi seul, car nul n'est bon que Dieu seul
(Luc 18,19), à qui sont dues partout et toujours toute
louange et toute bénédiction.
Chapitre
10
IL EST DOUX DE SERVIR DIEU
QUAND ON A RENONCÉ AU MONDE
1.
Je te parlerai encore, ô mon Seigneur, car je ne
peux me taire. Je dirai à mon Dieu, mon Maître et
mon Roi, qui règne dans les cieux: Oh! quelle
source intarissable de tendresse tu as réservée à ceux
qui te craignent! (Ps. 30,20). Et que destines-tu à
ceux qui t'aiment, à ceux qui te servent de tout leur
cœur!
Elle est vraiment ineffable, la douceur dont tu
inondes ceux qui t'aiment, quand leur regard intérieur
te contemple! Et c'est ainsi que tu m'as dévoilé
l'immensité de ton amour: je n'étais pas et tu
m'as créé, j'errais au loin et tu m'as ramené vers toi
pour te servir, et tu m'as commandé de t'aimer.
2. Comment pourrais-je t'oublier, toi qui as daigné
te souvenir de moi lorsque, n'en pouvant plus, je
m'acheminais vers la mort? Ta miséricorde envers
ton serviteur a dépassé toute espérance; tu lui
as prodigué ta grâce et ton amitié au-delà de tout
mérite. Que pourrais-je te rendre en échange d'une
telle faveur? Car il n'est pas donné à n'importe qui
de tout abandonner, de quitter le monde pour embrasser
la vie religieuse.
Est-ce faire beaucoup que de te servir, toi que toutes
les créatures doivent servir? Non, cela n'est que
bien peu de chose; mais ce qui me paraît un privilège
merveilleux, c'est que tu daignes m'admettre, moi si
pauvre et si indigne, à ton service, me compter au
nombre des serviteurs que tu aimes.
3. Tout ce que j'ai t'appartient; tout ce que je
puis consacrer à ton service est à toi, mais en vérité,
tu prends les devants et c'est toi plutôt qui me sers.
Le ciel et la terre, que tu as créés pour être au service
de l'homme, sont devant toi et exécutent chaque
jour tout ce que tu leur as commandé. Les anges mêmes,
tu les as destinés au service de l'homme; mais le
comble, c'est que tu as daigné toi-même servir
l'homme, et que tu as promis de te donner à lui.
4. Comment te remercier pour tant de bienfaits?
Ah! si je pouvais te servir tous les jours de ma vie!
Si je pouvais, ne serait-ce qu'un seul jour, me montrer
digne de toi! Tu mérites d'être servi universellement,
tu mérites des honneurs et des louanges éternelles.
Tu es vraiment mon maître et moi ton pauvre
serviteur. Il faut que je te serve de toutes mes forces,
que ta louange ne me lasse jamais. Oui, je le
désire, je le veux; et toi, Seigneur, daigne me donner
ce qui me manque pour réaliser cela.
5. C'est un grand bonheur que de te servir et de
repousser pour toi les attraits du monde, car ceux
qui se consacrent à ton service seront comblés de
grâces.
Ils recevront aide et réconfort de l'Esprit Saint,
ceux qui, pour ton amour, auront tout quitté pour
te suivre.
Ceux qui, pour la gloire de ton nom, entreront
dans la voie étroite et renonceront à toutes les sollicitations
extérieures jouiront d'une parfaite liberté d'esprit.
6. O aimable et doux service de Dieu, qui mène
l'homme à la liberté et à la sainteté! O merveilleuse
servitude de l'état religieux, qui fait de l'homme
l'égal des anges et lui assure une joie éternelle!
Chapitre
11
EXAMINER ET RÉGLER
LES DÉSIRS DU CŒUR
1.
Il te faut encore apprendre beaucoup de choses
que tu ignores.
2. Lesquelles, Seigneur?
3. Apprends à soumettre entièrement tes désirs à
ma volonté, à ne tenir aucun compte de toi-même,
mais à chercher d'abord à me plaire.
Souvent, tu te laisses emporter par ton zèle, mais tu
dois te demander avant tout si cette ardeur a pour motif
ma gloire ou ton propre intérêt. Si c'est moi que tu
voulais servir, tu seras satisfait quoi que j'ordonne;
mais si quelque préoccupation secrète de toi-même se cache
au fond de ton cœur, tu seras vite troublé et abattu.
4. Prends garde de ne pas t'engager trop avant sans
m'avoir consulté, de peur qu'ensuite, tu ne retires que
du chagrin de ce qui te plaisait d'abord et te paraissait
le meilleur. Car tout désir qui paraît bon ne doit pas
être aussitôt suivi, de même qu'on ne doit pas non plus
renoncer sur-le-champ à ce qui répugne.
Il te faut savoir user de modération jusque dans le
zèle et la recherche du bien, afin que ton esprit ne soit
pas entièrement accaparé par cela et qu'une activité désordonnée
n'engendre le scandale.
Il faut aussi quelquefois user de violence et résister
énergiquement aux convoitises des sens, sans se soucier
de ce que la chair veut ou ne veut pas, et la soumettre,
bon gré mal gré, à l'esprit. Il faut la dominer et la vaincre,
jusqu'à ce qu'elle ait appris à se contenter de peu,
à aimer les choses les plus simples, et à ne jamais se
plaindre.
Chapitre
12
S'EXERCER A LA PATIENCE
ET COMBATTRE LES MAUVAIS INSTINCTS
1.
Seigneur mon Dieu, je vois que la patience m'est
très nécessaire, car dans cette vie, je rencontrerai
souvent l'adversité. Quoi que je fasse pour avoir la
paix, ma vie ne peut se dérouler sans combats et sans
douleurs.
2. Il en est ainsi, mais je ne veux pas que tu recherches
une paix dans laquelle tu n'aies plus ni tentations à
vaincre ni contrariétés à souffrir.
Si tu prétends ne pouvoir endurer tant de souffrances,
comment supporteras-tu le feu du purgatoire?
De deux maux, il faut toujours choisir le
moindre: afin d'éviter les supplices éternels, efforce-toi
donc d'accepter courageusement pour Dieu les
peines du temps présent.
Crois-tu que les hommes qui vivent dans le monde
aient une route facile à parcourir? Tu n'en trouveras
aucun dans ce cas, même parmi ceux dont la vie semble
la plus aisée.
3. Mais ils ont, pour compenser le poids de leurs
maux, des plaisirs en abondance, ils peuvent suivre
leur volonté!
4. Soit! Ils ont tout ce qu'ils desirent...: mais
combien de temps crois-tu que cela va durer? Les richesses
de ce monde s'évanouiront en fumée, et des
plaisirs passés, il ne restera pas même un souvenir.
Déjà de leur vivant, ils ne les goûtent pas sans
amertume, crainte et dégoût, car souvent, la même
chose qui leur donne du plaisir leur inflige douleur et
châtiment. Et cela n'est que juste: quand on recherche
les plaisirs désordonnés, on n'y trouve que tristesse
et déception.
5. Oh! que tout cela est éphémère, faux et vain!
Et cependant, certains hommes, comme aveuglés, ne
le comprennent pas; semblables à des bêtes sans raison,
ils exposent leur âme à la mort pour quelques
jouissances de cette vie temporelle.
Toi, ne suis pus tes convoitises, et détache-toi de ta
volonté. Cherche ta joie dans le Seigneur et il t'accordera
ce que ton cœur demande (Eccl. 18,30; Ps. 36,4).
6. Si tu veux atteindre au bonheur suprême, si tu
veux recevoir mon aide c'est dans le mépris de toutes
les joies du monde, dans le renoncement à tous ses
plaisirs que tu trouveras ton salut et un réconfort
inépuisable.
Plus tu
sauras te soustraire aux sollicitations des
créatures, plus tu trouveras en moi un appui solide.
Mais cela ne sera pas sans d'abord quelques peines et
sans l'effort du combat.
Une mauvaise habitude t'empêche de progresser?
tu dois la faire disparaître en la remplaçant par une
bonne.
Ta chair se plaint? la ferveur de ton esprit parlera
plus haut qu'elle.
Le vieux serpent te sollicite et t'obsède? ta prière
le mettra en fuite, et un bon travail lui fermera l'entrée
de ton cœur.
Chapitre
13
HUMBLE OBÉISSANCE
A L'EXEMPLE DE JÉSUS CHRIST
1. Celui
qui cherche à se soustraire à l'obéissance
se soustrait à la grâce, et celui qui s'enferme dans son
égoïsme, perd ce que pourraient lui apporter les autres.
Quand on ne se soumet pas volontiers et de bon
cœur à ses supérieurs, cela montre que la nature
n'est pas encore pleinement soumise; elle murmure
et se révolte.
Si tu désires te vaincre, commence par te soumettre
généreusement à tes supérieurs; car l'ennemi du
dehors est bien plus vite repoussé quand l'homme vit
avec un cœur libéré par l'obéissance.
L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour
ton âme, c'est toi-même lorsque l'unité n'est pas encore
réalisée en toi.
Il faut que tu arrives à une parfaite abnégation si
tu veux triompher de la chair et du sang.
Un amour insensé que tu te portes encore, voilà ce
qui te fait craindre de t'abandonner sans réserve à la
volonté des autres.
2. Cependant, est-ce une grande chose que toi,
poussière et néant, tu te soumettes à un homme à
cause de Dieu, alors que moi, le Tout-Puissant et le
Très-Haut, qui ai tout créé à partir de rien, je me suis
soumis humblement à l'homme à cause de toi?
Je me suis voulu le plus humble et le dernier de
tous afin que mon humilité puisse t'apprendre à
vaincre ton orgueil.
Apprends donc à obéir, poussière; apprends à
t'humilier, terre et boue, à t'abaisser, à briser tes volontés
et à ne refuser aucune dépendance.
3. Traite-toi avec sévérité et ne laisse pas subsister
en toi la moindre trace d'orgueil; fais-toi si petit et si
soumis que tous puissent te marcher dessus et te fouler
aux pieds comme la boue sur les places.
Etre de ténèbres, pourquoi te plains-tu et qu'as-tu
à répondre aux reproches qu'on t'adresse, toi qui as
tant de fois offensé Dieu, tant de fois mérité l'enfer?
Ma bonté t'a épargné parce que ton âme a paru
précieuse à mes yeux. Vois donc mon amour et reconnais
mes bienfaits. Soumets-toi, humilie-toi et
n'oublie jamais le peu de chose que tu es.
Chapitre
14
CONSIDÉRER LES SECRETS JUGEMENTS DE DIEU
ET NE PAS
TIRER ORGUEIL DU BIEN QU'ON FAIT
1.
Tes jugements descendent sur moi, Seigneur, et
laissent mon âme imprégnée d'une profonde crainte.
Interdit, effrayé, je songe que les cieux ne sont pas
purs à tes yeux (Job 15,15). Si dans les anges mêmes
tu as trouvé le mal (Job 4,18), et si tu ne les
as pas épargnés, qu'en sera-t-il pour moi? Les
étoiles sont tombées du ciel (Apoc. 6,13); et moi,
poussière, que dois-je attendre? J'ai vu des hommes
dont les actes paraissaient louables tomber au plus
profond de l'abîme.
2. Il n'est donc plus de sainteté, Seigneur, quand
tu retires ta main; plus de sagesse qui soit utile,
quand tu cesses de la diriger; plus de force qui soit
un secours si tu cesses de la soutenir; plus de chasteté
assurée si tu ne la protèges; plus de vigilance qui
nous sauve si tu n'y ajoutes ta propre vigilance.
Abandonnés de toi, c'est le naufrage et la perdition;
visités par toi, c'est le salut et la vie. Chancelants,
c'est toi qui nous affermis; hésitants, c'est toi qui
nous entraînes.
3. Oh! comme je dois peu estimer ce qui paraît
bien en moi! Oh! comme je dois m'abaisser profondément,
Seigneur, devant tes jugements impénétrables
où je me perds comme dans un abîme et où je ne
rencontre que mon propre néant!
Où donc peut se cacher mon orgueil, la confiance
dans mes propres vertus? Toute vanité s'éteint
quand la profondeur de tes jugements s'étend sur moi.
4. Que reste-t-il devant toi de toutes les prétentions
de ta créature? L'argile s'élèvera-t-elle contre
celui qui l'a formée ? (Is. 29,16).
Comment celui dont le cœur est vraiment soumis
à Dieu pourrait-il conserver quelque vanité? La
conquête du monde entier ne saurait inspirer d'orgueil à
celui que la vérité a soumis à son empire. De
même, les louanges des hommes n'ébranlent pas celui
dont toute l'espérance est ancrée en Dieu; car
ceux qui parlent ne sont rien eux-mêmes; ils s'évanouissent
avec le bruit de leurs paroles, mais la vérité
du Seigneur demeure éternellement (Ps. 116,2).
Chapitre
15
QUELS PROPOS ET QUELLE CONDUITE
TENIR DEVANT QUELQUE DÉSIR
1.
Voici ce que tu dois dire en toutes circonstances:
"Seigneur, qu'il en soit ainsi, si c'est ta
volonté!".
"Seigneur, que cela s'accomplisse en ton nom, si
c'est pour ton honneur!".
"Seigneur, si tu vois que cette chose est bonne et
utile pour moi, donne-la-moi afin que j'en use pour
ta gloire! Mais si tu vois que cela me nuira ou ne servira
pas au salut de mon âme, ôte-m'en le désir."
Car tout désir ne vient pas de l'Esprit Saint, même
lorsqu'il nous paraît bon et juste.
Il est difficile de discerner avec certitude si certains
de tes désirs mènent au bien ou au mal. Beaucoup de
ceux qui croyaient d'abord suivre une bonne inspiration
se sont trouvés finalement dans l'erreur.
2. Ainsi, c'est toujours dans la crainte de Dieu et
dans une grande humilité de cœur que tu dois désirer
et demander tout ce qui te paraît désirable, et c'est
surtout avec une pleine résignation que tu dois t'en
remettre à moi en disant:
"Seigneur, tu sais ce qui est le mieux: décide ce
que tu voudras pour moi! Donne-moi ce que tu
veux, dans la mesure et le temps qu'il te plaira! Fais
de moi ce que tu sais être bon, afin que je serve uniquement à
te glorifier! Place-moi où tu veux, et
dispose librement de moi en toutes choses. Je suis
dans tes mains: fais de moi ce que tu voudras. Je
suis ton serviteur, toujours prêt à exécuter tes ordres,
car je ne désire pas vivre pour moi mais pour
toi seul: mille fois heureux si j'y parvenais complètement."
PRIÈRE
POUR ACCOMPLIR LE BON PLAISIR DE DIEU
3. Accorde-moi ta grâce, ô Seigneur! Qu'elle
soit
en moi, qu'elle agisse avec moi (Sag. 9,10), et
qu'elle demeure en moi jusqu'à la fin! Fais-moi désirer
et vouloir toujours ce qui t'est le plus agréable.
Que ta volonté soit la mienne, et que ma volonté
suive toujours la tienne et ne s'en écarte jamais
en rien. Que je n'aie avec toi qu'un seul vouloir
et un seul non-vouloir; que je ne puisse plus
vouloir ou ne pas vouloir que ce que tu veux et ce
que tu ne veux pas.
4. Donne-moi la grâce de mourir à toutes les
choses du monde, de rechercher le mépris et l'oubli
ici-bas.
Accorde-moi la joie de me reposer en toi au-dessus
de toutes les tentations terrestres et de ne
trouver qu'en toi le repos de mon âme.
En toi seul est la véritable paix du cœur; hors de
toi, tout n'est que peine et inquiétude. Dans cette
paix, c'est-à-dire en toi seul, Dieu éternel et souverain,
je veux m'endormir et me reposer (Ps. 4,9). Amen.
Chapitre
16
CHERCHER EN DIEU SEUL LE VRAI RÉCONFORT
1.
Tout ce que je peux désirer ou imaginer pour
mon bonheur, je ne l'attends pas dans cette vie, mais
dans l'autre.
Même si je possédais à moi
seul tous les biens
du monde, et si je profitais de tous les plaisirs qui
s'y attachent, je n'oublierais pas que tout cela est
éphémère. Ainsi, mon âme, tu ne peux trouver épanouissement
et joie parfaite qu'en Dieu, consolateur
des pauvres et refuge des humbles.
Patiente encore un peu, mon âme, attends que se
réalise la divine promesse, et tu posséderas alors dans
le ciel une profusion de richesses.
Si tu cherches trop avidement les biens temporels,
tu perdras les biens éternels. Et aucun bien temporel
ne pourra jamais te rassassier ni te satisfaire parce
que tu n'as pas été créée pour cela.
2. C'est en Dieu, qui a tout créé, que se trouve ta
félicité et ton bonheur; bonheur non pas tel que le voient et le chantent certains hommes insensés, mais'
tel que l'attendent les vrais serviteurs de Jésus Christ
et que le goûtent parfois les cœurs purs, dont la cité
est dans les cieux (Philip. 3,20).
Tout réconfort humain est vain et passager. Seul
est valable ce lui que la vérité nous fait éprouver
intérieurement.
Seigneur Jésus,
reste près de moi en tout temps et
en tout lieu! Que je trouve ma joie à être privé de
toute consolation humaine. Et si ton aide vient aussi
à me manquer, que ta volonté et cette juste épreuve
me soient un réconfort au-dessus de tous les autres.
Car tu ne seras pas toujours irrité, et tes menaces ne
seront pas éternelles (Ps. 102,9).
Chapitre
17
SE CONFIER A
DIEU DANS L'ÉPREUVE
1. Laisse-moi faire de toi ce que je veux; je sais ce
qui est bon pour toi.
Tes pensées sont celles d'un homme, tes jugements
sont souvent conditionnés par des sentiments trop
humains.
2. Seigneur, ce que tu dis est vrai, tu prends soin
de moi beaucoup mieux que je ne pourrais jamais le
faire.
On s'expose à de trop graves dangers en ne se remettant
pas à toi pour toutes choses.
Seigneur, que ma volonté ne faiblisse pas et demeure
unie à la tienne; fais de moi tout ce qu'il te
plaira, car tu ne peux agir que pour mon bien.
Je te rends grâce si ton désir est de me laisser dans
les ténèbres; et je te rends grâce encore si tu m'accordes
ta lumière. S'il te plaît de m'aider, sois béni!
et si tu veux me laisser souffrir, sois également béni!
3. C'est bien dans ces dispositions qu'il te faut venir à
moi: prêt à la souffrance comme à la joie, au
dénuement et à la pauvreté comme à l'aisance et la
richesse.
4. Seigneur, j'accepterai volontiers pour toi tout
ce que tu voudras me donner. Je pourrai recevoir indifféremment
de ta main le repos ou l'épreuve, la
joie ou la douleur, et te rendre grâce pour tout ce qui
m'arrivera.
Préserve-moi à jamais de tout péché, et je ne
craindrai ni la mort ni l'enfer. Rien ne saurait m'atteindre,
rien ne saurait me nuire, pourvu que tu ne
me rejettes pas loin de toi.
Chapitre
18
SUPPORTER LES MISÈRES DE LA VIE
A L'EXEMPLE DE JÉSUS CHRIST
1.
Je suis descendu du ciel pour ton salut, je me
suis chargé de ta misère non par nécessité mais par
amour, afin de t'apprendre à supporter tes maux
d'ici-bas avec patience et dignité.
Depuis ma naissance jusqu'à ma mort sur la croix,
aucune souffrance ne m'a été épargnée. J'ai vécu
dans une extrême indigence; j'ai supporté bien des
reproches; j'ai accepté sans murmure affronts et outrages;
et en retour de mes bienfaits et de mes miracles,
je n'ai recueilli sur cette terre que blasphèmes et ingratitude.
2. Seigneur, puisque tu as été patient toute ta
vie, accomplissant par là, d'une manière parfaite,
les vœux de ton Père céleste, il est bien juste que
moi, pauvre pécheur, j'accomplisse ta volonté en
m'acceptant moi-même chaque jour, et que je porte
pour mon salut, aussi longtemps que tu voudras,
le poids de cette vie; bien que pleine de douleurs,
elle se transforme cependant, par ta grâce, en une
source abondante de mérites; ton exemple et le
souvenir des saints la rendent supportable et précieuse
même à ceux dont le courage est parfois défaillant.
Elle est aussi devenue beaucoup plus réconfortante
que sous l'ancienne loi lorsque la porte du ciel
était encore fermée, que le chemin du paradis était
plus difficile à distinguer, où si peu de gens s'attachaient à
rechercher la voie du salut, et où les justes
eux-mêmes durent attendre, pour obtenir leur
récompense, le rachat du péché par le prix sacré de
ta Passion et de ta mort.
3. Oh! Quelle gratitude je te dois pour m'avoir
montré, ainsi qu'à tous les fidèles, la route la plus
sûre pour gagner ton royaume éternel! Si tu ne
nous avais précédés et éclairés, qui songerait à te
suivre? Combien resteraient bien loin en arrière
s'ils n'avaient constamment devant les yeux ton
exemple!
Et après tes nombreux miracles et ton enseignement,
vois comme nous sommes encore hésitants!
Et qu'en serait-il alors si toute cette lumière ne
nous guidait pas sur tes traces?
Chapitre
19
SUPPORTER LES INJUSTICES.
PORTRAIT DE L'HOMME PATIENT
1.
Pourquoi te plains-tu si souvent? Cesse de récriminer
ainsi, et considère plutôt mes souffrances et
celles de tous les saints.
Tu n'a pas encore résisté jusqu'au sang! (Hébr. 12,4).
Ce que tu endures est peu de chose en comparaison
de ce qu'ont supporté tant d'autres: tentations, épreuves
et vicissitudes de toute nature.
Souviens-toi donc du pesant fardeau que d'autres
ont porté, et tu accepteras ainsi plus facilement tes
petites peines. Et si elles ne te deviennent pas plus
légères, c'est à ton manque de patience que tu le devras!
2. Plus ton âme est disposée à souffrir, plus elle
fait preuve de sagesse et plus elle acquiert de mérites.
Une ferme résolution et l'habitude de la souffrance
te rendront ton fardeau moins lourd.
Ne dis pas:
"Je ne peux pas supporter cela d'un
tel homme! N'importe quoi, mais pas cela! Il m'a
fait un très grand tort! Il me reproche des choses
que je n'ai pas même imaginées! D'un autre, passe
encore, mais pas de celui-là!"
Sottes pensées de ceux qui ne considèrent pas la
vertu de patience ni celui qui doit la couronner, mais
uniquement les personnes offensantes et les offenses
reçues.
3. Celui qui ne veut accepter d'épreuves que dans
la mesure qu'il lui plaît et de qui il lui plaît ne possède
pas vraiment la vertu de patience. Il ne devrait pas
distinguer entre son supérieur, son égal ou son inférieur,
un homme de Dieu ou un méchant, mais, indifférent
aux créatures, recevoir avec reconnaissance
de la main de Dieu toutes les peines qui lui arrivent,
avec l'espoir d'un immense gain. Car Dieu ne laissera
pas sans récompense une peine, même légère, qu'on
aura soufferte pour lui.
4. Sois donc prêt au combat si tu veux remporter
la victoire! Sans combat, tu ne peux obtenir la couronne
de la patience. Refuser de souffrir, c'est refuser
d'être couronné. Lutte avec courage, souffre avec
patience: on ne parvient pas au repos sans efforts ni
à la victoire sans combat.
5. Seigneur, que ce qui me paraît impossible à
moi, pauvre mortel, me devienne possible par ta grâce.
Tu sais que j'ai peu de force pour souffrir et que
la moindre adversité aussitôt m'abat. Fais, Seigneur,
que par amour pour toi, toute souffrance me devienne
aimable et désirable.
Chapitre
20
L'AVEU DE NOTRE FAIBLESSE.
LES MISÈRES DE CETTE VIE
1.
Je confesserai contre moi mon injustice (Ps. 31,5); je vais
te confesser ma faiblesse, Seigneur.
Souvent, un rien m'abat
et me rend triste. Je me
propose d'agir avec courage, mais à la moindre
tentation qui survient, je tombe dans une grande
angoisse. Quelquefois, il faut bien peu de chose pour
me causer une violente tentation. Et quand je n'y
pense plus et que je me crois en sûreté, un léger souffle
suffit à me renverser.
2. Seigneur, vois donc mon impuissance et ma fragilité
qui transparaissent de toutes parts. Aie pitié et tire-moi du bourbier de crainte que je n'y demeure à
jamais enfoncé (Ps. 68,15).
Ce qui me remplit souvent de peine et de confusion
devant toi, c'est de constater mon incapacité à
résister à mes passions. Bien que je ne leur cède pas
complètement, leurs sollicitations m'épuisent el
m'accablent; je suis fatigué de vivre toujours ainsi
en lutte contre moi-même.
Ce qui me fait mesurer ma faiblesse, c'est que
d'affreuses images envahissent facilement mon esprit
et qu'elles n'en sortent qu'avec beaucoup de mal.
3. O Dieu très puissant, défenseur des âmes fidèles,
regarde les efforts et la douleur de ton serviteur
et reste près de lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra.
Soutiens-moi de ta force céleste, de crainte
que ma nature pécheresse et cette misérable chair,
qui n'est pas encore entièrement soumise à l'esprit,
ne soient les plus fortes.
Mais qu'est-ce que
cette vie, pleine de tribulations
et de misères, toute semée d'embûches? Une affliction
ou une tentation disparaît, une autre lui succède;
un combat n'est même pas encore achevé que d'autres
ennemis surviennent à l'improviste.
4. Comment peut-on attacher du prix à une vie
qui offre tant d'amertumes, tant de souffrances?
Comment peut-on même donner le nom de vie à ce
qui n'engendre que douleur et mort? Et cependant,
chacun l'aime, et beaucoup y cherchent leur bonheur!
On reproche souvent au monde d'être vain et
trompeur; et toutefois on le quitte difficilement,
parce qu'on est encore soumis aux convoitises de la
chair. Certaines choses nous inclinent à aimer le
monde, d'autres à le mépriser. Ce qui nous fait aimer
le monde, c'est le désir de la chair, le désir des yeux
et l'orgueil de la vie (1 Jean 2,16) tandis que les justes
châtiments et les misères qui en découlent nous
empêchent de nous laisser abuser par ses illusions.
5. L'âme entièrement livrée au monde ne peut
échapper à l'esclavage des sens, parce qu'elle n'a jamais
connu ni goûté la suavité de Dieu, ni le charme
intérieur de la vertu. Mais ceux qui méprisent parfaitement
les plaisirs d'ici-bas et s'efforcent de vivre en
Dieu dans une sage discipline n'ignorent pas la divine
douceur promise à ceux qui renoncent vraiment à eux-mêmes.
Chapitre
21
PLACER SON REPOS EN DIEU
PLUS QUE DANS TOUT AUTRE BIEN
1.
O mon âme, cherche à placer ton repos en
Dieu, en tout et par-dessus tout, parce que c'est lui le
repos éternel des saints. O Seigneur, donne-moi
de me reposer en toi plus qu'en toutes les créatures,
plus que dans la santé et la beauté, les honneurs et la
gloire, plus que dans toute puissance et dignité, les
richesses et les arts, plus que dans les plaisirs et la
joie, la renommée et la louange, la consolation et la
douceur, plus qu'en tout espoir ou promesse, plus
même que dans les dons et toutes les récompenses
que tu peux donner, plus que dans l'allégresse et la
joie que l'âme peut concevoir et ressentir, plus enfin
que dans les anges, les archanges, toute l'armée des
cieux, plus qu'en toutes les choses visibles et invisibles,
plus qu'en tout ce qui n'est pas toi-même, ô mon Dieu!
2. Car toi, o Seigneur mon Dieu, toi seul es infiniment
bon, infiniment puissant; toi seul peux me
combler par ta plénitude, car c'est en toi que toute
chose atteint sa perfection, maintenant comme jadis
et pour l'éternité.
Ainsi, tout ce que tu m'accordes comme joies extérieures à toi,
tout ce que tu me découvres ou me
promets de toi-même, rien de cela ne pourra me satisfaire
si je ne peux te voir et te posséder pleinement. Car mon cœur
ne peut goûter le vrai repos ni
le vrai bonheur jusqu'à ce que, se libérant de toutes
les attaches terrestres, il se repose uniquement en
toi.
3. O Jésus, époux de mon âme, pur objet de mon
amour, roi de toutes les créatures, qui me donnera
les ailes d'une vraie liberté (Ps. 54,7) pour m'élever
vers toi? Quand me sera donné, Seigneur mon
Dieu, de voir et de goûter combien tu es suave et
doux? (Ps. 33,9). Quand serai-je totalement fondu
en toi et tellement pénétré de ton amour que je n'aie
plus conscience de ma propre existence et que je ne
vive plus que de toi, dans cette union ineffable qu'il
n'est pas donné à tous de connaître?
Maintenant, je ne sais que gémir et porter avec
peine mon fardeau car, dans cette vallée de larmes,
je rencontre sur mon chemin bien des maux qui me
troublent, m'affligent et m'aveuglent; souvent, ils
me distraient et m'entraînent loin de toi, m'attirent
et m'enchaînent, me barrant la route vers toi et me
privant de ta délicieuse intimité.
Sois touché par ma misère et ma désolation sur
cette terre!
4. O Jésus, splendeur de la gloire éternelle (Hébr. 1,3),
réconfort de l'âme exilée: devant toi toute parole
est déficiente, et c'est mon silence rempli d'adoration
qui te parle.
Mon Seigneur tardera-t-il longtemps à venir?
Qu'il s'abaisse jusqu'à ce pauvre qui lui appartient,
et qu'il lui rende la joie; qu'il étende la main pour
relever un malheureux plongé dans l'angoisse!
Viens, viens! Sans toi, tous les jours, toutes les
heures s'écoulent dans la tristesse, parce que tu es ma
joie. Je serai malheureux com me un prisonnier dans
ses fers, tant que tu ne me réconforteras pas de ta
présence, tant que tu ne me rendras pas la liberté en
me montrant ton aimable visage.
5. Que d'autres cherchent en dehors de toi ce qui
leur plaît! Pour ma part, rien ne me plaît ni ne me
plaira jamais si ce n'est toi, mon Dieu, mon espérance,
mon salut éternel.
Je ne me tairai pas, je ne cesserai pas de prier jusqu'à
ce que tu m'accordes à nouveau ta grâce et que
tu me parles intérieurement.
6. Me voici! Je viens à toi parce que tu m'as appelé
du plus profond de ton cœur. Tes larmes et la
soif de ton âme humiliée m'ont ému et ramené vers toi.
7. J'ai invoqué ton nom, Seigneur, je t'ai désiré,
prêt à tout abandonner pour toi. Mais c'est toi qui le
premier m'as incité à te chercher. Sois donc béni
d'avoir témoigné de cette bienveillance envers ton
serviteur, selon ton infinie miséricorde!
Que peut-il te dire encore, et quel recours lui restet-il,
sinon celui de s'humilier profondément en ta
présence, se souvenant toujours de son néant et de
son iniquité?
Il n'est rien de semblable à toi dans tout ce que le
ciel et la terre renferment de plus merveilleux. Tes
œuvres sont parfaites. Tes jugements sont vrais (Ps. 18,10),
et ta providence gouverne l'univers (Is. 14,26).
Sois donc glorifiée, ô Sagesse du Père! Que mon âme,
ma bouche et toutes les créatures ensemble te
louent et te bénissent à jamais!
Chapitre
22
LE SOUVENIR DES BIENFAITS DE DIEU
1.
Ouvre mon cœur à ta loi, Seigneur, et enseigne-moi à
marcher dans la voie de tes commandements (2 Mach. 1,4).
Fais que je connaisse ta volonté, et que je me rappelle
avec respect et attention tous tes bienfaits, afin
de t'en rendre grâce comme il convient.
J'avoue cependant que je ne serai jamais capable
de te remercier et te louer dignement, car je ne méritais
pas tous les biens que tu m'as accordés; et quand
je considère ta générosité, mon esprit s'en trouve
comme anéanti.
2. Notre corps et notre âme, tous les biens naturels
et surnaturels que nous possédons au-dehors et au-dedans
de nous, tout cela, nous te le devons, Dieu généreux,
tendre et bon, de qui nous avons tout reçu.
L'un a reçu plus, un autre moins, mais tout est à
toi, et sans toi rien ne peut exister. Celui qui a reçu
davantage ne doit ni se glorifier de son mérite, ni
s'élever au-dessus des autres, ni mépriser celui qui a
reçu une moindre part; et le meilleur d'entre tous sera
celui qui se jugera modestement et qui rendra grâce
avec le plus d'humilité et de reconnaissance.
Et quant à celui qui s'estimera le plus vii et le plus
indigne de tous, c'est encore celui-là qui méritera le
plus de recevoir de grands bienfaits.
3. Mais celui qui a été moins bien partagé ne doit
ni s'affliger ni se plaindre, ni envier le plus riche;
qu'il te regarde, qu'il loue de toute son âme ta bonté
toujours prête à répandre gratuitement l'abondance
de ses dons.
Tout vient de toi, et ainsi, tu dois être loué dans
chaque chose. Tu sais ce qu'il convient de donner à
chacun. Pourquoi l'un a-t-il été mieux pourvu que
l'autre? Ce n'est pas à nous de répondre à cette question.
4. C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde
comme un grand bienfait que tu ne m'aies accordé
que peu de ces dons qui se manifestent à l'extérieur,
attirant les louanges et l'admiration des hommes.
Et ainsi, quand on considère sa pauvreté et sa
faiblesse, loin d'en être abattu et attristé, on doit
plutôt en ressentir un grand réconfort et une grande
joie; car toi, mon Dieu, tu as choisi pour tes
serviteurs et tes amis les pauvres, les humbles, ceux qui
sont méprisés ici-bas.
Témoins tes
apôtres eux-mêmes, que tu as établis
princes sur cette terre (Ps. 44,17). Ils vécurent sur
la terre sans se plaindre, si humbles et si simples, si
loin de toute malice et de toute ruse, qu'ils se réjouissaient
de souffrir les outrages en ton nom (Act. 5,41).
5. Rien ne doit remplir davantage d'allégresse celui qui t'aime
et reconnaît tes bienfaits que l'accomplissement de ta volonté
et de tes desseins éternels à son sujet.
Il doit y trouver du contentement, un tel stimulant
qu'il recherchera dès lors la dernière place avec
le même empressement que d'autres mettent à rechercher
la première et que, toujours prêt à supporter
le mépris et l'humiliation, il s'estimera aussi
heureux d'être sans nom, sans réputation, que les
autres de jouir des honneurs et des dignités du
monde. Car il doit placer le respect de ta volonté et
l'amour de ton honneur au-dessus de tout, et y puiser
plus de courage et de joie que dans tous tes
bienfaits passés et à venir.
Chapitre
23
QUATRE CHOSES
QUI APPORTENT UNE GRANDE PAIX
1. Je vais
t'indiquer maintenant la voie de la paix
et de la vraie liberté.
2. Parle, Seigneur; je me réjouis de t'entendre.
3. Applique-toi à faire la volonté d'autrui plutôt
que la tienne.
Efforce-toi de dédaigner les richesses plutôt que
de chercher à posséder davantage.
Choisis toujours la dernière
place, après tout le
monde.
Souhaite toujours voir la volonté de Dieu s'accomplir
parfaitement en toi.
Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et
du repos.
4. Seigneur, ces quelques mots renferment le secret
pour atteindre à la perfection. Il est vite énoncé,
mais plein de sens et riche en fruits. Et si je
l'observais fidèlement, je ne me laisserais pas si facilement
troubler.
En effet, toutes les fois qu'il m'arrive de perdre
le calme et la paix, j'avoue que c'est pour m'être
écarté de ces principes. Mais toi qui peux tout et
qui désires toujours le progrès des âmes, fortifie en
moi le pouvoir de ta grâce, afin que je puisse suivre
tes conseils et parvenir au salut.
PRIÈRE CONTRE LES MAUVAISES PENSÉES
5. Seigneur, mon Dieu, ne t'éloigne pas de moi!
Mon Dieu, viens vite à mon secours! (Ps. 70,12), car
une foule de pensées perverses m'ont assailli, et de
grandes frayeurs agitent mon âme.
Comment me heurter à tant d'ennemis sans recevoir
de blessures? Comment les vaincre? Tu dis, Seigneur:
Je marcherai devant toi et j'humilierai les
puissants de la terre, j'ouvrirai les portes de ta prison
et je te révélerai les mystères cachés (Is. 45,2-3).
Accomplis ta parole, Seigneur, afin que toutes
mes mauvaises pensées fuient devant ton visage.
Mon unique espoir et mon unique réconfort, c'est de
me réfugier vers toi dans toutes les épreuves, de me
confier à toi, de t'invoquer de tout mon cœur et
d'attendre patiemment que tu viennes à mon secours.
PRIÈRE POUR DEMANDER LA LUMIÈRE
6. Eclaire mon
cœur, o Jésus, et dissipe toutes les
ténèbres qui y habitent. Mets fin à mes errements et
brise la violence des tentations qui m'assaillent.
Combats à mes côtés pour mettre en fuite les désirs
impurs, afin que la paix soit établie sur ta puissance
(Ps. 121,7), et que sans cesse tes louanges retentissent
dans une conscience pure et remplie de clarté. Commande
aux vents et aux tempêtes; dis à la mer: "Apaise-toi"; à l'aquilon:
"Ne souffle plus", et il
se fera un grand calme (Marc 4,39).
7. Envoie ta lumière et ta vérité (Ps. 42,3) pour
qu'elles resplendissent sur le monde, car sans elles, je
resterai aussi pauvre et desséché qu'une terre stérile.
Accorde-moi ta grâce en faisant couler sur cette terre
aride l'eau si féconde de la dévotion, pour qu'elle
produise enfin de bons fruits. Relève mon âme accablée
sous le poids de ses péchés; que tous mes désirs
soient tournés vers le ciel, afin qu'ayant goûté les délices
des biens éternels, je n'éprouve plus que de l'amertume
pour les plaisirs de ce monde.
8. Détache-moi de tous les vains attraits d'ici-bas
où rien ne peut satisfaire ni rassasier pleinement mon
cœur. Unis-moi à toi par l'indissoluble lien de
l'amour, car toi seul suffis à celui qui t'aime.
Chapitre
24
NE PAS MANIFESTER DE CURIOSITÉ
SUR LA VIE DES AUTRES
1. Ne te montre pas curieux et ne t'encombre pas
d'inutiles sollicitudes. Que t'importe ceci ou cela?
Suis-moi! (Jean 21,22).
Que t'importe que ton voisin vive comme ceci ou
comme cela, et qu'un autre parle ou agisse de telle ou
telle façon? Tu n'as pas à répondre des autres, mais
de toi-même; de quoi donc te mêles-tu?
Moi, je connais tous les hommes; je vois tout ce
qui se passe sous le soleil, et je sais de quoi est fait
chacun, ce qu'il pense, ce qu'il veut, à quoi visent ses
efforts. C'est pourquoi tu dois tout me confier et
demeurer bien en paix. Laisse ceux qui s'agitent
disperser ainsi inutilement leurs forces. Ils devront
me rendre compte de leurs actes et de leurs paroles,
car ils ne peuvent espérer me tromper.
2. Ne cherche ni l'éclat d'un grand nom, ni la popularité,
ni l'amitié particulière d'aucune personne,
car tout cela égare l'esprit et distrait grandement
l'âme de son devoir.
J'aimerais te faire entendre ma parole plus souvent si,
lorsque je viens à toi, je te trouvais plus attentif
et prêt à m'ouvrir la porte de ton cœur.
Veille, prie sans cesse, reste prudent et humble en
toutes choses.
Chapitre
25
LA VRAIE PAIX
ET LE PROGRÈS SPIRITUEL RÉEL
1. J'ai dit:
Je vous laisse la paix, je vous donne
ma paix; je ne vous la donne pas comme le monde
la donne (Jean 14,27).
Tout le monde désire la paix, mais rares sont
ceux qui s'attachent à rechercher ce qui procure la
paix véritable.
Ma paix appartient à ceux qui sont doux et humbles
de cœur; ce n'est qu'au prix d'une grande patience
que tu pourras acquérir ma paix. Si tu
m'écoutes et si tu obéis à ma voix, tu jouiras d'une
paix profonde.
2. Seigneur, que faut-il donc que je fasse?
3. Veille en toutes choses à tes actes et à tes paroles.
N'aie d'autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne désire et ne recherche rien en dehors de moi.
Pas de jugements téméraires sur la conduite des
autres. Ne te mêle jamais de ce qui ne te regarde
pas si tu veux vivre dans la tranquillité.
4. Ne ressentir jamais aucun trouble, n'éprouver
aucune peine dans son cœur, aucune souffrance
dans son corps, tout cela n'appartient pas à la vie
présente: c'est l'état du repos éternel.
Ne t'imagine donc pas avoir trouvé la véritable
paix lorsque tu ne rencontres aucune contrariété ou
lorsque tu ne te heurtes à aucune opposition, ni
avoir atteint à la perfection lorsque tout se réalise
selon tes désirs.
Ne te crois pas non plus devenu l'objet d'un
amour spécial quand tu éprouves la douceur d'une
vive dévotion, car ce n'est pas par là que l'on reconnaît
l'homme véritablement épris de vertu, ni en
cela que consiste le progrès de l'âme.
5. En quoi donc consiste-t-il, Seigneur?
6. A te livrer de tout ton cœur à la volonté divine,
sans te poser de questions d'aucune sorte, à aucun
moment, de sorte que tu embrasses d'un même regard
les biens et les maux et que tu m'en rendes
grâce indistinctement.
Si tu demeures si ferme, si constant dans l'espérance que,
privé intérieurement de tout réconfort,
tu prépares ton cœur à résister à des épreuves plus
dures encore, si tu ne cherches jamais à te justifier
comme si tu ne méritais pas de tant souffrir, mais si
tu reconnais au contraire ma justice et si tu loues
ma sainteté dans tout ce que j'ordonne, alors tu es
dans la bonne voie, la véritable voie de la paix, et
tu peux avec assurance espérer revoir mon visage
dans l'allégresse (Job 33,26).
Et si tu parviens à un parfait renoncement à toi-même,
sache que tu jouiras alors d'une'paix aussi
complète qu'il est possible sur cette terre d'exil.
Chapitre
26
ON ACQUIERT LA LIBERTÉ DE L'ESPRIT
PAR LA PRIÈRE PLUS QUE PAR LA LECTURE
1.
Seigneur, c'est la preuve d'un homme parfait
de ne jamais détourner son cœur des choses célestes,
d'échapper à de multiples entraves, non par indolence,
mais par le privilège d'un esprit libre qui
n'est enchaîné par aucune affection désordonnée.
2. Je t'en supplie, ô Dieu de bonté! Délivre-moi
des soucis de cette vie, pour qu'ils ne me prennent pas
dans leurs filets, des préoccupations excessives du
corps, pour qu'elles ne me détournent pas de toi, de
tous les obstacles qui troublent l'âme, afin que la
douleur ne m'abatte pas complètement. Je ne parle
pas seulement des biens futiles que recherche avidement
la vanité humaine, mais de toutes ces misères
liées à la condition humaine qui alourdissent et affligent
l'âme de ton serviteur, et l'empêchent de jouir
autant qu'il le voudrait de la liberté de l'esprit.
3. O mon Dieu, douceur ineffable! Change pour moi
en amertume toute satisfaction d'ici-bas qui me
détourne de l'amour des choses éternelles et m'entraîne
vers la possession d'un bien présent!
Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et
le sang, trompé par le monde et sa gloire passagère;
que je ne cède, ni au démon, ni à ses ruses.
Donne-moi la force pour résister, la patience pour
souffrir, la constance pour persévérer. Accorde-moi,
au lieu de tous les plaisirs du monde, la délicieuse intimité
de ton esprit; au lieu des passions mauvaises
de la terre, la passion de servir ton nom.
4. Les soins pourtant indispensables qu'il faut apporter
au corps peuvent devenir autant d'ennemis
pour une âme fervente. Permets donc qu'ils aient
pour moi le minimum d'importance.
Il n'est pas permis de se priver de tout, parce que
la nature a ses exigences, mais ce que ta sainte loi
m'interdit, c'est de rechercher le superflu qui mènerait
alors à la révolte de la chair contre l'esprit.
Que ta main, Seigneur, m'empêche de tomber
dans un de ces deux extrêmes, et qu'elle me fasse
garder la juste mesure partout et toujours.
Chapitre
27
L'AMOUR-PROPRE
EST UN PUISSANT ENNEMI
1. Il te faut tout donner et ne rien garder qui t'appartienne.
Sache que l'amour de toi-même t'est plus nuisible
que tout. Tu es lié à chaque chose en fonction de
l'amour et de l'attachement que tu lui portes. Si
ton amour est pur et simple, tu ne deviendras jamais
esclave de rien.
Ne désire pas ce qu'il ne t'est pas permis d'avoir
et renonce à ce qui peut te priver de ta liberté intérieure.
Il est étrange que tu ne t'abandonnes pas à moi
du fond du cœur, avec tout ce que tu peux désirer
ou posséder.
2. Pourquoi te laisser accabler par une vaine tristesse?
Pourquoi te tourmenter par des inquiétudes
superflues? Respecte seulement ma volonté et tu
n'auras à subir aucune adversité.
Si tu cherches ceci ou cela, si tu veux être ici ou
là, sans autre raison que de te satisfaire et de vivre
à ta guise, tu ne connaîtras jamais ni la paix ni le
repos, car en aucune chose ni en aucun lieu, tu ne
trouveras ce que tu cherches.
3. Ce qui nous est bon et nous sert, ce n'est
donc pas les biens que l'on peut acquérir et multiplier,
mais ce qu'on abandonne pour le Christ et
que l'on éloigne de son cœur. Il ne s'agit pas ici
seulement de l'argent et des richesses, mais encore
de la poursuite des honneurs et du désir de la gloire.
toutes choses qui passent avec le monde.
Tu ne trouveras de refuge nulle part si tu manques
de ferveur intérieure; et cette paix que tu
cherches au-dehors ne durera pas longtemps si elle
n'est pas enracinée dans ton cœur purifié, c'est-à-dire
si tu ne t'appuies pas sur moi. Tu peux changer
de lieu, mais non t'améliorer. Car, entraîné par
l'occasion qui se présentera, tu tomberas à nouveau
sur ce que tu avais fui, ou pis encore.
PRIÈRE
POUR DEMANDER LA PURETÉ ET LA SAGESSE
4. Affermis-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit
Saint. Apporte-moi le secours intérieur de ta vertu,
afin que je bannisse toutes les vaines sollicitudes qui
me tourmentent; que je ne sois entraîné par aucun
désir méprisable; que je réalise pleinement combien
toutes choses passent vite et moi aussi comme elles.
Il n'y a rien d'éternel sous le soleil, et tout n'est
que vanité et affliction d'esprit (Eccl. 1,14).
5. Donne-moi, Seigneur, un peu de ta sagesse,
afin que j'apprenne à te chercher et à te trouver,
à t'apprécier et à t'aimer par-dessus tout, et à
n'accorder à tout le reste que peu d'importance,
selon le rang que tu as toi-même assigné à chaque valeur.
Donne-moi la prudence de m'éloigner de ceux qui
me flattent, et la patience de supporter ceux qui
s'élèvent contre moi. Car c'est une grande sagesse de
ne pas prêter attention aux discours de chacun, et
de ne pas écouter d'une oreille complaisante les paroles
dangereuses des flatteurs. C'est ainsi que l'on
peut progresser sûrement dans la voie où l'on est entré.
Chapitre
28
CONTRE LA MÉDISANCE
1.
Ne t'offense pas si certains ont mauvaise opinion
de toi et répandent à ton sujet des propos que tu
n'aimes pas entendre. Tu dois penser encore plus mal
de toi-même, et croire que personne n'est plus faible
que toi.
Si tu sais atteindre à un profond
recueillement intérieur,
tout cela ne te touchera pas. Ce n'est pas faire
preuve d'une lâche prudence que de te taire dans l'adversité,
de te tourner vers moi, et de ne pas te laisser
troubler par les jugements des hommes.
2. Que ta paix n'en dépende pas! Qu'ils jugent
bien ou mal ta conduite, tu n'en demeureras pas
moins ce que tu es. Où résident la véritable paix et la
véritable gloire? N'est-ce pas en moi?
Celui qui ne désire pas plaire aux hommes, et qui
ne craint pas de leur déplaire jouira d'une grande
paix.
C'est de l'amour désordonné et des craintes vaines
que naissent l'inquiétude du cœur et la dissipation des
sens.
Chapitre
29
INVOQUER ET BÉNIR
DIEU DANS L'ÉPREUVE
1.
Que ton nom, Seigneur, soit béni à jamais d'avoir
voulu m'éprouver par celle tentation. Et puisque
je ne peux plus l'éviter, il faut me réfugier en
toi pour que tu m'aides et la fasses tourner à mon bien.
Seigneur, me voici dans la peine! Mon cœur
malade est tourmenté par la passion. Et maintenant, ô Père
aimé, que dirai-je? Les angoisses
m'ont environné. Sauve-moi de cette heure! (Jean 12,27).
Mais
cette heure est venue justement pour que ta
gloire se manifeste dans mon humiliation et ma délivrance.
Seigneur, qu'il te plaise de me secourir, car que
puis-je faire, et où irais-je sans toi?
Seigneur, donne-moi la patience encore cette
fois! Aide-moi, mon Dieu, et je ne reculerai plus
devant le poids de mon fardeau.
2. Et maintenant, au milieu de l'épreuve, que
dirai-je encore? Seigneur, que ta volonté soit
faite! (Mt. 6,10). J'ai bien mérité cette punition.
Il faut donc que je la supporte avec patience, jusqu'à ce
que la tempête soit passée et que le calme revienne.
Ta main toute-puissante peut éloigner de moi
cette tentation ou en atténuer la violence afin que je
n'y succombe pas, comme tu as déjà consenti tant
de fois à le faire pour moi, ô Dieu de miséricorde!
Et autant cela serait difficile pour moi, autant cela
t'est facile, car c'est l'œuvre de la droite du Très-Haut.
Chapitre
30
IL FAUT INVOQUER LE SECOURS DE DIEU
ET ATTENDRE AVEC CONFIANCE SA GRÂCE
1. Je suis le Seigneur; c'est moi qui donne la force
au jour de la tribulation (Nah. 1,7). Viens à moi
quand tu sentiras ton courage faiblir.
Ce qui te prive le plus de mon aide, c'est que tu as
recours trop tard à la prière; car, avant de t'adresser
à moi, tu cherches à l'extérieur d'autres soulagements à
ta peine, mais qui restent sans résultat.
Tu dois reconnaître que c'est moi seul qui délivre
ceux qui espèrent en moi (Ps. 16,7), et que en dehors
de moi, il n'est pas de secours efficace, ni de décision
utile, ni de remède durable.
Mais à présent, relève la tête; la tempête est passée,
ranime-toi sous l'action de ma miséricorde, car
je suis près de toi pour te rendre tout ce que tu as
perdu, et beaucoup plus encore.
2. Y a-t-il quelque chose qui me soit difficile? (Jér. 32,27)
ou ressemblerais-je à ceux qui ne tiennent pas parole?
Garde une foi inébranlable et persévère sans te lasser,
courageusement: le réconfort viendra en son temps.
Attends-moi: Je viendrai et je te guérirai (Mt. 8,7).
Ce qui te trouble est une tentation,
et ce qui t'effraye
une crainte vaine. Que t'apporte l'examen d'un
avenir incertain, sinon un surcroît d'inquiétude? A
chaque jour suffit sa peine (Mt. 6,34).
Quoi de plus insensé, de plus déraisonnable, que
de se réjouir ou de s'affliger de choses futures qui
n'arriveront peut-être jamais?
3. C'est un effet de la misère humaine que d'être
le jouet de l'imagination; c'est la marque d'une âme
encore faible que de céder si facilement aux
suggestions du démon, pour qui tous les moyens sont
bons pour vous séduire et vous faire tomber dans ses pièges.
Que ton cœur donc ne se trouble pas et ne craigne
rien. Crois en moi et aie confiance en ma miséricorde
(Jean 14,27).
Lorsque tu te crois éloigné de moi, c'est alors parfois
que je suis le plus près de toi. Quand tu penses
que tout est perdu, ce n'est souvent que l'occasion
pour toi d'un plus grand mérite.
Tu ne dois pas juger selon l'impression du moment
ni t'abandonner à aucune douleur quelle qu'en soit
la cause, en te laissant complètement abattre comme
s'il ne te restait nul espoir de t'en débarrasser.
4. Ne crois pas que je te délaisse tout à fait quand
tu ressens quelque tourment passager ou quand je ne
t'accorde pas le réconfort que tu désires. Il vaut
mieux pour toi, comme pour tous les autres serviteurs, être
éprouvé par l'adversité que d'obtenir tout
selon ton bon plaisir.
Je connais tes pensés cachées et je sais qu'il est
souvent utile pour ton salut que la vie t'apporte plus
d'amertume que de succès, afin que tu n'entretiennes
pas une vaine complaisance à ton égard.
Ce que je t'ai donné, je peux te l'ôter et te le rendre
quand il me plaît.
5. Ce que je te donne m'appartient; ce que je reprends
ne t'appartient pas, car c'est de moi que vient tout bien et tout don parfait (Ep. Saint Jacques 1,17).
Si je t'envoie quelque peine ou quelque contrariété,
ne te laisse pas emporter par l'indignation, ni
abattre, car je peux en un instant te délivrer de ton
fardeau et changer la tristesse en joie.
6. Si tu te laisses guider pas la sagesse et la vérité,
rien ne pourra jamais te vaincre; au contraire, tu te
réjouiras de tes épreuves et tu m'en rendras grâce. Et
ce doit être même ton unique joie que de voir que je
te frappe sans t'épargner.
Comme mon Père m'a aimé, moi aussi je vous
aime (Jean 15,9), ai-je dit à mes disciples en les envoyant
dans le monde, non pour en goûter les joies,
mais pour soutenir de grands combats; non pour en
recevoir les honneurs, mais pour en souffrir le mépris;
non pour vivre dans l'oisiveté, mais dans le travail;
non pour se reposer, mais pour porter beaucoup
de fruits par la patience (Luc 8,15; Jean 15,16).
Souviens-toi de ces paroles.
|