Le Saint Rosaire
back

Livre Troisième

Chapitre 31

IL FAUT DÉPASSER TOUTE CRÉATURE
POUR TROUVER LE CRÉATEUR

1. Seigneur, j'ai besoin d'une grâce plus grande pour parvenir à cet état où rien ne me soit plus un obstacle. Car, tant que quelque chose me retient, je ne peux pas m'élancer jusqu'à toi.
Il aspirait à cette liberté, celui qui disait: Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je volerai et je me reposerai? (Ps. 54,7).
Quoi de plus profondément paisible qu'un regard simple? Et quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre?
Il faut donc s'élever au-dessus de l'agitation du monde dans la contemplation spirituelle pour te découvrir dans la création, et comprendre que ta puissance est inégalable.
Tant que l'on reste encore lié à quelque bien terrestre, on ne saurait s'employer librement au service de Dieu. Et c'est pourquoi on trouve peu de contemplatifs, car il est très difficile de se dépouiller totalement de son attachement aux choses d'ici-bas.

2. Il faut pour cela l'aide d'une grande grâce qui soulève l'âme et la ravisse au-dessus d'elle-même. Et tant que l'homme n'est pas élevé ainsi en esprit, parfaitement uni à Dieu, tout ce qu'il peut connaître ou posséder est comme rien.
Celui qui estime qu'il existe quelque chose de grand hors du Bien unique, immense, éternel, ne pourra jamais s'élever, car tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et doit être compté pour rien.

Il y a une grande différence entre la sagesse d'un homme que l'Esprit Saint éclaire, et la science qu'on acquiert par l'étude. La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-même répand dans l'âme est bien supérieure à celle qu'on acquiert par des moyens humains.

3. Beaucoup désirent atteindre à la contemplation, mais ignorent les moyens d'y parvenir. Le grand obstacle consiste à s'arrêter à ce qui touche les sens et à ne s'occuper que peu de la véritable mortification.
Je ne sais quel esprit nous conduit, ni à quoi nous prétendons, nous autres qu'on regarde comme des hommes menant une vie spirituelle! Nous nous acharnons par notre travail et des soins constants à rechercher des valeurs bien passagères, alors que nous sommes rarement totalement recueillis pour penser à notre état intérieur.

4. Hélas! A peine sommes-nous rentrés en nous-mêmes que nous nous hâtons de nous tourner à nouveau au-dehors sans examiner sérieusement nos actes.
Nous ne considérons pas jusqu'où nous entraînent nos affections, et nous ne gémissons pas sur tout ce qu'il y a d'impur en nous. Toute chair avait corrompu sa voie (Gen. 6,12), et c'est pour cela que Dieu punit son peuple en lui envoyant le grand déluge.
Quand on est mené par un désir mauvais, l'action qui suit est nécessairement mauvaise, dévoilant ainsi toute notre faiblesse intérieure. Ce sont les cœurs purs qui portent de bons fruits.

5. On s'interroge sur la vie d'un homme, mais on s'inquiète peu de connaître ses intentions et sa vertu. S'il est puissant, riche, beau, habile, travailleur: voilà ce qu'on demande, et non s'il est humble, doux, patient, pieux, recueilli.
La nature ne considère que le dehors de l'homme; la grâce va aux réalités intérieures. La première se trompe souvent, la seconde est guidée par la main de Dieu.

Chapitre 32

ABNÉGATION ET ABANDON DE TOUT DÉSIR ÉGOÏSTE

1. Tu ne peux jouir d'une liberté parfaite si tu ne renonces entièrement à toi-même.
Ceux qui sont infatués d'eux-mêmes vivent en servitude. On les voit, avides, curieux, inquiets, recherchant toujours ce qui flatte leurs sens et non ce qui me plaît à moi, se repaissant d'illusions et formant mille projets qui se dissipent; car tout ce qui ne vient pas de moi périra.
Retiens bien ces paroles de sagesse: Quitte tout et tu trouveras tout. Renonce à la convoitise et tu trouveras le repos.
Médite-les, et quand tu les auras mises en pratique, tout s'éclairera pour toi.

2. Seigneur, ce que tu proposes ne peut être l'œuvre d'un jour car c'est là toute la perfection spirituelle.

3. Tu ne dois pas perdre courage lorsque tu entends parler de perfection, mais plutôt t'efforcer de parvenir à cet état sublime ou au moins y aspirer de tout ton cœur.
Ah! s'il en était ainsi de toi! Si tu en étais arrivé à ne plus t'aimer d'un mauvais amour, à être soumis à mes désirs et aux supérieurs que je t'ai donnés! Alors tu me deviendrais agréable et ta vie s'écoulerait dans la paix et la joie!

Il te reste encore à renoncer à bien des choses et, à moins que tu n'acceptes entièrement pour moi ces renoncements, tu n'obtiendras pas ce que tu demandes.
Ecoute mon conseil: Pour acquérir de vraies richesses, achète chez moi de l'or purifié au feu (Apoc. 3,18), c'est-à-dire la sagesse céleste qui fait fouler aux pieds tous les biens d'ici-bas. Qu'elle te soit plus chère que toute sagesse du siècle, que toute vaine complaisance pour les hommes et pour toi-même.

4. Je te l'ai dit: échange ce qu'il y a de plus grand et de plus précieux dans le monde contre ce qu'il y a de plus méprisé. Car rien n'est plus méconnu, plus oublié que la sagesse céleste, la seule qui ne tire pas orgueil d'elle-même et qui se passe de toute louange sur la terre; sagesse que beaucoup célèbrent en paroles et contredisent en actes. Elle est cette perle précieuse (Mt. 13,46) qui demeure cachée à la plupart des hommes.

Chapitre 33

INCONSTANCE DU CŒUR.
IL FAUT RAPPORTER A DIEU
TOUTES NOS INTENTIONS

1. Ne te fie pas à tes sentiments, car ils peuvent varier d'un moment à l'autre.
Tant que tu vivras, tu seras sujet au changement, même malgré toi; tour à tour joyeux et triste, calme et inquiet, fervent et tiède, tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt sérieux et tantôt léger.
Mais l'homme sage et instruit des voies spirituelles se tient au-dessus de ces changements. Il ne s'arrête pas à analyser ses états d'âme, mais dirige toute son intention vers la fin heureuse à laquelle il doit tendre.
C'est ainsi qu'au milieu du tourbillon d'événements divers, fixant sur moi seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours semblable à lui-même.

2. Plus on avance avec une intention pure, plus on passe facilement à travers les orages. Mais cette intention est souillée chaque fois que le regard se laisse accrocher par chaque objet agréable qu'il rencontre. Il est rare de trouver quelqu'un qui ne cède jamais à la dégradante recherche de soi-même.
Ainsi les Juifs étaient venus à Béthanie chez Marthe et Marie, non seulement pour voir Jésus, mais aussi pour voir Lazare (Jean 12,9).
Il te faut donc purifier tes intentions, afin que, simples et directes, elles se dirigent constamment vers moi, sans s'arrêter à des objets inférieurs.

Chapitre 34

ON NE PEUT EXPÉRIMENTER L'AMOUR DIVIN
QU'EN AIMANT DIEU PAR-DESSUS TOUT

1. Voici mon Dieu et mon tout! Que souhaiter de plus? Quel bonheur plus grand puis-je désirer? Oh! combien douce est cette parole pour celui qui aime Dieu et non pas le monde, ni rien de ce qui appartient au monde!
Mon Dieu et mon tout! ces mots suffisent à celui qui aime, et il lui est doux de les répéter souvent.
Oui, par ta présence, tu rends tout délectable; par ton absence, tout n'est qu'amertume. Car c'est toi qui rends mon cœur tranquille, qui lui donnes une paix profonde, une allégresse de fête. C'est toi qui me fais goûter la joie en tout ce qui m'arrive, et je veux te bénir pour cela.

Rien ne peut plaire longtemps sans toi. Pour qu'une chose soit bonne et savoureuse, il faut l'onction de ta grâce et le sel de ta sagesse.

2. Celui qui t'apprécie sera entièrement conquis; celui qui ne sait pas te goûter ne trouvera rien à son gré.
Les sages de ce monde, à qui ne plaisent que les convoitises de la chair, s'ensevelissent peu à peu dans leur sagesse, car on ne trouve là qu'un vide immense, que la mort.
Mais ceux qui, pour te suivre, méprisent le moment présent et mortifient leur chair, se montrent vraiment sages, car ils échangent la vanité contre la vérité, la chair contre l'esprit. Ceux-là savent goûter Dieu, et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur.
Combien est différente la valeur de l'éternité et celle du temps, de la lumière incréée et celle qui n'en est qu'un faible reflet!

3. O lumière éternelle, au-dessus de toute lumière créée, puisses-tu briller jusqu'au plus intime de mon cœur! Purifie, dilate, vivifie mon âme et accrois sa force pour qu'elle s'unisse à toi dans un élan de joie.
Oh! quand viendra cette heure heureuse et désirable où tu me rassasieras de ta présence qui me tiendra lieu de tout? Jusque-là, je ne connaîtrai aucun bonheur parfait.
Hélas! la trace du péché subsiste encore en moi: il n'est pas complètement vaincu, il n'est pas complètement mort! Les désirs charnels luttent encore fortement contre l'esprit, allumant en moi des révoltes intérieures et saccageant la paix de mon âme.

4. Mais toi qui commandes à la mer et qui calmes les flots, lève-toi, viens à mon secours! (Ps. 88,10; 43,26).
Disperse les nations qui veulent la guerre (Ps. 67,31), brise-les sous ta puissance!
Fais éclater, je t'en supplie, tes merveilles, et glorifie ton bras (Judith 9,11; Eccli. 36,7), car je n'ai d'espoir et de refuge qu'en toi, Seigneur mon Dieu.

Chapitre 35

IL N'Y A PAS D'ASSURANCE
CONTRE LA TENTATION EN CETTE VIE

1. Tu ne peux jamais avoir aucune sécurité en cette vie; tant que tu vivras, les armes spirituelles te seront toujours nécessaires.
Tu es environné d'ennemis, attaqué de droite et de gauche. Si tu ne te défends donc de tous côtés avec le bouclier de la patience, tu ne resteras pas longtemps sans blessures. De plus, si ta force et ta volonté ne sont pas fixées en moi, avec la ferme volonté de tout souffrir en mon nom, tu ne pourras soutenir la violence de ce combat ni obtenir une place parmi les bienheureux.
Il faut donc que tu passes courageusement à travers tous les obstacles en les repoussant d'une main ferme. La manne est donnée aux victorieux (Apoc. 2,17), alors qu'une grande misère sera le lot des lâches.

2. Si tu cherches le repos ici-bas, comment parviendras-tu au repos éternel? Ne recherche pas la véritable paix sur la terre, mais dans le ciel, ni dans les hommes ni dans aucun être, mais en Dieu seul.
Pour l'amour de Dieu, tu dois tout supporter avec joie: labeurs et peines, tentations, vexations, angoisses, privations, infirmités, injures, médisances, humiliations, affronts, mépris. Comme prix d'une courte épreuve, je te donnerai une récompense éternelle, et pour une humiliation passagère, une gloire infinie.

3. Crois-tu que tu disposeras toujours de réconfort spirituel? Mes saints n'en ont pas joui constamment, mais ils ont enduré beaucoup de tourments, des épreuves, des tentations diverses, des revers multiples.
Ils ont été en tout cela soutenus par la patience, confiants en la miséricorde divine et sachant que les souffrances du temps présent ne sont pas comparables à la gloire future qui doit en résulter (Rom. 8,18).

Voudrais-tu donc avoir tout de suite ce que tant d'autres n'ont obtenu qu'après beaucoup de larmes et de souffrances?
Attends le Seigneur et agis avec courage (Ps. 26,14); reste ferme, ne crains rien, ne recule pas, mais offre généreusement ta vie pour la gloire de Dieu. Et moi, je te récompenserai pleinement, et je serai avec toi dans toutes tes tribulations (Ps. 90,15).

Chapitre 36

CONTRE LES VAINS JUGEMENTS DES HOMMES

1. Tourne résolument ton cœur vers le Seigneur et ne crains pas le jugement de ton prochain si tu sais ta conscience pure. Il est bon de souffrir ainsi, et cela ne sera pas pénible pour le cœur humble qui met sa confiance en Dieu, non en lui-même.
On parle tant qu'on doit accorder peu d'importance à tout ce qui se dit. On ne saurait d'ailleurs faire plaisir à tout le monde.
Tout en essayant de plaire à Dieu et de se faire tout à tous (1 Cor. 9,22), l'apôtre Paul s'inquiétait fort peu des jugements des hommes.

2. Il déploya d'innombrables efforts pour l'édification et le salut des autres, mais ne put éviter d'être parfois jugé et méprisé. C'est pourquoi il s'en remit entièrement à Dieu et ne se défendit que par l'humilité et la patience contre les propos envenimés, les soupçons et les mensonges de ceux qui s'abandonnaient dans leurs discours aux excès de la passion. Il se justifia cependant quelquefois, afin que les faibles ne fussent pas scandalisés par son silence.

3. Qu'as-tu à redouter d'un homme mortel? (Is. 51,12). Il existe aujourd'hui, et demain, il aura disparu. Si tu ne crains que Dieu, les hommes ne te feront pas trembler.
Que peuvent contre toi les paroles ou les injures d'un homme? Il se nuit à lui-même plus qu'à toi et, quel qu'il soit, il n'évitera pas le jugement de Dieu.

Quant à toi, garde toujours les yeux fixés sur le Seigneur et laisse là les querelles et les disputes.
Si cependant l'épreuve te semblait dépasser la mesure de tes forces et que tu te sentes sur le point de succomber, tu ne devrais pas te plaindre, de peur de voir diminuer par ton impatience la récompense qui t'est promise au ciel. Lève plutôt les yeux vers moi, qui suis assez puissant pour te délivrer de toute confusion et injustice et rendre à chacun selon ses œuvres (Rom 2,6).

Chapitre 37

RENONCER ENTIÈREMENT A SOI-MÊME
POUR OBTENIR LA LIBERTÉ DU CŒUR

1. Renonce à toi-même si tu veux me trouver. N'aie rien à toi, pas même ta volonté, et tu y gagneras toujours. Car, dès que tu te donnes sans te reprendre, une grâce toujours plus grande t'est accordée.

2. Seigneur, comment dois-je renoncer à moi-même et combien de fois?

3. Toujours et à toute heure, dans les plus petits détails comme dans les circonstances les plus importantes. Je n'excepte rien; c'est en toutes choses que je veux te trouver dans un complet dénuement. Comment pourrais-je t'appartenir si tu n'es pas dépouillé au-dedans et au-dehors de toute volonté propre?
Plus tôt tu parviendras à ce renoncement, plus grand en sera ton profit; et plus il sera entier et sincère, plus tu me seras agréable.

4. Certains renoncent à eux-mêmes, mais avec quelques réticences, et parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore s'occuper eux-mêmes de tout ce qui les touche.
D'autres commencent par tout donner, mais quand la tentation survient, ils reprennent ce qu'ils avaient offert, et c'est pourquoi ils ne peuvent accomplir aucun progrès dans la vertu.
Mais ni les uns ni les autres n'atteindront jamais la vraie liberté d'un cœur pur ni la faveur de mon amitié, car cela n'est donné qu'à ceux qui font le sacrifice continuel et entier de leur personne, sacrifice sans lequel on ne peut ni s'unir à moi, ni jouir de mes bienfaits.

5. Je te l'ai répété bien des fois et je te le répète encore: renonce à toi-même et tu bénéficieras d'une grande paix intérieure. Donne tout sans retenue, ne reprends rien, demeure fermement attaché à moi seul et je resterai à tes côtés. Ton cœur sera libre et les ténèbres n'auront aucune prise sur toi.
Que tes efforts, tes prières, tes désirs n'aient qu'un seul objet: être dépouillé de tout intérêt propre pour suivre Jésus Christ dans le plus parfait dénuement et mourir à toi-même afin de vivre pour moi éternellement. Alors, s'évanouiront toutes les pensées vaines, les inquiétudes inutiles, les soucis superflus, la peur et les passions excessives.

Chapitre 38

BIEN SE CONDUIRE DANS SES ACTIVITÉS EXTÉRIEURES
ET FAIRE APPEL A DIEU DANS LES DANGERS

1. En tous lieux, au milieu de toutes tes occupations extérieures, tu dois t'efforcer de garder la liberté intérieure, le contrôle de toi-même, de sorte que rien ne devienne pour toi un assujettissement.
Conserve sur ta conduite un empire absolu; sois-en le maître et non l'esclave. Affranchis-toi de toute servitude comme ceux qui ont choisi d'être enfants de Dieu et qui contemplent les richesses éternelles, par-delà les choses présentes, qui accordent à peine un regard à ce qui passe et ne quittent jamais des yeux ce qui durera toujours, qui, détachés des biens de ce monde, ne cèdent pas à leurs attraits, mais les utilisent plutôt à un bon usage selon le plan prévu par Dieu, le maître d'œuvre suprême qui n'a rien laissé au hasard.

2. Si en toutes circonstances, tu ne t'arrêtes pas aux apparences, à ce qu'on peut voir et entendre à l'extérieur, mais si tu fais plutôt un effort de recueillement pour consulter le Seigneur, tu recevras parfois sa réponse et tu en retireras de précieux enseignements pour le présent et le futur.
Ainsi, c'était toujours vers Dieu que Moïse allait chercher l'éclaircissement de ses difficultés et de ses doutes, et la prière était son unique secours contre les dangers et la méchanceté des hommes. Agis de même, et dans le secret de ton cœur, demande avec plus d'instance le secours de Dieu.

Si, comme il est écrit, Josué et les fils d'Israël furent trompés par les Gabaonites, c'est qu'ils n'avaient pas auparavant consulté le Seigneur (Josué 9,14) et que, trop confiants en leurs flatteuses paroles, ils se laissèrent prendre au piège d'une fausse pitié.

Chapitre 39

S'ABANDONNER A LA PROVIDENCE

1. Confie-moi toujours tes intérêts; j'en disposerai pour le mieux, au moment le plus favorable.
Attends patiemment que se manifeste ma volonté: tu en tireras grand avantage.

2. Seigneur, c'est avec une joie profonde que je m'en remets à toi en toutes choses, car mon affolement ne peut me mener à rien de bon. Oh! si seulement j'étais moins préoccupé de l'avenir et plus attentif à ta volonté souveraine!

3. L'homme souvent poursuit avec ardeur une chose qu'il désire: mais à peine l'a-t-il obtenue qu'il est déjà déçu, car ses sentiments ne sont pas durables et varient sans cesse.
Le renoncement à soi-même n'est pas chose aisée, même dans les plus petits détails.

4. Le vrai progrès d'un homme, c'est d'oublier jusqu'à sa propre existence; l'homme qui n'y est plus attaché devient libre et fort.
Cependant, le tentateur, qui s'oppose à tout bien, ne cesse pas de le harceler, de dresser nuit et jour des embûches pour le surprendre et le faire tomber dans ses pièges.
Veillez donc et priez, dit le Seigneur, afin que vous n'entriez pas en tentation (Mt. 26,41).

Chapitre 40

L'HOMME NE POSSÈDE RIEN DE BON PAR LUI-MÊME
ET NE PEUT SE GLORIFIER DE RIEN

1. Seigneur, qu'est-ce donc que l'homme, pour que tu te souviennes de lui? Et qu'est-ce que le fils de l'homme pour que tu le visites? (Ps. 8,5).
Qu'est-ce que l'homme a pu mériter pour que tu lui aies donné ta grâce? Seigneur, ai-je le droit de me plaindre si tu me délaisses, si tu n'exauces pas mes vœux? Je ne peux vraiment penser et dire que ceci: Seigneur, je ne suis rien, je ne peux rien, je n'ai rien de bon en moi-même, je sens en tout ma faiblesse qui me pousse vers le néant.

Si tu ne m'aides et ne fortifies mon âme, je ne pourrai pas poursuivre seul mon chemin.

2. Toi, Seigneur, tu es toujours le même (Ps. 101,28).
Tu demeures éternellement, toujours bon, juste et saint et disposant tout avec sagesse. Mais moi qui, par nature, penche plutôt vers le mal que vers le bien, je ne demeure pas longtemps dans le même état et mon cœur est aussi inconstant qu'une feuille agitée par le vent.

Cependant, tout peut se transformer dès que tu le voudras et dès que tu me tendras une main secourable, car tu peux me secourir et affermir ma volonté afin que je ne sois plus sujet à tous ces changements, et que je me tourne vers toi seul pour m'y reposer entièrement.

3. Si je savais rejeter tout réconfort humain, alors je pourrais tout espérer de ta grâce et me réjouir d'une nouvelle récompense.

4. Béni sois-tu, car tout ce qui m'arrive de bien vient de toi. Devant toi, je ne suis que vanité et néant. De quoi puis-je donc me glorifier? Comment puis-je désirer qu'on m'estime? Quelle chimère insensée!
Il est sûr que la vaine gloire est la plus grande des folies et un mal terrible puisqu'elle nous éloigne de la véritable gloire et nous prive de la grâce céleste. Car dès qu'un homme se complaît en lui-même, il cesse de t'être agréable, et en recherchant les louanges humaines, il s'éloigne des véritables vertus.

5. La vraie gloire et la joie authentique, c'est de se glorifier en toi et pas en soi-même, de se réjouir de ta grandeur et non de ses propres mérites.
Que ton nom soit loué et non le mien, qu'on vante tes œuvres et non les miennes; que ton saint nom soit béni et qu'aucune louange humaine ne parvienne jusqu'à moi!

Tu es ma gloire et la joie de mon cœur. En toi je me glorifierai et me réjouirai sans cesse, et non pas en moi, si ce n'est dans mes jaiblesses (2 Cor. 12,5).

6. Je m'attacherai à mériter la seule approbation du Seigneur, car toute gloire humaine, tout honneur temporel, toute grandeur terrestre comparée à ta gloire éternelle n'est que poussière.
O ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu, Trinité bienheureuse! A toi seule sont dus toute louange, tout honneur et toute gloire pour l'éternité entière.

Chapitre 41

MÉPRIS DES HONNEURS TEMPORELS

1. Ne t'attriste pas en voyant les autres parvenir aux honneurs alors que tu es méprisé et humilié. Elève ton cœur vers moi et l'attitude des hommes à ton égard ne pourra plus t'émouvoir.

2. Seigneur, nous sommes aveugles et nous cédons facilement à la vanité. En considérant bien les choses, je vois que personne ne m'a jamais causé de tort, et j'ai encore moins de raison de me plaindre de toi.
J'ai si souvent et si gravement péché contre toi qu'il est juste que je ne rencontre sur ma route qu'hostilité et méfiance.
La honte et le mépris, voilà ma part, alors que la tienne n'est faite que de louanges et de gloire.
Si je ne me prépare pas à être traité ici-bas comme le dernier des hommes, je ne pourrai jamais obtenir la force intérieure, ni la lumière spirituelle, ni la parfaite union avec toi.

Chapitre 42

IL FAUT PLACER LA PAIX DE L'ÂME
AU-DESSUS DE LA VERSATILITÉ DES HOMMES

1. Si tu fais dépendre ta paix de quelque personne que tu aimes ou avec qui tu vis, tu n'éprouveras que difficultés et revers. Mais si tu cherches appui dans la vérité immuable et toujours vivante, tu ne te laisseras pas complètement abattre par le chagrin quand un ami t'abandonne ou disparaît.
Toute amitié doit être fondée sur moi, et c'est en mon nom que tu dois aimer tous ceux vers qui tu te sens attiré et qui te sont les plus chers en cette vie. Sinon, l'amitié demeure stérile et passagère, et toute affection dont je ne forme pas le lien n'est ni profonde, ni pure.
Tu dois être comme mort à ces inclinations humaines, à tel point de souhaiter n'avoir, s'il se pouvait, aucune attache sur cette terre.
Plus on s'approche de Dieu, plus on s'éloigne des joies du monde; et plus on monte vers Dieu, plus on descend dans le néant de soi-même.

2. Celui qui s'attribue quelque bien empêche la grâce de Dieu de venir en lui, parce que la grâce de l'Esprit Saint cherche toujours un cœur humble et libre.
Si tu parvenais à une abnégation parfaite de toi-même, alors je t'inonderais de ma grâce. C'est en gardant les yeux tournés vers les créatures que tu perds de vue le Créateur.
Apprends à te renoncer en tous points pour le Seigneur et tu pourras alors parvenir à la connaissance de Dieu. Le moindre petit objet auquel on reste attaché peut retarder et compromettre le progrès spirituel.

Chapitre 43

VANITÉ DE LA SCIENCE QUI S'ARRÊTE A ELLE-MÊME

1. Ne te laisse pas prendre au charme et à la beauté des discours des hommes, car le royaume de Dieu ne consiste pas dans les discours, mais dans la vertu (1 Cor. 4,20).
Sois attentif à mes paroles car elles réchauffent le cœur, illuminent l'esprit et remplissent l'âme de tendresse et la réconfortent.

Ne lis jamais dans le but de paraître plus savant ou plus sage. Tâche plutôt de vaincre tes défauts: cela te servira plus que la connaissance des questions les plus difficiles.

2. Après avoir beaucoup lu et appris, il te faudra toujours revenir à l'unique principe de toutes choses. C'est moi qui ai donné la science à l'homme; c'est moi qui fais éclore l'intelligence des petits enfants, mieux que tu ne le pourrais jamais par aucune autre méthode. Celui à qui je parle est vite instruit et accomplit un grand pas vers la connaissance divine.
Malheur à ceux dont l'esprit est curieux d'une foule de questions, mais qui s'inquiètent peu de savoir comment me servir!
Il arrivera un jour où Jésus Christ, le Maître des maîtres, le Seigneur des anges, viendra pour demander compte à chacun de ce qu'il sait, c'est-à-dire pour examiner les consciences. Et alors, la lampe à la main, il scrutera Jérusalem (Soph. 1,12); les secrets des ténèbres seront dévoilés (1 Cor. 4,5), et tout se taira devant lui.

3. C'est moi qui, en un moment, peux élever l'âme humble et lui faire pénétrer la vérité éternelle plus profondément que n'y parviendrait jamais personne par l'étude.
Moi, j'enseigne sans phrases solennelles, sans effets oratoires, sans arguments spécieux. J'apprends à mépriser les richesses terrestres, à dédaigner ce qui passe, à rechercher et à goûter les biens éternels, à fuir les honneurs, à supporter les humiliations, à mettre en moi toute espérance, à ne rien désirer hors de moi, et à m'aimer ardemment et par-dessus tout.

4. Quelques-uns, par cette voie, ont vu s'éclairer bien des secrets divins, dont ils ont parlé d'une manière admirable. La connaissance mystique porte ses fruits là où la science demeure presque toujours impuissante. Cependant, je donne aux uns une connaissance générale, à d'autres une connaissance particulière. A certains, je me manifeste par des symboles ou des signes, à d'autres, je révèle mes mystères dans une lumière éclatante.
Le texte d'un livre est le même pour tous, mais il n'instruit pas chacun de la même manière, car c'est moi qui suis le maître de la vérité, qui lis dans les cœurs, qui éclaire les pensées, qui conduis à l'action et qui répartis mes bienfaits comme il me plaît.

Chapitre 44

NE PAS PARTICIPER A L'AGITATION DU MONDE

1. Il te faut rester dans l'ignorance de beaucoup de choses; tu dois te considérer comme mort au monde, de même que le monde est mort pour toi.
Il faut aussi savoir faire la sourde oreille à bien des propos et penser plutôt à ce qui peut procurer la paix.
Il est préférable de ne pas discuter un point litigieux et de laisser à chacun son opinion, quelle qu'elle soit, plutôt que de se quereller.

Si tu restes fidèle à Dieu et à ses commandements, tu supporteras sans peine d'avoir tort aux yeux des autres.

2. Seigneur, comme je suis peu raisonnable! Je pleure une perte temporelle, je m'agite de tous côtés en vue d'un gain infime et j'oublie le préjudice spirituel que ma conduite m'a fait subir. Attentif à ce qui est inutile ou presque, je passe avec négligence sur ce qui est indispensable; ainsi, l'homme se laisse absorber tout entier par la vie matérielle et risque de s'y enliser rapidement, à moins qu'il ne parvienne dans le plus bref délai à rentrer en lui-même.

Chapitre 45

IL NE FAUT PAS SE LAISSER PRENDRE
AUX PAROLES QUI COMPTENT SI PEU

1. Seigneur, viens à mon secours dans l'épreuve, car le salut ne vient pas de l'homme! (Ps. 59,13).
Combien de fois j'ai été déçu et trahi là où je n'attendais que fidélité! Qu'il est donc vain de placer son espoir dans les hommes! Le salut des justes est en toi, mon Dieu; sois donc béni, Seigneur mon Dieu, pour tout ce qui nous arrive. Nous sommes si faibles et changeants que nous nous laissons désarçonner pour un rien.

2. Quel est l'homme capable de veiller sur lui-même avec tant de prudence et de vigilance qu'il ne tombe jamais dans aucun piège et qu'il ne se trouve jamais dans l'embarras? Mais celui qui se confie à toi, mon Dieu, et qui te cherche dans la simplicité de son cœur ne chancelle pas si aisément. Et s'il doit affronter quelque épreuve, quel que soit son tourment, tu l'en délivreras et le réconforteras bientôt, car tu n'abandonnes pas celui qui espère en toi jusqu'au bout.
Quoi de plus rare qu'un ami qui reste à vos côtés quand les malheurs vous accablent?
Toi, Seigneur, ta fidélité est constante et personne ne peut la prendre en défaut.

3. Oh! quelle sagesse dans les paroles de cette sainte: "Mon cœur est affermi et fondé en Jésus Christ!" (sainte Agathe).
S'il en était ainsi pour moi, je serais moins craintif et je serais à l'abri des attaques des méchantes langues.
Qui peut prévoir l'avenir, qui peut éviter tous les maux futurs? Si déjà ceux qu'on a prévus laissent souvent de multiples blessures, qu'en sera-t-il de ceux qui arrivent à l'improviste?
Pourquoi, misérable, suis-je si insouciant, si peu sur mes gardes? Ah! nous sommes des hommes, et combien fragiles, même si beaucoup nous croient et nous disent des anges.
A qui me fier, Seigneur, si ce n'est à toi ? Tu es la vérité qui ne trompe pas et qu'on ne peut pas tromper.
Au contraire, tout homme est faillible (Ps. 115,11), inconstant, fragile, versatile, surtout dans ses paroles; de sorte qu'on ose à peine le croire même si son visage respire la franchise.

4. Tu nous as sagement mis en garde contre les hommes: Les ennemis de l'homme sont dans sa propre maison (Mich. 7,6) et si quelqu'un dit: le Christ est ici, ou: il est là, il ne faut pas le croire (Mt. 24,23).
Cette expérience, je l'ai faite à mes dépens. Si seulement elle avait le pouvoir de me rendre plus sage et plus vigilant!
"Silence! Que ceci reste entre nous!" me dit quelqu'un. Et pendant que je me tais, croyant ainsi la chose secrète, il ne peut lui-même garder le silence qu'il m'a demandé: il me trahit, se trahit lui-même et s'en va!
Préserve-moi, Seigneur, de ces confidences trompeuses et de ces gens indiscrets, afin que je ne commette jamais de tels actes. Donne-moi un langage sincère et dépouillé de toute ruse.
Ce que je ne peux souffrir chez les autres, que je m'en garde soigneusement moi-même.

5. Oh! qu'il est utile et nécessaire pour le maintien de la paix de se taire sur son prochain, de ne pas tout croire aveuglément, de ne pas tout répéter sans réfléchir, d'ouvrir son cœur à peu de personnes, de te garder toujours comme témoin intime, de ne pas se laisser emporter ici et là à tout vent de paroles, mais de désirer que tout, en nous comme au dehors, s'accomplisse selon le bon plaisir de ta volonté.
Quel sûr moyen pour conserver la grâce céleste, que de fuir ce qui présente un certain éclat aux yeux des hommes, d'éviter ce qui attire leur admiration, et de poursuivre ardemment ce qui favorise la ferveur et la pureté!
Combien ont été funestes des vertus trop connues et trop vantées! Au contraire, que de fruits ont portés d'autres grâces modestement dissimulées, durant cette vie fragile qui n'offre que tentations et combats!

Chapitre 46

METTRE SA CONFIANCE EN DIEU POUR RÉSISTER
AUX ASSAUTS DES PAROLES MÉCHANTES

1. Garde un cœur ferme et espère en moi. Qu'est-ce que des paroles, après tout, sinon du vent? Elles frappent l'air, mais n'entament pas la pierre.
Si tu te sens coupable, songe que ton désir doit être de te corriger; si ta conscience ne te reproche rien, pense que tu dois supporter volontiers cela pour Dieu. Car c'est bien peu de chose que d'entendre de temps en temps quelques paroles méchantes, toi qui n'es pas encore capable de supporter les plus grandes épreuves. Et pourquoi de si petites choses feraient-elles saigner ton cœur, si tu n'étais pas encore trop attaché au monde et trop préoccupé du jugement des hommes? Tu redoutes le mépris, tu ne veux pas qu'on te reproche tes fautes, et tu cherches des excuses pour les masquer.

2. Examine-toi mieux et reconnais que l'amour du siècle présent et le vain désir de plaire vit encore en toi. Ta répugnance à être abaissé, confondu par tes défauts, prouve que tu n'es ni vraiment humble ni vraiment mort au monde, et que le monde n'est pas crucifié pour toi (Gal. 6,14). Ecoute ma parole et tu t'inquiéteras peu de ce que racontent les hommes. Si on disait contre toi tout ce que peut inventer la plus noire malice, qu'est-ce que cela te ferait? Tu le laisserais passer comme une paille que le vent emporte, et tu n'en perdrais pas un seul cheveu.

3. Celui dont l'âme n'est pas assurée et qui n'a pas Dieu toujours présent à la pensée se laisse facilement ébranler par des paroles de blâme. Mais celui qui met en lui sa confiance et de ce fait ne se soucie pas de l'opinion que les autres peuvent nourrir à son égard sera délivré de toute crainte humaine; car c'est moi le seul juge, et je connais tous les secrets. Je vois comment se passent toutes choses, et je sais reconnaître l'offenseur et l'offensé.
C'est de moi que cette parole est venue; c'est moi qui l'ai permise, afin que soient dévoilées les pensées cachées dans bien des cœurs (Luc 2,35).

Je jugerai l'innocent et le coupable, mais j'ai voulu auparavant éprouver l'un et l'autre en secret.

4. Le témoignage des hommes est souvent faux; mon jugement est vrai, et personne ne peut l'attaquer. Le plus souvent, il demeure caché, et rares sont ceux qui savent le découvrir; cependant, il ne trompe ni ne peut tromper, quoiqu'il ne paraisse pas toujours équitable aux yeux des insensés.
C'est donc à moi qu'il faut remettre tout jugement, et non pas t'ériger toi-même en juge.
Le juste ne sera pas troublé, quoi qu'il lui arrive par volonté de Dieu. Il ne s'attachera pas à savoir si des paroles injurieuses ont été proférées contre lui; il ne concevra pas non plus une vaine joie si d'autres le défendent et essayent de justifier sa conduite, mais il pensera que c'est moi qui sonde les cœurs (Ps. 7,10), que je ne juge pas selon les apparences, et que ce qui paraît souvent digne d'éloge aux yeux des hommes est souvent répréhensible à mes yeux.

5. Seigneur mon Dieu, juge infiniment bon et patient, qui sondes la fragilité et la méchanceté des hommes, sois ma torce et mon espérance.
Tu connais ce que moi j'ignore; ainsi j'aurais dû supporter patiemment tous les reproches. Pardonne-moi de n'avoir pas agi toutes les fois de la sorte, et donne-moi la grâce d'endurer des souffrances plus grandes. Ton extrême miséricorde est bien plus puissante à m'obtenir le pardon que ma pauvre vertu à défendre ma conscience tourmentée.
Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifié pour cela (1 Cor. 4,4), parce que, sans ta miséricorde, nul vivant ne sera trouvé juste devant toi (Ps. 142,2).

Chapitre 47

IL FAUT ÊTRE PRÊT A TOUT SUPPORTER
POUR LA VIE ÉTERNELLE

1. Ne te laisse pas écraser sous les tâches que tu as entreprises pour moi, ni abattre par aucune tribulation, mais qu'à chaque instant, ma promesse te fortifie et te réconforte, car je te destine une récompense bien au-delà de toute mesure.
Tu ne resteras pas longtemps à peiner ici-bas et tu ne seras pas toujours accablé de douleurs. Avec de la patience, tu verras bientôt la fin de tes maux. Le moment viendra où tout travail et toute peine cesseront. Tout ce qui passe avec le temps a si peu d'importance devant l'éternité!

2. Accomplis bien ton travail, cultive fidèlement ma vigne, et je serai moi-même ta récompense.
Ecris, lis, chante, gémis, garde le silence, prie, supporte courageusement les contrariétés; la vie du ciel vaut bien cela et de plus grands sacrifices encore.
La paix viendra un jour connu du Seigneur; ce ne sera pas un jour ou une nuit comme sur la terre (Zach. 14,7), mais une lumière perpétuelle, une splendeur infinie, une paix inaltérable, un repos parfait.
Tu ne diras plus alors: Qui me délivrera de ce corps mortel? (Rom. 7,24). Tu ne soupireras plus: Ah! comme il se prolonge mon exil (Ps. 119,5) car la mort sera détruite (Is. 25,8) et le salut te sera assuré; plus d'angoisses, mais une joie parfaite.

3. Oh! si tu voyais dans le ciel de quel glorieux éclat resplendissent ceux que le monde méprisait et considérait presque comme indignes de vivre! Tu t'empresserais certainement de t'humilier jusqu'à terre et de choisir la dernière place partout. Tu ne désirerais plus connaître aucun jour heureux en cette vie, mais tu te réjouirais plutôt de souffrir pour Dieu.

4. Oh! si ces vérités pénétraient jusqu'au fond de ton cœur, comment oserais-tu te plaindre encore, même une seule fois? Pour la vie éternelle, ne doit-on pas être disposé à renoncer à tout? Est-ce donc une affaire de si peu d'intérêt que de gagner ou de perdre le royaume de Dieu?
Lève donc les yeux et contemple-moi, entouré de tous mes saints. Ils ont soutenu dans le monde un grand combat, et maintenant, consolés et à l'abri de toute crainte, ils se reposent, et demeureront à jamais avec moi dans le royaume de mon Père, dans une allégresse perpétuelle.

Chapitre 48

LE JOUR DE L'ÉTERNITÉ.
LES MISÈRES DE CETTE VIE

1. O bienheureuse demeure de la cité céleste! O jour éclatant de l'éternité que la nuit n'obscurcit jamais et que la vérité souveraine éclaire perpétuellement, jour immuable de joie et de repos!
Oh! si ce jour était proche de nous, Seigneur, et si toutes les choses du monde allaient bientôt prendre fin! Il luit pour les saints dans son éternelle splendeur, mais nous ne pouvons en percevoir que de faibles reflets.

2. Les âmes du ciel connaissent les délices de la lumière divine, tandis que les enfants d'Eve, encore en exil, doivent gémir dans l'obscurité de cette vie.
Les jours d'ici-bas sont courts et mauvais, pleins de douleurs et d'angoisses (Gen. 47,9) pour l'homme qui doit les vivre, souillé de péchés, harcelé par mille passions, agité par mille craintes, tourmenté de besoins et en proie à une foule de tentations.

3. Oh! quand verrai-je la fin de mes maux? Quand serai-je délivré de la servitude de la chair? Quand penserai-je, Seigneur, à toi seul? Quand pourrai-je pleinement me réjouir en toi?
Quand serai-je pleinement libre, à l'abri de toute souffrance, physique et morale? Quand viendra cette paix solide, inattaquable, cette paix de l'âme, cette paix du corps, cette paix totale?
O Jésus, quand me sera-t-il donné de te voir, de contempler ta gloire? Quand me sera-t-il permis de pénétrer avec toi dans le royaume que tu as préparé de toute éternité à tes bien-aimés?

4. Adoucis mon exil, apaise ma douleur, car tous mes désirs montent vers toi. Toutes les ressources qu'offre le monde et qui pourraient me fournir quelque soulagement me sont odieuses.
Je voudrais pénétrer dans ton intimité, mais je ne peux te saisir. Je voudrais m'attacher aux choses célestes, mais je suis sans cesse de nouveau attiré par les affaires du monde. Mon esprit aspire à s'élever au-dessus de tout, mais la chair me rabaisse toujours malgré moi. Ainsi, je lutte misérablement avec moi-même et je suis mon propre fardeau (Job 7,20).

5. Oh! quelle douleur de vouloir atteindre à la contemplation des réalités divines et d'en être constamment empêché par sa propre faiblesse! Mon Dieu, ne t'éloigne pas de moi et n'écarte pas ton serviteur avec colère! (Ps. 70,12; 26,9). Fais éclater le tonnerre et disperse ces visions de la chair; décoche tes flèches et mets en fuite ces illusions de l'ennemi (Ps. 143,6).
Recueille en toi tous mes sens; fais-moi oublier les choses de la terre et rejeter promptement les mauvaises pensées.
Vérité éternelle, viens à mon secours, afin que je ne sois troublé par aucune vaine distraction. Viens, ô suavité céleste, et que tout, à ton approche, devienne pureté. Pardonne-moi aussi toutes les fois que dans la prière je laisse vagabonder mon esprit loin de toi.
Je reconnais que je cède facilement à la distraction. Bien souvent, je ne suis plus là où se trouve mon corps, et mon imagination m'emporte. Et elle m'emporte d'habitude dans des domaines que j'aime, qui me sont plaisants: ma première pensée va toujours vers ce qui flatte ma nature.

6. Tu l'as souligné toi-même, ô Vérité: Où est ton trésor, là est ton cœur (Mt. 6,21).
Si je me laisse attirer par toi vers le ciel, je pense aux choses du ciel. Si je m'intéresse trop au monde, je t'oublie. Si j'aime la chair, mes rêves seront souvent charnels. Si je lui préfère l'esprit, il me sera doux de me consacrer à une étude spirituelle.

Cela m'est agréable de parler et d'entendre parler de tout ce qui m'est cher et j'en emporte avec moi le souvenir. Mais combien heureux serait l'homme qui pour toi, Seigneur, bannirait de son cœur toute affection humaine, qui, faisant violence à la nature déchue, vaincrait les convoitises de la chair par la ferveur du cœur, et qui, du fond d'une conscience apaisée, t'offrirait une prière pure, afin de se rendre digne par là de s'unir aux chœurs des anges!

Chapitre 49

LES GRANDS BIENS PROMIS
A CEUX QUI LUTTENT POUR LA VIE ÉTERNELLE

1. Quand tu sens ton cœur aspirer à l'éternelle béatitude et à la délivrance de la chair afin de pouvoir t'associer pleinement à ma gloire, prépare ton âme à recevoir avec amour ce salutaire message.
Rends grâce du plus profond de toi-même à la Bonté celeste qui te prodigue ainsi ses faveurs, qui te visite avec tendresse et t'entraîne vers le ciel pour que ton propre poids ne te fasse pas irrémédiablement retomber sur la terre.
Tout cela n'est pas le fruit de tes pensées ou de tes efforts, mais un bienfait de la grâce de Dieu, une attention du Seigneur pour te faire progresser dans la vertu avec plus d'humilité, te préparer à de nouveaux combats, t'attacher à moi de toutes tes forces avec la ferme résolution de me servir.

2. Aussi ardent que soit le feu, la fiamme cependant ne monte pas sans fumée. De même, certaines personnes brûlent du désir de posséder les biens célestes, sans être néanmoins entièrement à l'abri de toutes tentations ou affections charnelles. Voilà: elles n'ont pas uniquement en vue la gloire de Dieu dans ce qu'elles demandent si ardemment. Il en va souvent de même pour les souhaits que tu crois si vifs et si purs. Car rien ne saurait être parfait quand l'intérêt y est mêlé.

3. Ne demande pas ce qui t'est agréable ou utile, mais ce qui me plaît et m'honore, car en tout tu dois préférer ma volonté à la tienne.
Je connais ton cœur, j'ai entendu tes soupirs. Tu voudrais jouir déjà de la liberté sans bornes des enfants de Dieu, dans la céleste patrie où la joie ne tarit jamais. Mais l'heure n'est pas encore venue: tu en es encore au temps du combat, du labeur et de la peine.

Tu voudrais être comblé du souverain bien; tu ne peux l'obtenir maintenant. C'est moi qui suis le Bien suprême: Attends-moi, dit le Seigneur, jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu (Luc 22,18).

4. Il faut que tu sois mis à l'épreuve sur la terre et que tu t'aguerrisses en bien des choses. Tu recevras de temps en temps du réconfort, mais tu ne seras jamais pleinement satisfait. Courage donc et sois fort (Jos. 1,6), autant pour agir que pour souffrir.
Il faut que tu te revêtes de l'habit de l'homme nouveau (Ephés. 4,24) pour accéder à la nouvelle naissance. Il te faudra souvent obéir contre ton gré et renoncer à ce que tu avais envisagé.
Ce que feront les autres aura du succès; ce que tu feras ne recevra aucune approbation.
On écoutera ce que les autres diront, mais tes avis à toi ne seront pas pris en considération. Les autres verront leurs demandes acceptées, mais les tiennes seront rejetées.

5. On parlera de tes voisins, on les félicitera, mais personne ne se souciera de toi. On leur confiera telle ou telle charge, et on ne te jugera capable de rien.
Quelquefois, la nature se révoltera en toi et ce sera un grand bien si tu le supportes en silence. C'est à l'occasion de ces épreuves que l'on reconnaît comment un vrai serviteur du Seigneur sait renoncer à lui-même et briser en lui tout ce qui n'est pas de Dieu.
Il n'est rien qui ne contribue mieux à te faire mourir à toi-même que d'accepter ce qui contrarie ta volonté, surtout lorsqu'on t'ordonne des choses que tu juges inutiles ou déraisonnables. Soumis à un supérieur, tu n'oses résister à son autorité et il te semble dur d'être conduit par un autre et de ne pouvoir jamais agir à ta guise.

6. Mais pense au fruit de ces sacrifices: leur fin est proche, la récompense sera très grande (Gen. 15,1), et tu seras comblé au-delà de toute espérance.
C'est en renonçant maintenant à ta pauvre liberté que tu mérites de jouir d'une liberté illimitée dans le ciel. Tu y trouveras tout ce que tu veux, tout ce que tu peux désirer. Là, tu posséderas tous les biens à la fois sans aucune crainte de les perdre. Ta volonté sera toujours unie à la mienne, et tu n'auras plus rien à souhaiter en dehors de moi.
Personne ne pourra se mettre en travers de ta route, personne ne pourra te causer de contrariétés ni élever des obstacles devant toi.
Là, je te donnerai la gloire en échange des injures reçues, le bonheur en échange des larmes, et contre la dernière place ici-bas, un trône dans mon royaume.
Tu verras alors les fruits de l'obéissance: joie pour les pénitences, et pour une humble soumission la couronne de gloire.

7. Il faut maintenant te plier humblement sous la main de tous. Peu importe qui a dit ou ordonné telle ou telle chose: un supérieur, un plus jeune ou un égal. Quelle que soit la tâche prescrite, fais-la tienne et accomplis-la de bon cœur.
Celui-ci se réjouit d'une chose, celui-là d'une autre; pour ta part, tu ne dois mettre ta joie que dans le renoncement à toi-même, dans mon bon plaisir et ma gloire.

Ce que tu dois désirer, c'est que, soit par la vie, soit par la mort, Dieu soit toujours glorifié en toi (Philip. 1,20).

Chapitre 50

DANS L'AFFLICTION S'ABANDONNER
ENTRE LES MAINS DE DIEU

1. Seigneur mon Dieu, Père saint, sois béni maintenant et pour toute l'éternité, parce qu'il en a été selon ta sainte volonté et que tout ce qui vient de toi est bon.
Que ton serviteur se réjouisse, non en lui-même ni en nul autre, mais en toi, car en toi seul, Seigneur, se trouve ma véritable joie, mon espérance, mon bonheur et ma gloire.
Que possède ton serviteur, sinon ce qu'il a reçu de toi (1 Cor. 4,7) sans l'avoir mérité? Tout t'appartient: ce que tu as donné, ce que tu as fait.
Je suis malheureux et mourant dès mon enfance (Ps. 87,16). Quelquefois, mon âme devient triste jusqu'aux larmes, agitée de toutes parts par les passions qui l'assaillent.

2. Je désire la paix, j'aspire à la sérénité de tes enfants qui à chaque instant sont comblés par ta présence. Si tu m'accordes cette paix, mon cœur sera envahi d'allégresse et ne cessera de chanter ta louange.
Mais si tu retires ta grâce comme tu le fais parfois à ton pauvre serviteur, il ne pourra courir dans la voie de tes commandements (Ps. 118,32); il tombera alors à genoux et se frappera la poitrine parce qu'il n'en est plus pour lui comme auparavant, quand ta lumière resplendissait sur sa tête (Job 29,3), et qu'à l'ombre de tes ailes, il trouvait un abri contre l'orage des tentations (Ps. 16,8).

3. Père juste et bon, l'heure de l'épreuve a sonné pour ton serviteur; il est juste qu'il souffre maintenant quelque chose pour toi.
Père vénéré, voici venu le moment que tu as prévu de toute éternité, où ton serviteur doit disparaître pour quelque temps à la vue des hommes pour ne plus vivre que caché en toi, être abaissé, humilié devant ses frères, accablé de souffrances et de douleurs, afin de ressusciter avec toi à l'aurore d'un jour nouveau, et d'être glorifié dans le ciel.
Père saint, ainsi en avais-tu disposé, et ce que tu as ordonné s'est accompli.

4. Telle est la grâce que tu envoies à ceux qui t'aiment: souffrir et être affligé en ce monde pour l'amour de ton nom autant de fois que tu le voudras et par qui tu le voudras.
Rien ne se produit ici-bas sans raison, sans un but fixé par ta Providence.
Il m'est bon, Seigneur, d'être humilié afin d'apprendre tes volontés (Ps. 118,71) et de bannir de mon cœur tout orgueil et toute présomption. Je dois me réjouir si l'on m'en fait un sujet d'insulte (Ps. 68,11), car ainsi je ne chercherai plus de réconfort parmi les hommes, mais chez toi seul. Cela m'a appris aussi à craindre la force de tes jugements qui atteignent le juste comme l'impie, mais toujours avec justice et équité.

5. Je te remercie de ne m'avoir pas épargné, mais de m'avoir sévèrement frappé, me chargeant de douleurs et m'accablant d'angoisses de toutes sortes.
Rien de ce qui existe sous le soleil ne peut me guérir en dehors de toi, Seigneur mon Dieu, le médecin des âmes, qui tour à tour châties et pardonnes, qui fais descendre jusqu'aux profondeurs et qui retires de la grande perdition (Tob. 13,2).

6. Père bien-aimé, je me remets entre tes mains, afin que tu daignes me corriger. Je m'incline sous les coups, afin que tu fasses de moi ce que tu désires: un disciple humble et soumis, toujours prêt à t'obéir au moindre signe. Je m'abandonne tout entier, car mieux vaut être châtié en ce monde que dans l'autre.
Ta connaissance est infinie et rien ne peut t'échapper dans la conscience de l'homme. Tu as prévu lei choses futures avant qu'elles n'arrivent, et tu contrôles tout ce qui se passe sur la terre.
Tu sais ce qui est utile à mon progrès spirituel et tu sais aussi combien l'épreuve est salutaire pour moi. Dispose de moi selon ton bon plaisir, et ne me rejette pas à cause de mes péchés que personne ne connaît mieux que toi.

7. Seigneur, fais que j'apprenne ce qui est bon à savoir, que j'aime ceux qui sont dignes d'être aimés, que je loue ce qui t'est agréable, que j'estime ce qui est précieux devant toi, et que je méprise ce qui est vil à tes yeux.
Ne permets pas que je juge sur l'apparence, ni que je forme mes sentiments d'après ce que j'entends dire (Is. 11,3), mais permets que je porte un jugement sain aussi bien sur les choses sensibles que spirituelles, et que je cherche surtout à connaître ta volonté.

8. Les hommes se trompent souvent en se fondant seulement sur le témoignage des sens. Quant à ceux qui sont trop attachés au monde, ils se trompent aussi en n'aimant que les choses visibles.
Un homme est-il meilleur parce qu'un autre homme l'estime au-dessus de sa valeur? Quand un homme en loue un autre, c'est un menteur qui trompe un menteur, un vaniteux qui se joue d'un vaniteux, un aveugle qui égare un aveugle, un malade qui suggestionne un autre malade. Car, comme dit l'humble saint François, "un homme est réellement ce qu'il est devant tes yeux, Seigneur, et rien de plus".

Chapitre 51

SE LIVRER A D'HUMBLES EXERCICES
QUAND ON NE PEUT S'ÉLEVER A DE PLUS SUBLIMES

1. Tu ne peux manifester toujours une égale ardeur pour la vertu, ni te maintenir sans relâche à un haut degré de contemplation. Il t'est nécessaire, à cause de ta nature même, de descendre parfois à des choses plus terre à terre, et de porter malgré toi le fardeau de cette vie corruptible.
Tant que tu devras supporter ce corps mortel, tu éprouveras l'accablement et le poids de la chair. Il te faudra donc, aussi longtemps que tu vivras, souffrir de ta condition d'être charnel et accepter de ne pouvoir te consacrer tout le temps aux exercices spirituels.

2. Essaie alors de t'adonner à quelques humbles occupations manuelles qui te seront une bienfaisante récréation; attends avec une ferme confiance le retour de ma grâce, supporte patiemment ton exil et ton isolement jusqu'à ce que je vienne te visiter de nouveau et te délivrer de tous tes tourments.
Je te ferai oublier tes peines et connaître la paix intérieure. Je dévoilerai devant toi la splendeur des Ecritures afin qu'avec un cœur dilaté d'amour, tu te mettes à courir dans la voie de mes commandements (Ps. 118,32).
Et tu pourras dire alors: J'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous (Rom. 8,18).

Chapitre 52

NE PAS SE JUGER DIGNE DES RÉCOMPENSES DE DIEU
MAIS PLUTÔT DE SON CHÂTIMENT

1. Seigneur, je ne suis digne ni de ton soutien, ni d'aucun réconfort spirituel, et tu agis avec justice lorsque tu me laisses dans ma pauvreté et ma désolation. Même si je passais mes nuits et mes jours à pleurer, je ne mériterais pas encore pour autant que tu viennes à mon aide. Rien d'autre ne m'est dû que la réprobation et le châtiment, car je t'ai souvent offensé gravement de mille façons.
Oui, je me reconnais indigne de recevoir de toi; mais toi, ô Dieu clément et miséricordieux, qui ne veux pas que ta créature périsse, et pour manifester les richesses de ta bonté envers nous - vases de miséricorde (Rom. 9,23), tu daignes réconforter ton serviteur au-delà de tout ce qu'il peut espérer et d'une manière toute divine. Car une seule de tes paroles vaut infiniment plus que tous les vains discours des hommes.

2. Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que tu me fasses ainsi participer à la félicité céleste? Je n'ai pas souvenir d'avoir quelquefois bien agi; au contraire, j'ai toujours été porté vers le mal et je n'ai guère cherché à me corriger. Cela est vrai et je ne puis le nier. Si je parlais autrement, tu t'élèverais contre moi et je ne trouverais personne pour me défendre.
Qu'ai-je mérité pour mes péchés, sinon l'enfer et le feu éternel? Je sais que je ne devrais susciter que ton mépris; je ne mérite pas d'être compté au nombre de tes amis dévoués. Je me ferai violence pour obtenir ta miséricorde et je témoignerai contre moi pour le triomphe de la vérité en m'accusant de tous mes péchés.

3. Que pourrait présenter pour sa défense un coupable tel que moi? Je ne peux que répéter: J'ai péché, Seigneur, j'ai péché; aie pitié de moi, pardonne-moi! Laisse-moi un peu de temps pour pleurer sur ma misère avant de m'en aller dans la terre ténébreuse ensevelie sous les ténèbres de la mort (Job 10,20,21).
Que demandes-tu à un misérable pécheur, sinon la contrition et le regret de ses fautes? C'est dans la véritable contrition et l'humiliation du cœur que naît l'espoir du pardon, que se calme la conscience troublée et que se regagne la grâce perdue; et c'est alors que Dieu et l'âme pénitente se rencontrent, unis dans une joie commune.

4. Cette humble contrition des péchés est pour toi, Seigneur, un sacrifice agréable, un parfum beaucoup plus suave que la fumée de l'encens. Elle est aussi cette huile parfumée que tu as permis que l'on répande sur tes pieds, car tu ne repousses jamais un cœur contrit et humilié (Ps. 50,19).
C'est là le seul refuge contre la fureur de l'ennemi, le refuge où le pécheur peut se reposer et se débarrasser de toutes les souillures qu'il a accumulées.

Chapitre 53

LA GRÂCE NE S'ALLIE PAS
AVEC L'AMOUR DES BIENS TERRESTRES

1. Ma grâce est d'un grand prix; elle ne souffre pas d'être mise en partage avec des choses étrangères ou des plaisirs de ce monde. Il faut donc écarter tout ce qui lui fait obstacle si tu désires la recevoir.
Retire-toi dans un lieu tranquille, recherche la solitude et l'isolement en évitant la compagnie des autres, afin que ton âme s'épanche devant Dieu en de ferventes prières, pour qu'il t'accorde l'esprit de pénitence et un conscience pure.
N'accorde aux vanités du monde aucune importance; à toutes les œuvres extérieures, préfère le service de Dieu. Car ton cœur ne peut à la fois m'appartenir et s'intéresser aux événements du siècle.

Il faut t'éloigner de tes relations et de tes amis, et sevrer ton esprit de tout réconfort terrestre. C'est ainsi que le bienheureux apôtre Pierre supplie les fidèles de Jésus Christ de se considérer ici-bas comme voyageurs et pèlerins (1 Pierre 2,11).

2. Oh! quelle confiance éprouve à l'heure de la mort celui que nul attachement ne retient à cette terre! Mais toutes les âmes ne peuvent pas comprendre que le cœur parvienne à être ainsi détaché de tout; et l'homme charnel ne connaît pas la liberté de l'homme spirituel.
Cependant, si tu veux accéder vraiment à la vie spirituelle, tu dois renoncer à ce qui t'est proche comme à ce qui t'est éloigné et ne te défier de personne plus que de toi-même.
Si tu parviens à te vaincre complètement, tu viendras facilement à bout de tout le reste. La victoire décisive est de triompher de soi-même.
Celui qui se maîtrise au point que les sens soient soumis à sa raison et que sa raison m'obéisse en tout, est vraiment vainqueur de lui-même et maître du monde.

3. Si tu aspires à cette haute perfection, il te faut commencer avec courage et attaquer le mal par la racine en travaillant à détruire entièrement l'amour désordonné que tu as pour toi-même, et pour les possessions matérielles.
C'est de cet amour mauvais que l'homme se porte à lui-même que naissent presque tous les vices qu'il lui faut déraciner; une fois cette bataille gagnée, il pourra jouir d'une grande paix et d'une tranquillité constante.
Mais peu nombreux sont ceux qui travaillent sans cesse à mourir parfaitement à eux-mêmes et à renoncer à tout; les autres demeurent comme ensevelis dans la chair et ne peuvent s'élever au-dessus des sens.
Celui qui veut me suivre, il faut qu'il mortifie toutes ses affections mauvaises, et qu'il ne s'attache à aucune créature d'un amour particulier ou de convoitise.

Chapitre 54

LES MOUVEMENTS OPPOSÉS
DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE

1. Observe avec soin les mouvements de la nature et de la grâce; ils sont en opposition, mais la différence en est parfois imperceptible et c'est à peine si un homme exercé dans la vie spirituelle peut les distinguer les uns des autres.
Tous les hommes se proposent le bien comme seul but, tant dans leurs paroles que dans leurs actions, et c'est précisément en cela qu'on peut se laisser prendre.
La nature est rusée; elle entraîne et séduit beaucoup de gens et n'a jamais d'autre fin qu'elle-même. La grâce, au contraire, agit avec simplicité et fuit au moindre signe que lui fait le péché; elle ne tend pas de pièges et n'agit que pour Dieu seul, en qui elle se repose définitivement.

2. La nature répugne à mourir; elle n'admet ni contrainte, ni défaite, ni dépendance. La grâce porte à la mortification, s'oppose à la sensualité, goûte la soumission, accepte la défaite et ne recherche pas de liberté personnelle; elle aime l'ordre, ne désire dominer personne, mais vivre et demeurer toujours sous la volonté de Dieu, prête à se courber humblement devant n'importe quelle créature humaine à cause de Dieu (1 Pierre 2,13-14).
La nature travaille dans son propre intérêt, en vue du profit qu'elle peut retirer des autres. La grâce ne considère pas ce qui lui est avantageux, mais ce qui peut être utile au plus grand nombre.
La nature se plaît à recevoir les marques de respect et d'honneur. La grâce, elle, rend fidèlement à Dieu tout honneur et toute gloire.

3. La nature craint l'humiliation et le mépris. La grâce se réjouit de souffrir des outrages au nom de Jésus.
La nature craint l'effort et aime l'oisiveté. La grâce ne peut rester oisive et accepte tout travail avec joie.
La nature recherche les choses les plus riches et sophistiquées, et repousse ce qui lui paraît vil et grossier. La grâce se complaît dans les choses simples; elle ne dédaigne pas ce qui est humble ou rude et ne refuse pas de se revêtir de pauvreté.
La nature s'intéresse aux biens matériels, se réjouit d'un gain terrestre, s'attriste d'une perte, s'irrite d'une parole vaguement injurieuse. La grâce, qui est uniquement tendue vers le ciel, ne s'attache pas aux choses terrestres; elle ne s'afflige d'aucun échec, ne s'offense d'aucune parole, même la plus dure, parce qu'elle a mis son trésor et sa joie dans le Seigneur en qui rien ne périt.

4. La nature est avare et aime mieux recevoir que donner; elle cherche son bien particulier et personnel. La grâce est généreuse et universelle; elle ignore son intérêt propre, se contente de peu, et croit qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir (Act. 20,35).
La nature incline vers les créatures humaines, la chair, la vanité, contente de pouvoir se montrer. La grâce élève vers Dieu, excite à la vertu, fait fuir les vanités du monde et haïr les désirs de la chair, discipline l'esprit et s'efforce de rester discrète.
La nature aime les consolations extérieures et sensibles. La grâce ne cherche de réconfort qu'en Dieu seul.

5. La nature ne sait rien faire gratuitement et attend en échange de ses bienfaits une récompense égale ou supérieure; elle exige qu'on se montre reconnaissant et qu'on considère comme très important tout ce qu'elle fait et tout ce qu'elle donne. La grâce ne veut rien de temporel; elle ne demande d'autre récompense que Dieu seul, et ne regarde comme nécessaire dans le temps que ce qui sert à acquérir les biens éternels.

6. La nature se complaît en l'appui de nombreux amis et parents, se glorifie d'un rang élevé, d'une fonction importante, sourit aux puissants, flatte les riches, applaudit ceux qui lui ressemblent. La grâce aime jusqu'à ses ennemis, ne s'enorgueillit pas de ses relations et ne voit qu'une occasion de servir dans une charge qui l'élève au-dessus des autres. Elle favorise plutôt le pauvre que le riche, compatit davantage aux malheurs des faibles qu'à ceux des puissants, recherche la compagnie de l'homme sincère, fuit celle du menteur et ne cesse d'exhorter les hommes à s'efforcer de devenir meilleurs (1 Cor. 12,31), afin de se rendre semblables au Fils de Dieu.
La nature est prompte à se plaindre de la moindre privation. La grâce supporte avec constance la pauvreté.

7. La nature rapporte tout à elle-même, ne combat et ne plaide que pour ses intérêts. La grâce ramène tout à Dieu, de qui vient toute chose; elle ne s'attribue aucun mérite, ne s'arroge aucune supériorité, ne conteste jamais rien à personne, ne tient pas par-dessus tout à faire prévaloir son avis, mais soumet toutes ses pensées et tous ses sentiments à l'éternelle Sagesse et au jugement de Dieu.
La nature cherche à connaître toutes les nouvelles, à percer tous les secrets; elle veut tout voir et tout examiner par elle-même. Elle désire être connue pour s'attirer l'admiration et les louanges. La grâce ne manifeste en aucun cas cette vaine curiosité qui est une marque de la faiblesse humaine.
Elle apprend à modérer les élans des sens, à repousser la complaisance en soi et l'ostentation, à cacher humblement ce qui est digne d'éloge et d'estime, à ne se consacrer qu'à la conquête de ce qui peut être utile à l'homme et à la gloire de Dieu.
Elle refuse toute gratitude pour elle-même, mais elle désire que Dieu soit béni pour ses bienfaits qu'il répand par pure bonté.

8. Cette grâce est une lumière surnaturelle, un don spécial de Dieu; c'est le gage du salut éternel qui permet à l'homme de s'élever de l'amour des choses terrestres à l'amour des biens célestes, et de se dégager de l'emprise de la chair.
Donc, plus la nature est parfaitement soumise, plus la grâce agit profondément dans les âmes, se fortifiant chaque jour et rétablissant au-dedans de l'homme l'image de Dieu.

Chapitre 55

CORRUPTION DE LA NATURE.
EFFICACITÉ DE LA GRÂCE DIVINE

1. Seigneur mon Dieu, toi qui m'as créé à ton image, accorde-moi cette grâce que tu m'as montrée comme indispensable à mon salut, afin que je puisse venir à bout de ma nature corrompue qui m'entraîne toujours au péché.
Car je sens en ma chair la loi du péché qui contredit la loi de l'esprit (Rom. 7,23), qui m'enchaîne pour me faire obéir à mes passions mauvaises; et je ne puis résister à celles-ci si ta grâce ne vient affermir mon cœur.

2. Ta grâce toute-puissante permet seule de redresser la nature humaine, toujours inclinée au mal dès sa jeunesse (Gen. 8,21). Car, déchue en Adam, notre premier père, elle porte une tache indélébile qui se transmet à tous les hommes: c'est le péché originel.
C'est ainsi que cette même nature que tu as créée bonne et droite ne signifie désormais que vice et faiblesse; livrée à elle-même, elle ne conduit qu'au mal et qu'à l'amour déréglé des choses terrestres. Le peu de force qui lui est resté demeure caché comme une étincelle sous la cendre.
C'est la raison naturelle; recouverte d'un voile d'obscurité, elle sait encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais elle est impuissante à suivre une voie qu'elle approuve, parce qu'elle ne possède pas la force nécessaire pour cela.

3. De là vient, mon Dieu, que j'aime ta loi selon l'homme intérieur (Rom. 7,22), reconnaissant que tes commandements sont bons, justes et saints (Rom. 7,12), qu'ils condamnent toute pensée ou tout acte mauvais et détournent du péché. Mais dans ma chair, je suis soumis à la loi du péché (Rom. 7,23), et je lui obéis plus souvent qu'à ma raison; je veux le bien et je n'ai pas la force de l'accomplir (Rom. 7,18).
C'est pourquoi je prends si fréquemment de bonnes résolutions, mais je trébuche au moindre obstacle dès que la grâce vient à me manquer.
Il m'arrive de distinguer le chemin de la perfection, mais je suis incapable de m'y engager, accablé par ma condition d'être déchu.

4. O Seigneur, que ta grâce m'est nécessaire pour entreprendre une œuvre bonne, pour la continuer et l'achever! Sans ta grâce, je ne peux rien faire, mais je peux tout en toi, quand elle me fortifie (Philip. 4,13).
Les arts, la richesse, la beauté, la force, le génie, l'éloquence, tout cela ne saurait être mis en balance avec ta grâce; car les dons de la nature sont communs aux bons et aux méchants, mais la grâce, qui est amour, est le don réservé aux élus qu'elle rend dignes de la vie éternelle.
Si éminente est cette grâce que ni le don de prophétie, ni le pouvoir d'opérer des miracles, et même jusqu'au plus haut degré de contemplation ne comptent sans elle auprès de toi; ni la foi, ni l'espérance, ni les autres vertus ne te sont agréables sans la grâce et la charité.

5. O bienheureuse grâce, qui donne la richesse du cœur au pauvre en esprit, et l'humilité de l'âme à celui qui possède de grands biens! Viens, descends en moi, comble-moi chaque jour afin que mon âme reste vivante.
Je t'en supplie, Seigneur, que je trouve grâce à tes yeux! Ta grâce me suffit (2 Cor. 12,9), même si je n'obtiens rien de ce que réclame ma nature.
Si je suis tenté et en proie à de nombreux tourments, je ne craindrai rien avec le secours de ta grâce. Elle est ma force, mon conseil, mon appui. Elle est plus puissante que tous mes ennemis, plus avisée que tous les sages.

6. La grâce est dispensatrice de vérité, guide spirituel, lumière du cœur, apaisement dans l'angoisse, réconfort dans la tristesse, source de toute dévotion.
Que deviendrais-je sans le soutien de la grâce, sinon un arbre sec, bon à jeter au feu?
"Que ta grâce, Seigneur, vienne au-devant de moi, qu'elle m'accompagne toujours et partout, et qu'elle me rende appliqué aux bonnes œuvres, par Jésus Christ ton Fils. Amen" (Ancienne oraison du 17 dim. après la Pentecôte).

Chapitre 56

IL FAUT RENONCER A SOI-MÊME
ET IMITER JÉSUS CHRIST EN PORTANT SA CROIX

1. Tu ne pourras entrer dans mon royaume que dans la mesure où tu sortiras de toi-même.
De même que le fait de ne rien désirer au-dehors procure la paix intérieure, de même l'abnégation totale mène à l'union avec Dieu.
Je veux que tu apprennes à renoncer parfaitement à toi-même pour te soumettre à ma volonté sans révolte et sans murmure.
Suis-moi: Je suis la Voie, la Vérité et la Vie (Jean 14,6). On ne peut marcher sans chemin, connaître sans vérité, vivre sans vie.
Je suis la Voie que tu dois suivre, la Vérité que tu dois croire, la Vie que tu dois espérer. Je suis la voie sûre, la vérité infaillible, la vie indéfectible. Je suis la voie la plus droite, la vérité suprême, l'éternelle source de vie.
Si tu demeures dans ma voie, tu connaîtras la vérité, et la vérité te délivrera, et tu obtiendras la vie éternelle (Jean 8,32).

2. Si tu veux parvenir à la vie, garde mes commandements (Mt. 19,17).
Si tu veux connaître la vérité, crois en moi.
Si tu veux être parfait, vends tout, et suis-moi (Mt. 19,21).
Si tu veux être mon disciple, renonce à toi-même (Luc 9,23).
Si tu veux posséder la joie dans la vie future, regarde au-delà de la vie présente.
Si tu veux être élevé dans le ciel, humilie-toi sur la terre.
Si tu veux régner à mes côtés, porte la croix avec moi. Car seuls les serviteurs de la croix trouveront le chemin de la béatitude.

3. Seigneur Jésus, puisque tu as vécu pauvrement, méprisé par le monde, permets-moi de t'imiter et d'être traité de la même façon. Car le serviteur n'est pas au-dessus du patron, ni le disciple au-dessus de son maître (Mt. 10,24).
Que ton serviteur travaille à se modeler à ton image, parce que là résident le salut et la vraie sainteté.
Mais tout ce que je peux lire ou entendre à ce sujet reste extérieur, et ne parvient pas à m'apaiser ni à me satisfaire pleinement.

4. Puisque tu sais tout cela, il te faut maintenant mettre ces paroles en pratique pour être enfin heureux.
Celui-là m'aime, qui connaît et observe mes commandements, et je l'aimerai aussi, et je me manifesterai à lui (Jean 14,21), et je le ferai asseoir avec moi dans le royaume de mon Père.

5. Seigneur Jésus, que ta promesse s'accomplisse: rends-moi digne de ce bonheur immense.
J'ai reçu de ta main l'honneur de partager ta croix; je la porterai selon ta volonté jusqu'à la mort.
Certes, la vie d'un bon chrétien est une croix, mais une croix qui conduit au paradis. J'ai choisi cette vie: il ne m'est plus permis de m'arrêter, ni de regarder en arrière.

6. Mes frères, marchons ensemble: Jésus sera avec nous! Pour lui, nous nous sommes chargés de la croix; pour lui, nous continuerons d'accepter ce fardeau. Celui qui est notre maître et notre guide saura bien nous y aider.
Voilà que le Seigneur nous précède: il combattra pour nous. Suivons-le courageusement jusqu'au bout, sans aucune crainte, prêts à mourir pour lui. Qu'il veuille bien seulement nous préserver de toute lâcheté.

Chapitre 57

NE PAS SE LAISSER ABATTRE
S'IL NOUS ARRIVE PARFOIS DE SUCCOMBER

1. La patience et l'humilité dans le malheur me plaisent plus qu'une parfaite sérénité et une grande ferveur dans la prospérité.
Pourquoi t'attrister d'une faute légère qu'on te reproche? Même si elle était plus grave, tu ne devrais pas plus t'en émouvoir. Ce n'est qu'un incident sans importance comme il s'en produira en quantité au cours de ta vie.
Tu sais faire preuve de courage quand il ne t'arrive rien de fâcheux, tu sais même venir en aide aux autres et trouver pour eux des paroles de réconfort; mais si un malheur soudain vient s'abattre sur toi, te voilà privé de tous tes moyens.
Tu connais bien ton extrême fragilité et tu en fais souvent l'expérience dans les plus petites choses; et pourtant, tout cela n'arrive que pour ton bien.

2. Eloigne de ton cœur, aussi vite que possible, tout ce qui peut le troubler. Tu ne dois pas te laisser renverser, ni abattre longtemps.
Endure au moins tes peines avec patience si tu ne peux le faire avec joie. Même si une remarque désagréable te fait sursauter, il faut te contenir et ne te permettre aucune parole trop vive qui scandaliserait ton entourage. Ton émotion s'apaisera bientôt et le retour de la grâce adoucira ton amertume intérieure.
Je suis toujours vivant, dit le Seigneur (Jér. 22,24), prêt à te secourir et te réconforter plus que jamais si tu mets ta confiance en moi et m'invoques avec ferveur.

3. Rassemble tes forces et prépare-toi à soutenir de plus grands combats.
Tout n'est pas perdu parce que tu es souvent mis à l'épreuve et violemment tenté. Tu es homme et non pas Dieu; tu es un être de chair et non pas un pur esprit. Comment pourrais-tu toujours te maintenir à un égal degré de vertu, alors que cette perséverance n'a jamais été accordée à personne?
C'est moi qui soutiens et délivre les affligés, et qui élève jusqu'à moi ceux qui reconnaissent leur faiblesse.

4. Seigneur, que ta parole soit bénie; elle m'est plus douce que le miel (Ps. 18,11). Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses si tu ne me redonnais courage?
Pourvu que je parvienne enfin au refuge éternel, au salut. Peu importe pour cela mes souffrances présentes et à venir. Aide-moi seulement à quitter dignement ce monde pour l'autre.
Souviens-toi de moi, mon Dieu, et accompagne-moi sur le chemin qui mène à ton royaume. Amen.

Chapitre 58

NE PAS CHERCHER A PÉNÉTRER LES CHOSES QUI NOUS DÉPASSENT
NI LES SECRETS JUGEMENTS DE DIEU

1. Garde-toi de discourir sur des sujets trop élevés et de discuter les desseins de Dieu. Pourquoi l'un est-il abandonné, tandis qu'un autre reçoit des grâces abondantes? Pourquoi celui-ci est-il accablé de chagrin et celui-là comblé d'honneurs? Ces problèmes dépassent l'intelligence de l'homme; aucune raison, aucun esprit n'est capable de découvrir les motifs des jugements divins.
Quand le diable te suggérera de semblables pensées, ou que des curieux te poseront de telles questions, réponds-leur en citant ces paroles du prophète: Tu es juste, Seigneur, et ton jugement est droit (Ps. 118,137); et encore: Les jugements du Seigneur sont vrais, ils portent leur justification en eux-mêmes (Ps. 18,10).
Il faut craindre mes jugements et non les discuter, parce qu'ils sont impénétrables pour l'esprit humain.

2. Ne t'interroge pas non plus sur les mérites des saints, et ne cherche pas à découvrir quel est celui d'entre eux qui est le plus grand. Ces controverses ne font naître que des différends et des contestations inutiles qui nourrissent l'orgueil et la vanité et entretiennent la jalousie et la dissension.
De tels problèmes, loin d'apporter aucun enrichissement, déplaisent aux saints comme ils me déplaisent à moi-même, car je ne suis pas un Dieu de discorde, mais de paix (1 Cor. 14,33), et cette paix consiste en une humilité sincère que ces inutiles discussions ne favorisent guère.

3. Certaines personnes vouent une affection particulière à tel ou tel saint, mais cette affection vient plutôt de sentiments trop humains que de Dieu.
C'est moi qui ai permis à tous les saints de s'accomplir, c'est moi qui leur ai donné la grâce, puis qui leur ai accordé une récompense éternelle.
Je connais les mérites de chacun d'eux, je les ai entourés des bénédictions de ma tendresse (Ps. 20,4). Je les ai connus et aimés avant le commencement des siècles, et c'est moi qui les ai choisis du milieu du monde (Jean 15,19), et non pas eux qui m'ont choisi.
Je les ai favorisés de ma grâce, je les ai attirés par ma miséricorde, et préservés à travers toutes sortes de tentations. Je les ai secourus de mille manières, je leur ai permis de persévérer et j'ai couronné leur patience.

4. Je les connais tous, du premier au dernier, et ils sont tous réunis dans l'immensité de mon amour.
C'est moi qu'on doit toujours louer, bénir et honorer dans chacun de mes saints, car ils ont été distingués parmi leurs frères par ma seule volonté. Celui donc qui néglige le plus petit d'entre les miens néglige aussi le plus grand, parce que c'est moi qui ai décidé de tout. Et quiconque offense l'un de mes saints, m'offense moi-même, ainsi que les autres saints dans le royaume des cieux.
Ils ne forment qu'un seul corps, unis par le lien de la charité; ils ont tous les mêmes pensées, la même volonté, et tous se retrouvent en moi.

5. Et chose plus parfaite encore, ils se sont élevés bien au-dessus d'eux-mêmes et de leurs propres mérites pour me regarder que moi seul et se reposer dans mon amour. Rien ne peut les en détourner, car, illuminés par la vérité éternelle, ils sont remplis par l'ardeur de la charité.
Que les hommes encore prisonniers des limites de la vie présente cessent donc de discourir sur l'état des saints. Ils en retranchent ou en ajoutent suivant leur humeur, et non selon ce qui plaît à Dieu.

6. Ceux qui refusent de se laisser éclairer par la lumière divine sont condamnés à ignorer beaucoup de domaines et sont rarement capables d'une dilection spirituelle. Une affection naturelle, une amitié humaine les attire vers telle ou telle personne, et ils jugent des choses célestes selon les sentiments qu'ils éprouvent dans les choses terrestres. Mais il y a entre les deux une distance incommensurable.

7. Garde-toi donc de traiter de ces problèmes qui dépassent ton entendement; travaille plutôt avec ardeur à obtenir au moins la grâce d'entrer dans le royaume de Dieu.
Et même si quelqu'un parvenait à savoir lequel des saints est supérieur aux autres, à quoi cela lui servirait-il, s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de louer davantage mon nom?
Celui qui pense à la gravité de ses péchés, à la faiblesse de sa vertu, à la distance qui le sépare de la perfection des saints, celui-là se rend bien plus agréable à Dieu.
Il vaut mieux prier les saints avec ferveur et implorer humblement leur aide que de chercher vainement à pénétrer le secret de leur condition dans le ciel.

8. Les saints sont parfaitement heureux et comblés. Pourquoi chercher à en savoir plus en alimentant de vaines controverses?
Les saints ne se glorifient pas de leurs mérites, ne s'attribuent aucun bien, mais rapportent tout à moi, qui les ai pourvus avec une tendresse infinie.
Ils sont remplis pour le Créateur d'un si grand amour, d'une joie si profonde qu'il ne manque rien à leur gloire, comme il ne manque rien non plus à leur bonheur. Plus ils voient croître leur gloire, plus ils deviennent humbles en eux-mêmes et plus ils deviennent proches et chers à mon cœur.
C'est pourquoi il est écrit: Ils déposent leurs couronnes au pied du trône de Dieu, ils se prosternent devant l'Agneau et ils adorent Celui qui vit dans les siècles des siècles (Apoc. 4,10; 5,14).

9. Certains hommes qui s'interrogent ainsi sur le royaume de Dieu ne savent même pas s'ils seront dignes d'être comptés parmi ses élus. C'est pourtant une grande chose que d'être appelé dans le ciel, même à la dernière place, car tous y sont également enfants de Dieu.
Le moindre des élus en vaut mille et sera comme le chef d'un peuple nombreux tandis que le pécheur, même s'il vit cent ans, n'aboutit qu'à la mort (Is. 60,22; 65,20).
Ainsi, quand mes disciples demandèrent qui était le plus grand dans le royaume des cieux, ils reçurent cette réponse: Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux; mais celui qui se fera petit comme ce tout petit sera le plus grand dans le royaume des cieux (Mt. 18,4).

10. Malheur à ceux qui refusent de s'abaisser, car la porte du ciel se refermera devant eux!
Malheur aussi aux riches qui ont ici-bas leur consolation (Luc 6,24); car les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, tandis qu'ils demeureront dehors en versant des larmes.
Réjouissez-vous, vous les humbles et les pauvres en esprit, et tressaillez d'allégresse, car le royaume des cieux est à vous (Luc 6,20), si vous n'abandonnez pas le chemin de la vérité.

Chapitre 59

METTRE EN DIEU SEUL TOUTE SON ESPÉRANCE
ET TOUTE SA CONFIANCE

1. Seigneur, quel est mon espoir sur cette terre et mon plus grand réconfort au milieu de tout le mal qui s'offre à mes regards? N'est-ce pas toi, Seigneur mon Dieu, dont la miséricorde est infinie?
Où pourrais-je me trouver bien sans toi? De quoi pourrais-je me plaindre lorsque tu es avec moi? J'aime mieux la pauvreté à cause de toi, que la richesse sans toi. J'aime mieux être pèlerin avec toi sur la terre, que de posséder le monde sans toi. L'enfer pour moi, c'est vivre en ton absence.
Tous mes désirs, mes cris et mes prières montent vers toi seul, Seigneur. Je ne peux mettre mon entière confiance qu'en toi, mon Dieu, d'où peut me venir l'unique secours dans toutes mes difficultés. Tu es mon espérance et mon soutien.

2. Tous cherchent leur intérêt (Philip. 2,21); toi seul ne souhaites que mon salut et mon progrès spirituel, et tu disposes de tout au mieux pour moi.
Même quand tu m'envoies des tentations et des peines, c'est encore pour mon bien, car tu as coutume d'éprouver tes élus de mille manières. Et je dois t'aimer et te louer autant dans ces moments-là que lorsque tu me combles de tes grâces.

3. C'est donc en toi, Seigneur Jésus, que je place tout mon espoir; c'est de toi que j'attends tout réconfort; c'est à toi que je remets tous mes chagrins et mes angoisses, car, hors de toi, je ne rencontre qu'inconstance et faiblesse.
Ni l'aide de mes amis, ni la puissance de mes protecteurs, ni la lecture de livres savants, ni la possession d'aucun trésor, rien de tout cela ne pourra avoir d'effet sur moi si tu ne restes à mes côtés pour m'encourager, me fortifier, me soutenir, m'instruire et me sauver.

4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur n'est rien sans toi, et ne donne aucune joie véritable.
Tu es le principe et le terme de tous les biens, la plénitude de la vie, la source inépuisable de toute lumière et de toute parole; et le plus puissant stimulant pour tes serviteurs est d'espérer uniquement en toi.

PRIÈRE AU PÈRE TRÈS MISÉRICORDIEUX

Mes yeux sont tournés vers toi; en toi je mets toute ma confiance, ô mon Dieu, Père de miséricorde. Daigne sanctifier mon âme par ta céleste bénédiction, afin qu'elle devienne ta demeure sainte, le siège de ta gloire éternelle; et si tu viens dans ce lieu, qu'il ne s'y trouve rien qui puisse offenser tes regards.
Regarde-moi, Seigneur, dans ta bonté et l'immensité de tes miséricordes (Ps. 68,16,17); exauce la prière de ton pauvre serviteur exilé loin de toi, là où plane l'ombre de la mort.
Protège et sauve l'âme de ton serviteur à travers les dangers de cette vie terrestre; que ta grâce l'accompagne et le conduise par la voie de la paix dans la patrie de la lumière éternelle. Amen.