Question 104 LES EFFETS SPÉCIAUX DU GOUVERNEMENT DIVIN 1. Les créatures ont-elles besoin d’être conservées dans l’être par Dieu ? - 2. Le sont-elles d’une manière immédiate ? - 3. Dieu peut-il réduire quelque chose à néant ? - 4. Y a-t-il des réalités qui soient réduites à néant ? Article 1 Les créatures ont-elles besoin d’être conservées dans l’être par Dieu ? Objections : 1. Ce qui ne peut pas ne pas être n’a pas besoin d’être conservé dans l’être ; de même que ce qui ne peut pas disparaître n’a pas besoin qu’on le conserve pour l’empêcher de disparaître. Mais il y a des créatures qui, par leur nature même, ne peuvent pas ne pas être. Donc toutes les créatures n’ont pas besoin d’être conservées dans l’être par Dieu. - Prouvons la mineure par ce syllogisme. Tout ce qui appartient de soi à une chose se trouve en elle nécessairement, et son opposé ne peut aucunement lui appartenir. Ainsi, un nombre binaire est nécessairement un nombre pair, et il est impossible qu’il soit impair. Or l’être, de soi, est consécutif à la forme, car toute chose est en acte pour autant qu’elle possède une forme. D’autre part, nous l’avons dit précédemment, certaines créatures, comme les anges, sont des formes subsistantes, ce qui suppose par conséquent que, de soi, l’être leur appartient. Et il en est de même de ces réalités dont la matière n’est en puissance qu’à une seule forme, comme les corps célestes. Les créatures de ce genre, par leur nature même, existent donc nécessairement et ne peuvent pas ne pas être ; car la puissance au non-être, dans leur cas, ne peut être fondée ni sur la forme à laquelle l’être se conforme de soi, ni sur la matière sous-jacente à la forme, puisque, n’étant pas en puissance à une autre forme, la matière d’un corps céleste ne peut perdre la forme qu’elle possède déjà. 2. Dieu est plus puissant qu’aucun agent créé. Mais un agent créé peut communiquer à son effet le pouvoir de se conserver dans l’être, même après que cet agent a cessé d’exercer sur lui son activité ; ainsi, quand le constructeur a terminé son travail, la maison demeure ; quand le feu a cessé d’agir, l’eau reste chaude, au moins quelque temps. A plus forte raison Dieu peut-il communiquer à sa créature le pouvoir de se conserver dans l’être, même après qu’il a cessé de la produire. 3. Tout ce qui violente une nature ne peut arriver sans une cause agente. Mais pour une créature tendre au non-être est contre nature et représente pour elle quelque chose de violent, car toute créature tend par nature à l’existence. Aucune créature ne peut donc tendre au non-être sans un agent destructeur. Mais il y a des créatures qu’aucun agent ne peut détruire, telles les substances spirituelles et les corps célestes. De telles créatures ne peuvent donc tendre au non-être, même lorsque cesse l’action de Dieu qui les produit. 4. Si Dieu conserve les choses dans l’être, ce ne peut être que par une certaine action. Or il n’y a pas d’action efficace sans effet produit. Il faut donc que l’action conservatrice de Dieu produise quelque chose dans les créatures, ce que l’on ne voit pas. Une telle action en effet ne produit pas l’existence de la créature, car ce qui existe déjà ne devient pas. Elle ne produit pas davantage quelque autre effet surajouté cars dans ce cas, ou bien Dieu ne conserverait pas la créature dans l’être d’une façon continue, ou bien quelque chose serait continuellement ajouté à la créature, ce qui est inconcevable. Les créatures ne sont donc pas conservées dans l’être par Dieu. En sens contraire, nous lisons dans l’épître aux Hébreux (1, 3) " Il soutient toutes choses par sa parole puissante. " Réponse : Il est nécessaire de dire, et selon la foi, et selon la raison, que les créatures sont conservées dans l’être par Dieu. Pour le prouver, il faut remarquer qu’un être est conservé par un autre d’une double manière. D’abord indirectement et par accident, en ce sens que celui-là est dit conserver une chose, qui en écarte tout élément destructeur ; ainsi celui qui empêche l’enfant de tomber dans le feu est appelé un sauveteur. Sous ce rapport, Dieu conserve certaines choses, mais non pas toutes, car il y a des réalités incorruptibles qui n’ont pas besoin qu’on les conserve en écartant ce qui pourrait les détruire. - Dans un autre sens, quelqu’un est dit conserver une chose directement et par soi, quand celle-ci dépend de celui qui la conserve de telle manière que, sans lui, elle ne pourrait pas exister. A ce point de vue, toutes les créatures ont besoin de la conservation divine. En effet, l’existence des créatures dépend à tel point de Dieu qu’elles ne pourraient subsister un instant et seraient réduites au néant si, par l’opération de la puissance divine, elles n’étaient conservées dans l’être, comme dit S. Grégoire. Et il est aisé de s’en rendre compte. Tout effet dépend de sa cause dans la mesure même où celle-ci est sa cause. Mais il y a des agents qui sont seulement cause du devenir de l’effet, et non directement de son existence. C’est ce qui arrive aussi bien à propos des produits de l’art qu’à propos des réalités naturelles. Le constructeur est cause du devenir de la maison, il ne l’est pas directement de son être. L’être de la maison est consécutif à sa forme ; la forme, elle, n’est autre que la composition et l’ordre des matériaux, et elle est consécutive à la vertu naturelle de ceux-ci. De même que le cuisinier cuit les aliments en utilisant la vertu naturelle active du feu, de même le constructeur bâtit la maison en utilisant du ciment, des pierres et des poutres capables de recevoir et de conserver un agencement et un ordre donnés. En sorte que l’être de la maison dépend des matériaux employés, tandis que le devenir est l’œuvre du constructeur. La même remarque s’applique d’ailleurs aux réalités naturelles. Si un agent naturel n’est pas cause de la forme en tant que telle, il ne sera pas davantage cause par soi de l’être consécutif à cette forme ; il sera seulement cause du devenir de l’effet. Or, il est manifeste que, si deux réalités sont de même espèce, l’une ne peut pas être par soi cause de la forme de l’autre, en tant qu’elle est telle forme ; ce serait dire que la réalité-cause peut produire sa propre forme, puisque les deux formes ont la même nature spécifique. Mais elle peut produire une forme semblable en prenant appui sur la matière en laquelle cette forme se trouve en puissance, et en la lui faisant acquérir. Et cela c’est être cause du devenir, comme l’homme engendre l’homme, et le feu engendre le feu. C’est pourquoi, toutes les fois qu’un effet naturel est apte de soi à recevoir l’impression de son agent selon la même raison spécifique déjà possédée par l’agent, ce dernier est cause du devenir de l’effet, mais non de son être. Mais parfois un effet n’est pas apte de soi à recevoir de l’agent une impression qui soit de même nature spécifique que l’agent lui-même ; ainsi en est-il de tous les agents qui reproduisent des effets qui ne leur sont pas spécifiquement semblables, tels les corps célestes, causes de la génération de corps inférieurs qui en sont spécifiquement dissemblables. Dans ce cas l’agent peut être cause de la forme en tant qu’elle est telle forme spécifique, et non pas seulement en tant qu’elle est obtenue dans telle matière. L’agent n’est pas alors simplement cause du devenir, mais de l’être. Donc de même que le devenir d’une réalité ne peut se poursuivre quand cesse l’action de l’agent, cause du devenir ; de même l’être d’une chose ne saurait demeurer lorsque cesse l’action de l’agent qui est cause non pas simplement du devenir, mais aussi de l’être de cette chose. Et c’est la raison pour laquelle l’eau chauffée retient la chaleur quand cesse l’action du feu, tandis que l’air cesse instantanément d’être lumineux quand cesse l’action du soleil. La matière de l’eau en effet est capable de recevoir la chaleur du feu telle qu’elle est spécifiquement dans le feu, et si elle est amenée à revêtir la forme du feu, elle restera toujours chaude ; si au contraire elle ne participe qu’imparfaitement de la forme du feu, par manière d’inchoation, la chaleur ne demeurera en elle que temporairement, à cause d’une participation trop faible du principe de chaleur. L’air n’est d’aucune manière apte par nature à recevoir la lumière telle qu’elle est spécifiquement dans le soleil, ce qui signifierait qu’il reçoit la forme même du soleil, laquelle est principe de lumière ; aussi, puisqu’elle n’a pas de fondement dans l’air, la lumière y cesse dès que cesse l’action du soleil. Or la situation de toute créature à l’égard de Dieu est celle même de l’air en face du soleil qui l’éclaire. Le soleil, par sa propre nature, est étincelant de lumière : l’air devient lumineux en participant de la lumière du soleil, sans pour autant participer de sa nature. Ainsi Dieu est l’être par essence, car son essence est d’exister ; toute créature au contraire est être par participation, du fait qu’exister n’appartient pas à son essence. Et, comme l’écrit S. Augustin : "Si la puissance de Dieu cessait un jour de régir les créatures, aussitôt leurs formes cesseraient, et toute nature s’effondrerait. " Et encore : " De même que l’air, en présence de la lumière, devient lumineux, ainsi l’homme, en présence de Dieu, se trouve illuminé ; en son absence, il tombe immédiatement dans les ténèbres." Solutions : 1. L’être est de soi consécutif à la forme de la créature, à condition que l’on pose l’intervention de Dieu ; de même, la lumière est une conséquence de la diaphanéité de l’air, mais demande l’intervention du soleil. C’est pourquoi la puissance au non-être chez les créatures spirituelles et chez les corps célestes doit être de préférence située en Dieu, qui peut toujours soustraire son influx, plutôt que placée dans la forme ou dans la matière de ces créatures. 2. Dieu ne peut communiquer à une créature de continuer à exister tout en cessant d’agir sur elle, pas plus qu’il ne peut lui communiquer d’être cause de son existence. Car la créature a besoin d’être conservée par Dieu en tant précisément que l’être de l’effet dépend de la cause de l’être. Il n’en n’est pas de même de l’agent qui ne cause que le devenir. 3. Il est question dans cette objection de la conservation qui s’opère par le retrait de tout élément destructeur. Or toutes les créatures, nous venons de le dire, n’ont pas besoin de cela. 4. La conservation des choses par Dieu ne suppose pas une nouvelle action de sa part, mais seulement qu’il continue à donner l’être, ce qu’il fait en dehors du mouvement et du temps. Ainsi la conservation de la lumière dans l’air se fait par la continuation de l’influx solaire. Article 2 Les créatures sont-elles conservées par Dieu de façon immédiate ? Objections : 1. C’est par la même action que Dieu conserve les choses et les crée, nous l’avons dite. Mais il crée immédiatement tous les êtres ; donc, il les conserve aussi immédiatement. 2. Toute réalité est plus proche d’elle-même que d’une autre. Mais il ne peut lui être donné de se conserver elle-même ; à plus forte raison ne peut-il lui être donné de conserver autre chose. Donc Dieu conserve toute chose sans cause intermédiaire. 3. Pour qu’un effet soit conservé dans l’être, il faut que sa cause soit productrice non seulement de son devenir, mais de son être. Or, toutes les choses créées, semble-t-il, ne sont causes que du devenir de leurs effets, car elles n’agissent que par le moyen du mouvement, on l’a vu. Elles ne conservent donc pas leurs effets dans l’être. En sens contraire, c’est le même agent qui, à la fois, donne l’être aux choses et le conserve. Mais Dieu donne l’être aux choses en se servant de causes intermédiaires. C’est donc par leur moyen aussi qu’il conserve les choses dans l’être. Réponse : Nous l’avons déjà dit, on peut conserver une réalité dans l’être d’une double manière : indirectement et par accident en écartant et en empêchant l’action d’un agent destructeur ; directement et par soi, ce qui suppose que l’être d’une réalité dépend d’une autre réalité, comme l’effet dépend de sa cause. Une réalité peut être conservatrice d’une autre de ces deux manières. Il est manifeste en effet que, même pour les réalités matérielles, il y en a beaucoup qui empêchent l’action des agents destructeurs et sont dites conservatrices des choses ; c’est ainsi que le sel empêche la putréfaction de la viande, et il est beaucoup d’exemples analogues. Mais on trouve aussi certains effets qui dépendent, dans leur être, d’une créature. Car il y a de nombreuses causes ordonnées les unes aux autres, en sorte que nécessairement, si l’effet dépend d’abord et principalement de la cause première, il dépend aussi secondairement de toutes les causes intermédiaires. C’est pourquoi, à titre principal certes, la cause première est conservatrice de l’effet ; mais à titre second toutes les causes intermédiaires le sont aussi, et d’autant plus qu’elles sont plus élevées et plus proches de la cause première. De là vient qu’on attribue aux causes supérieures, même dans le monde matériel, la conservation et la permanence des choses ; Aristote affirme que le premier mouvement, le mouvement diurne, est cause de la continuité de la génération ; que le second mouvement, le mouvement zodiacal, est cause de la diversité produite sous le rapport de la génération et de la corruption. De même les astronomes attribuent à Saturne, la planète supérieure, les réalités fixes et permanentes. Il faut donc dire que Dieu conserve certaines choses dans l’être en se servant de causes intermédiaires. Solutions : 1. Oui, Dieu a créé toutes choses immédiatement, mais en les créant il a institué un ordre entre elles, si bien que quelques-unes dépendent de certaines autres et, à titre second, sont conservées dans l’être par ces dernières, étant admis que la conservation principale vient de Dieu lui-même. 2. La cause propre est conservatrice de l’effet qui dépend d’elle car, de même qu’il ne peut être donné à aucun effet d’être cause de soi, mais qu’il peut être cause d’autre chose, de même il ne peut être donné à aucun effet de se conserver soi-même ; mais, à titre de cause, il peut conserver autre chose. 3. Aucune créature ne peut exercer la causalité sur une chose et lui faire acquérir une nouvelle forme ou une nouvelle disposition, sinon par le moyen d’un certain changement, car elle ne peut agir que sur un sujet préexistant. Mais, après qu’elle a produit dans le sujet la forme ou la disposition, il lui revient de les conserver sans autre mutation de l’effet. Ainsi, quand l’air est illuminé de nouveau, cela suppose un certain changement, mais ensuite la conservation de la lumière se fait par la seule présence du foyer lumineux sans que rien soit changé dans l’air. Article 3 Dieu peut-il réduire quelque chose à néant ? Objections : 1. D’après S. Augustin " Dieu n’est pas cause de la tendance au non-être ". Or c’est ce qui arriverait si Dieu réduisait quelque chose à néant. C’est donc qu’il ne peut rien anéantir. 2. Dieu est cause que les choses soient, du fait de sa bonté, car, selon S. Augustin " c’est parce que Dieu est bon que nous sommes ". Mais Dieu ne peut pas ne pas être bon ; il ne peut donc pas faire que les choses ne soient pas, ce qu’il ferait s’il les réduisait à néant. 3. Si Dieu réduisait certains êtres à néant, il faudrait que ce soit par une action de sa part. Mais cela est impossible, car toute action a pour forme quelque chose de réel. C’est d’ailleurs pourquoi la corruption se termine toujours à une réalité engendrée, selon l’adage qui veut que la génération d’un être suppose la corruption d’un autre être. Dieu ne peut donc rien annihiler. En sens contraire, nous lisons dans Jérémie (10, 24 Vg) : " Corrige-moi, Seigneur, mais dans une juste mesure, sans te courroucer, pour ne pas me réduire à néant. " Réponse : Pour certains philosophes, Dieu a produit les choses dans l’être par nécessité de nature. Si c’était vrai, Dieu ne pourrait rien réduire à néant, de même qu’il ne peut changer sa nature. Mais, comme nous l’avons déjà dit, cette position est fausse et tout à fait étrangère à la foi catholique, où l’on professe que Dieu a produit les choses dans l’être par sa libre volonté. Aussi lisons-nous dans le Psaume (135, 6) : " Tout ce que le Seigneur a voulu, il l’a fait. " Communiquer l’être à la créature dépend donc de la volonté de Dieu. Et Dieu conserve les choses dans l’existence uniquement parce qu’il continue à leur communiquer l’existence, comme nous l’avons déjà noté. Donc, de même qu’avant la création des choses, il pouvait ne pas leur communiquer l’être et, de la sorte, ne pas les produire ; de même, une fois les choses réalisées, il peut cesser de leur communiquer l’être : elles cesseront alors aussitôt d’exister. C’est cela, les réduire à néant. Solutions : 1. Le non-être n’a pas de cause par soi, car rien ne peut être cause sinon en tant qu’il est de l’être ; et l’être, à proprement parler, est cause d’être. C’est pourquoi Dieu ne peut être cause d’une tendance au non-être. Cette tendance, la créature la possède par soi, en tant qu’elle vient du néant. Cependant Dieu peut être cause par accident de l’anéantissement des choses : il suffirait qu’il leur retire son action conservatrice. 2. La bonté de Dieu est cause des choses, non par nécessité de nature, puisque la bonté divine ne dépend pas des créatures, mais par sa libre volonté. Dieu peut donc, sans porter préjudice à sa bonté, ne pas donner l’être aux choses ; il peut également, sans diminuer sa bonté, ne pas les conserver dans l’être. 3. Si Dieu réduisait quelque chose à néant, ce ne serait pas par une action nouvelle, mais par le fait qu’elle cesserait d’agir. Article 4 Y a-t-il des réalités qui soient réduites à néant ? Objections : 1. La fin répond au principe. Mais au principe il n’y avait que Dieu. Au terme, quand les choses auront atteint leur fin, il faudra donc qu’il n’y ait plus rien que Dieu. Et ainsi les créatures seront réduites à néant. 2. Toute créature a une puissance finie. Mais aucune puissance finie ne peut s’étendre à l’infini, et c’est pourquoi Aristote montre que "une puissance finie ne peut mouvoir pendant un temps infini ". Aucune créature ne peut donc durer indéfiniment. Et ainsi, à un moment donné, elle sera réduite à néant. 3. La matière ne fait pas partie de la forme ni des accidents. Mais parfois ceux-ci cessent d’exister. Ils sont donc réduits à néant. En sens contraire, nous lisons dans l’Ecclésiaste (3, 14) : "J’ai appris que tout ce que Dieu fait durera toujours. " Réponse : En ce qui regarde les interventions de Dieu envers sa créature, certaines se produisent selon le cours naturel des choses ; d’autres sont miraculeuses et en dehors de l’ordre naturel imprimé aux créatures, comme on le dira bientôt,. Les premières, Dieu les fera selon la nature même des choses ; les œuvres miraculeuses sont ordonnées à la manifestation de la grâce, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 12, 7) : " A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune " ; et plus loin il parle, entre autres, des miracles. Les natures des créatures montrent que nulle d’entre elles n’est réduite à néant ; car ou bien elles sont immatérielles, et il n’y a pas en elles de puissance au non-être ; ou bien elles sont matérielles, et elles subsistent toujours, au moins quant à la matière, qui est incorruptible, car elle subsiste comme sujet de la génération et de la corruption. D’autre part la réduction d’une chose à néant ne saurait se rattacher à la manifestation de la grâce, car la puissance et la bonté divines sont davantage manifestées par la conservation des choses dans l’être. Il faut donc conclure purement et simplement qu’absolument rien n’est réduit à néant. Solutions : 1. Que les choses soient produites dans l’être après n’avoir pas existé, cela montre la puissance de leur auteur. Mais leur réduction à néant ferait obstacle à cette manifestation, car c’est la conservation des choses dans l’être qui manifeste au maximum la puissance de Dieu, selon l’Apôtre (He 1, 3) : " Il soutient toutes choses par sa parole puissante. ". 2. La puissance à exister, chez la créature, est purement réceptive, mais la puissance active vient de Dieu de qui découle l’existence. C’est pourquoi la durée indéfinie des choses doit être attribuée à l’infinité de la puissance divine. Cependant, certaines choses reçoivent une vertu limitée qui leur permet de durer un certain temps, en ce sens que l’influx qu’elles reçoivent de Dieu pour exister peut être contrarié par un agent auquel une vertu finie ne saurait résister indéfiniment, mais seulement pendant un temps limité. Et c’est pourquoi les choses qui n’ont pas de contraire peuvent durer toujours, bien qu’ayant une vertu finie. 3. Les formes et les accidents ne sont pas des êtres complets, car ils ne subsistent pas ; ils sont seulement une détermination de l’être. C’est pourquoi on dit qu’ils sont de l’être, en ce sens que, par eux, quelque chose existe. Pourtant, même selon leur mode d’être, on ne peut pas dire qu’ils soient tout à fait réduits à néant ; non parce qu’une partie d’entre eux subsiste, mais parce qu’ils demeurent en puissance dans la matière ou le sujet. |