Question 14

LA SCIENCE DE DIEU

Après l’étude de la substance divine, il reste à envisager ce qui concerne ses opérations. Et, comme il y a des opérations de deux espèces, les unes qui demeurent dans le sujet opérant, et d’autres qui s’étendent à un effet extérieur, nous traiterons d’abord de la science et de la volonté (Q. 14-24) [car savoir est dans l’être qui sait, et vouloir dans l’être qui veut] ; ensuite, nous traiterons de la puissance de Dieu (Q. 25), qu’on envisage comme principe des opérations divines s’étendant à un effet extérieur. Et, parce que la connaissance est une opération vitale, après l’étude de la science divine, nous traiterons de la vie divine (Q. 18). Et, parce que la science a pour objet le vrai, il faudra encore traiter de la vérité et de l’erreur (Q. 16-17). En outre, le connu étant dans le connaissant, et les conceptions des choses, en Dieu, prenant le nom d’idées, nous devrons ajouter à la considération de la science divine la considération des idées (Q. 15).

1. Y a-t-il science en Dieu ? - 2. Dieu se connaît-il lui-même ? - 3. La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ? - 4. Le connaître de Dieu est-il sa substance même ? - 5. Dieu connaît-il les autres ? - 6. Dieu a-t-il des autres une connaissance propre ? - 7. La science de Dieu est-elle discursive ? - 8. La science de Dieu est-elle cause des choses ? - 9. Dieu a-t-il connaissance des choses qui ne sont pas ? - 10. Dieu a-t-il connaissance des maux ? - 11. Dieu connaît-il les singuliers? - 12. Dieu connaît-il une infinité de choses ? - 13. Dieu connaît-il les futurs contingents ? - 14. Dieu connaît-il nos énonciations ? - 15. La science de Dieu est-elle soumise au changement ? - 16. Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ?

Article 1

Y a-t-il science en Dieu ?

Objections : 1. Il semble qu’il n’y ait pas de science en Dieu. En effet, la science est un habitus, et l’habitus n’a pas de place en Dieu, car il tient le milieu entre la puissance et l’acte. Il n’y a donc pas de science en Dieu.

2. La science, ayant pour objet les conclusions, est une connaissance causée par autre chose qu’elle, à savoir par la connaissance des principes. Mais il n’y a rien de causé en Dieu. Donc il n’y a pas de science en Dieu.

3. Toute science est ou générale ou particulière. Mais en Dieu, ni le général ni le particulier ne se rencontrent, comme on l’a montré précédemment. Il n’y a donc pas de science en Dieu.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 11, 33) : “ O profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu ! ”

Réponse : En Dieu il y a science, le plus parfaitement qui soit. Pour s’en convaincre, il faut observer que les êtres doués de connaissance se distinguent des non-connaissants en ce que ceux-ci n’ont d’autre forme que leur forme propre ; tandis que l’être connaissant, par nature, la capacité de recevoir, en outre, la forme d’autre chose : car la forme du connu est dans le connaissant. Et il est évident par là que la nature du non-connaissant est plus restreinte et plus limitée ; celle, au contraire, des connaissants ayant une plus grande ampleur et une plus large extension. Ce qui a fait dire au Philosophe que “ l’âme est d’une certaine manière toutes choses ”. Or, c’est par la matière que la forme est restreinte, et c’est pourquoi nous disions plus haut que les formes, à mesure qu’elles sont plus immatérielles, accèdent à une sorte d’infinité. On voit donc que l’immatérialité d’un être est ce qui fait qu’il soit doué de connaissance, et son degré de connaissance se mesure à son immatérialité. Aussi Aristote explique-t-il, dans le traité De l’Ame, que les plantes ne connaissent pas en raison de leur matérialité. Le sens, lui, est connaissant en raison de sa capacité à recevoir des formes sans matière ; et l’intellect est connaissant à un plus haut degré encore, parce qu’il est plus séparé de la matière, et non mélangé à elle, dit Aristote. Comme Dieu est au sommet de l’immatérialité, ainsi qu’on l’a vu par ce qui précède, il est en conséquence au sommet de la connaissance.

Solutions : 1. Parce que les perfections qui procèdent de Dieu dans les créatures, sont chez lui, selon un mode supérieur, comme il a été dit plus haute, quand nous attribuons à Dieu un nom tiré de quelque perfection de la créature, nous devons exclure de sa signification tout ce qui tient au mode imparfait propre à la créature. C’est pourquoi la science en Dieu n’est pas une qualité, ou un habitus, mais substance et acte pur.

2. Nous avons vu que ce qui est divisé et multiple dans les créatures se trouve en Dieu simple et un. Dans l’homme, selon la diversité des connus, il y a diverses sortes de connaissances : ainsi, “ principes ”, on dit “ intelligence ”, “ science ” , selon qu’il connaît les conclusions ; “ sagesse ”, selon qu’il connaît la cause suprême ; “ conseil ” ou “ prudence ”, selon qu’il connaît ce qui est à faire. Mais Dieu connaît toutes ces choses d’une simple et unique connaissance, ainsi qu’on le verra. C’est pourquoi la connaissance de Dieu peut recevoir absolument tous ces noms, à la condition qu’on écarte de chacun d’eux, lorsqu’il est attribué à Dieu, tout ce qu’il comprend d’imparfait, et qu’on en retienne tout le parfait. C’est ainsi qu’il est écrit (Jb 12,13) : “ En lui résident la sagesse et la puissance ; le conseil et l’intelligence lui appartiennent. ”

3. La science emprunte ses caractères à la manière d’être du sujet connaissant, car l’objet connu est dans celui qui le connaît selon la manière d’être de ce dernier. Puisque l’essence divine a un mode d’être supérieur à celui des créatures, la science divine ne sera pas comme la science créée : ni universelle ni particulière, ni en disposition habituelle, ni en puissance, ni sous aucun autre mode pareil.

Article 2

Dieu se connaît-il lui-même ?

Objections : 1. Il semble que Dieu ne se connaît pas lui-même, car il est dit au Livre des Causes : “ Tout être connaissant sa propre essence revient à son essence par un retour complet. ” Or Dieu ne quitte pas sa propre essence ; il ne se meut en aucune façon ; il ne peut donc faire ainsi retour, pour la connaître, à son essence. Donc il ne se connaît pas.

2. Connaître est un certain “ pâtir ”, un “ être mû ”, comme il est dit au livre De l’Ame ; la science est encore une assimilation de l’esprit à la chose connue ; enfin, ce que l’on sait est une perfection de celui qui sait. Or, nul ne pâtit de lui-même, ne se perfectionne lui-même, n’est semblable à lui-même, comme l’observe S. Hilaire.

3. Nous sommes semblables à Dieu surtout par l’intelligence, parce que c’est l’esprit, dit S. Augustin, qui nous fait à l’image de Dieu. Mais notre intellect ne parvient pas à se connaître lui-même, si ce n’est en connaissant d’autres choses, comme l’affirme le livre De l’Ame. Donc Dieu non plus ne se connaît pas, si ce n’est peut-être en connaissant autre chose que lui.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (1 Co 2, 11) : “ Nul ne connaît ce qui concerne Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. ”

Réponse : Dieu se connaît, et il se connaît par lui-même. Pour le comprendre, il faut savoir que si, dans le cas d’opérations qui s’étendent à un effet extérieur, l’objet de l’opération, c’est-à-dire son terme, est quelque chose d’extérieur au sujet opérant, au contraire, quand il s’agit d’opérations qui sont dans le sujet opérant lui-même, l’objet en lequel se termine l’opération est dans le sujet opérant, et en cela même consiste l’opération : que l’objet est dans le sujet. Aussi est-il dit au livre De l’Ame que le sensible en acte est identique au sens en acte, et que l’intelligible en acte est identique à l’intellect en acte. Car sentir ou connaître intellectuellement en acte quelque chose, cela vient de ce que notre intellect ou notre sens est actuellement informé par la force du sensible ou de l’intelligible. Et si le sens ou l’intelligence diffèrent du sensible ou de l’intelligible, c’est seulement quand ils sont l’un et l’autre en puissance. Donc, comme en Dieu rien n’est potentiel, mais qu’il est l’acte pur, il y a nécessité qu’en lui l’intellect et l’objet de l’intellect soient identiques de toute manière ; de telle sorte que jamais il ne soit dépourvu de forme intelligible, comme nous quand nous ne connaissons qu’en puissance ; et que, d’autre part, la forme intelligible ne soit pas distincte de la substance même de l’intellect divin, comme il arrive pour notre intellect quand il est actuellement connaissant. En conséquence, la forme intelligible dont on parle est l’intellect divin lui-même, et ainsi il se connaît lui-même par lui-même.

Solutions : 1. Faire retour à sa propre essence ”, c’est simplement subsister en soi. En effet, la forme, en tant qu’elle parfait la matière en lui donnant l’être, se répand en quelque sorte dans cette matière. Mais en tant qu’elle a l’être en elle-même, elle revient à elle. Donc, les facultés cognitives non subsistantes, mais qui sont l’acte d’organes corporels, ne se connaissent pas elles-mêmes, comme on le voit de nos divers sens. Au contraire, les facultés cognitives qui subsistent par elles-mêmes peuvent se connaître elles-mêmes. C’est ce que déclare le Livre des Causes quand il dit : “ Celui qui connaît sa propre essence fait retour à son essence. ” Or, subsister par soi-même est souverainement le cas de Dieu. Donc, selon cette façon de parler, on devra dire que souverainement aussi Dieu fait retour à son essence, et se connaît lui-même.

2. “ Être mû ”, “ pâtir ”, ces mots sont pris équivoquement quand on dit que l’intellection est un “ être mû ”, un “ pâtir ”, comme l’explique Aristote au livre De l’Ame. Car connaître intellectuellement n’est pas un mouvement, lequel est l’acte de l’imparfait, c’est-à-dire un passage de la puissance à l’acte ; c’est un acte du parfait, c’est-à-dire un acte qui demeure dans l’agent. De même, que l’intellect soit actué par l’intelligible, ou encore qu’il lui devienne assimilé, cela convient à l’intellect auquel il arrive d’être en puissance. Étant en puissance, il diffère de son intelligible et lui est assimilé par une forme intelligible, qui est la similitude de la chose connue, et il tient d’elle sa perfection, comme la puissance est perfectionnée par l’acte. Mais l’intellect divin, qui n’est d’aucune manière en puissance, n’est pas perfectionné par l’intelligible, il ne lui est pas assimilé ; il est lui-même sa propre perfection et son propre intelligible.

3. La matière première, qui est pure puissance, n’est capable de l’être naturel que dans la mesure où elle est actualisée par la forme. Or, notre intellect passif est dans l’ordre de l’intelligible ce qu’est la matière première dans l’ordre des choses naturelles, car il est en puissance à l’égard des intelligibles comme la matière première à l’égard des choses naturelles. Il s’ensuit que notre intellect passif ne peut connaître les intelligibles que s’il est actualisé par une forme intelligible. Et ainsi il se connaît lui-même, comme il connaît tout le reste, au moyen d’une forme intelligible ; car il est évident que, connaissant un objet intelligible, il connaît sa propre intellection, et par cet acte il connaît sa puissance intellectuelle. Mais Dieu, lui, est acte pur aussi bien dans l’ordre de la connaissance que dans l’ordre de l’existence, et c’est pourquoi il se connaît lui-même par lui même.

Article 3

La connaissance que Dieu a de lui-même est-elle compréhensive ?

Objections : 1. Il ne le semble pas, car S. Augustin écrit : “ Un être qui se comprend est fini pour lui-même. ” Or, Dieu est de toute manière infini : donc il ne peut se comprendre lui-même.

2. Si l’on dit : Dieu est infini pour nous, bien que fini pour lui-même, on peut objecter encore : Ce qui est vrai pour Dieu est plus vrai que ce qui est vrai pour nous. Donc, si Dieu est pour lui-même fini, il est plus vrai de dire : Dieu est fini, que de dire : Dieu est infini. Or, cela contredit tout ce qui a été déterminé plus haut. Donc Dieu ne se comprend pas lui-même.

En sens contraire, S. Augustin écrit au même endroit : “ Tout être qui se connaît intellectuellement se comprend. ”

Réponse : Dieu a de lui-même une connaissance compréhensive, et en voici la preuve. On dit d’une chose qu’elle est comprise lorsqu’on est parvenu au terme extrême de sa connaissance, et cela se produit lorsque cette chose est connue aussi parfaitement qu’elle est connaissable. Par exemple, une proposition susceptible d’être démontrée est comprise quand elle est connue par démonstration, non quand elle est connue par une raison simplement plausible. Or il est manifeste que Dieu se connaît parfaitement comme il est parfaitement connaissable. En effet, chaque être est connaissable dans la mesure où il est en acte ; car on ne connaît pas une chose selon qu’elle est en puissance, mais selon qu’elle est en acte, ainsi qu’il est dit dans la Métaphysique. Or, la vertu cognitive de Dieu égale l’actualité de son être, car, si Dieu est connaissant, cela vient de ce qu’il est en acte et dégagé de toute matière, de toute potentialité, ainsi qu’on l’a montré. Il est donc évident qu’il se connaît lui-même autant qu’il est connaissable. Et c’est pourquoi il se comprend parfaitement.

Solutions : 1. A le prendre en toute propriété de termes, “ comprendre ” signifie avoir en soi et inclure quelque chose. Ainsi, tout ce qui est “ compris ” est nécessairement fini comme tout ce qui est inclus. Mais quand on dit de Dieu qu’il est compris par lui-même, on n’entend pas dire que son intellect soit autre que son être, qu’il le prend en lui et l’inclut. De telles expressions doivent être interprétées négativement. De même que l’on dit : Dieu est en lui-même pour dire qu’il n’est contenu par rien d’extérieur, ainsi dit-on qu’il se comprend lui-même pour exprimer que rien de lui-même ne lui échappe. C’est ce qui fait dire à S. Augustin : “ Une chose est comprise quand on la voit de telle sorte que rien d’elle n’échappe à celui qui voit. ”

2. Quand on dit : Dieu est fini pour lui-même, cela ne doit s’entendre que d’une sorte d’égalité de proportion, et cela signifie : Dieu ne dépasse pas plus la capacité de sa propre intelligence qu’un être fini ne dépasse la capacité d’un esprit fini. Mais on n’entend pas que Dieu soit fini pour lui-même en ce sens que lui-même se comprendrait comme fini.

Article 4

Le connaître de Dieu est-il sa substance même ?

Objections : 1. Il semble que non. Car connaître est une opération. Or, une opération signifie quelque chose qui procède d’un opérant. Donc le connaître de Dieu n’est pas sa substance même.

2. Connaître que l’on connaît, ce n’est pas connaître quelque chose d’important, de principal, mais quelque chose de secondaire et d’accessoire. Donc, si Dieu est identique à son intellection, connaître sera pour Dieu comme pour nous connaître que nous connaissons, et le connaître de Dieu ne sera rien de grand.

3. Connaître, c’est connaître quelque chose. Donc, quand Dieu se connaît lui-même, si lui-même n’est autre que son propre connaître, il connaît seulement son connaître, et ainsi à l’infini. Il n’est donc pas possible que le connaître de Dieu soit sa substance.

En sens contraire, S. Augustin affirme : “ Pour Dieu, être, c’est être sage. ” Etre sage, ici, c’est connaître. Donc, pour Dieu, être, c’est connaître par l’intelligence. Or, nous avons vu plus haut que l’être de Dieu est identique à sa substance ; donc, l’intellection, en Dieu, est identique à sa substance.

Réponse : On doit dire nécessairement que le connaître, en Dieu, est identique à sa substance. Car si l’intellection de Dieu était distincte de sa substance, il s’ensuivrait, selon le Philosophe au livre XII de la Métaphysique, que cette substance divine trouverait son acte et sa perfection dans autre chose qu’elle-même, à l’égard de quoi elle entretiendrait la relation de puissance à un acte, ce qui est tout à fait impossible, car le connaître est la perfection et l’acte du connaissant.

Comment cela se fait, il faut l’examiner. Nous avons dit plus haut que l’intellection n’est pas une action sortant de l’agent et passant en quelque chose d’extérieur, mais qu’elle demeure en lui comme son actualité et sa perfection, à la manière dont l’être même est la perfection de l’existant. En effet, comme l’être est consécutif à la forme, ainsi l’intellection est consécutive à la forme intelligible. Mais en Dieu, il n’y a pas de forme qui soit autre que son être même, ainsi qu’on l’a montré. Il en résulte donc nécessairement son essence même étant forme intelligible, comme on l’a dit également _ que son connaître lui-même est et son essence et son être.

De tout ce qui précède il résulte qu’en Dieu, l’intellect, le connu, la forme intelligible et le connaître lui-même sont absolument une seule et même chose. Manifestement donc, dire de Dieu qu’il connaît n’introduit dans sa substance aucune multiplicité.

Solutions : 1. L’intellection n’est pas une opération sortant de l’opérant, mais elle demeure en lui.

2. Connaître le connaître qui n’est pas subsistant n’est pas connaître grand-chose, comme lorsque nous connaissons notre propre connaître. Mais il n’en va pas de même du connaître divin, qui est subsistant.

3. Le connaître divin, qui est subsistant en lui-même, est connaissance de soi-même, et non de quelque chose d’autre qu’il faudrait poursuivre indéfiniment.

Article 5

Dieu connaît-il les autres ?

Objections : 1. Il semble que Dieu ne connaisse pas les autres. Car tout ce qui est autre que Dieu lui est extérieur. Or S. Augustin nous dit : “ Dieu ne voit rien en dehors de lui-même. ” Donc il ne connaît pas les autres.

2. Le connu est la perfection du connaissant. Donc, si Dieu connaît les autres, quelque chose d’autre sera sa perfection, et sera plus noble que lui. Ce qui est impossible.

3. L’intellection est spécifiée par l’intelligible, comme tout autre acte est spécifié par son objet ; et de là vient que le connaître est d’autant plus noble que la chose connue est plus noble. Or, Dieu est lui-même sa propre intellection, avons-nous dit. Donc, si Dieu connaît autre chose que lui, Dieu même est spécifié par autre chose, ce qui est impossible. Il ne connaît donc pas les choses autres que lui-même.

En sens contraire, on lit dans l’épître aux Hébreux (4, 13) : “ Toutes choses sont à nu et à découvert devant ses yeux.”

Réponse : De toute nécessité il faut dire que Dieu connaît les autres. Il est manifeste, en effet, qu’il se connaît parfaitement lui-même, sans quoi son être ne serait pas parfait, puisque son être est son connaître. Or, si quelque chose est connu parfaitement, il est nécessaire que son pouvoir soit connu parfaitement. Mais le pouvoir d’un agent ne peut être connu parfaitement sans que soient connues les choses auxquelles s’étend ce pouvoir. Comme le pouvoir de Dieu s’étend aux autres, puisqu’il est la première cause efficiente de toutes choses, comme on l’a démontré précédemment, il est donc de toute nécessité que Dieu connaisse les autres. Cela devient plus évident encore si l’on ajoute que l’être même de la cause première, qui est Dieu, est son connaître, et que toutes choses sont en lui à la manière dont l’intelligible est dans l’intellect. Car tout ce qui est dans un autre y est toujours selon le mode propre de celui en qui il est.

Pour savoir comment Dieu connaît ainsi les autres, il faut remarquer qu’il y a deux manières, pour une chose, d’être connue : en elle-même, et en une autre. On connaît une chose en elle-même quand on la connaît par le moyen de sa propre forme intelligible, adéquate à elle, comme lorsque l’œil voit un homme par la forme sensible, en lui, de cet homme. On connaît au contraire en un autre ce que l’on voit par la forme cognitive propre de ce qui le contient, comme lorsque l’on voit une partie d’un tout par la forme cognitive du tout, ou un homme dans un miroir par l’image que donne ce miroir, ou de quelque autre manière dont une chose puisse être vue dans une autre.

Partant de là, il faut dire que Dieu se voit lui-même en lui-même, puisqu’il se voit par sa propre essence. Mais quant aux autres êtres, il ne les voit pas en eux-mêmes, il les voit en lui-même, selon que son essence a en elle la similitude de tout ce qui est autre que lui.

Solutions : 1. Quand S. Augustin écrit : “ Dieu ne voit rien en dehors de lui-même ”, il ne faut pas comprendre qu’il ne verrait rien de ce qui se trouve hors de lui-même, mais bien que ce qui est en dehors de lui-même, il ne le voit ou ne le regarde qu’en lui-même, ainsi qu’on vient de l’expliquer.

2. Si le connu est la perfection du connaissant, ce n’est point par sa substance, c’est par sa forme intelligible, selon laquelle il se trouve dans l’intellect comme sa forme et sa perfection. “ Ce n’est pas la pierre, dit Aristote eu qui est dans l’âme, mais sa forme. ” Quant aux réalités autres que Dieu, elles sont connues par Dieu selon que son essence comprend leurs formes intelligibles ainsi qu’on vient de le voir. Il ne s’ensuit donc pas qu’une autre réalité soit la perfection de l’intellect divin, en dehors de l’essence divine.

3. La vision intellectuelle n’est pas spécifiée par ce qui est vu dans un autre, mais par le connu principal dans lequel les autres choses sont connues. Le connaître, en effet, est spécifié par son objet en raison de ce que la forme intelligible est le principe de l’opération intellectuelle ; car toute opération est spécifiée par la forme qui est le principe de cette opération, comme l’échauffement est spécifié par la chaleur. L’opération intellectuelle reçoit son espèce de la forme intelligible qui fait que l’intellect est en acte. Et cette forme intelligible est celle du connu principal qui, en Dieu, n’est autre que son essence même, en laquelle toutes les formes représentatives des êtres sont comprises. Il ne s’impose donc pas que l’intellection divine, ou plutôt Dieu lui-même, soit spécifiée par autre chose que l’essence de Dieu.

Article 6

Dieu a-t-il une connaissance propre des réalités autres que lui ?

Objections : 1. Il ne le semble pas, car Dieu connaît toutes choses, on vient de le voir, comme elles sont en lui-même. Mais les autres choses sont en Dieu comme dans la cause première et universelle. Donc, elles sont également connues de lui comme dans leur cause première et universelle, et c’est là connaître en général, non d’une connaissance propre. Donc Dieu connaît les autres choses en général, non d’une connaissance propre à chacune.

2. L’essence divine est distante de l’essence de la créature autant que l’essence de la créature l’est d’elle. Or, par l’essence de la créature, l’essence divine ne peut être connue. Et ainsi, Dieu ne connaissant rien que par son essence, il s’ensuit qu’il ne connaît pas la créature dans son essence, de façon à savoir “ ce qu’elle est ”, ce qui est avoir d’elle une connaissance propre.

3. On ne peut connaître proprement une chose que par sa propre raison formelle. Or Dieu connaît toutes choses par son essence. Il semble donc qu’il ne connaisse pas chaque chose par sa raison formelle propre, car le même ne peut pas être la raison formelle de choses multiples et diverses. Dieu n’a donc pas des choses une connaissance propre, mais une connaissance générale.

En sens contraire, avoir des choses une connaissance propre, c’est les connaître non seulement en général, mais selon qu’elles se distinguent les unes des autres. Or, c’est ainsi que Dieu connaît les choses, selon ces paroles de l’épître aux Hébreux (4,12) : “ Elle va (la parole de Dieu) jusqu’à distinguer l’âme et l’esprit, les jointures et les mœlles ; elle démêle les sentiments et les pensées du cœur. Aussi nulle créature n’est cachée devant Dieu. ”

Réponse : A cet égard, certains philosophes se sont égarés, disant que Dieu ne connaît les autres réalités qu’en général, c’est-à-dire en tant qu’ils sont des étants. De même, en effet, que le feu, s’il se connaissait lui-même comme principe de la chaleur, connaîtrait la nature de la chaleur et, avec elle, toutes les autres choses chaudes, en tant que chaudes : ainsi Dieu, en tant qu’il se connaît comme principe de l’être, connaît la nature de l’étant et de toutes les autres choses en tant qu’elles sont des étants. Mais cela ne se peut pas. En effet, connaître quelque chose en général et non en ce qu’il a de distinct, c’est le connaître d’une manière imparfaite. Aussi notre intelligence, quand elle passe de la puissance à l’acte, accède-t-elle d’abord à une connaissance générale et confuse des choses, avant d’en avoir une connaissance propre, allant ainsi de l’imparfait au parfait, dit Aristote. Donc, si la connaissance que Dieu a des choses autres que lui-même était générale seulement et non distincte, il s’ensuivrait que son intellection ne serait pas de toute manière parfaite, ni, en conséquence, son être lui-même, ce qui contredit à nos précédentes déterminations. Il faut donc affirmer que Dieu connaît les réalités autres que lui d’une connaissance propre, non pas seulement selon qu’elles ont en commun la raison formelle d’étant, mais selon qu’elles se distinguent les unes des autres.

Pour le mettre en évidence, il faut observer que certains, voulant montrer que Dieu connaît des choses multiples, emploient des comparaisons comme celles-ci : le centre d’un cercle, s’il se connaissait lui-même, connaîtrait toutes les lignes qui partent de lui ; la lumière, si elle se connaissait elle-même, connaîtrait toutes les couleurs. Mais ces exemples, bien qu’ils soient valables sur un point, à savoir quant à la causalité universelle, sont déficients en ce que la multitude et la diversité qu’ils envisagent ne sont pas causés par ce principe universel unique en ce qui les distingue, mais seulement en ce qui leur est commun. Ainsi, la diversité des couleurs n’a pas pour cause la lumière seule, mais la disposition du milieu qui la reçoit ; de même, la diversité des rayons du cercle provient de leurs positions diverses. De là vient que cette diversité ou multitude ne peut pas être connue dans son unique principe d’une connaissance propre, mais seulement en général. Or, en Dieu, il n’en est pas ainsi. On l’a montré plus haut, tout ce qu’il y a de perfection, en quelque créature que ce soit, préexiste et se trouve contenu en Dieu d’une façon suréminente. Et dans les créatures il n’y a pas seulement ce qu’elles ont de commun, à savoir leur être, qui appartient à leur perfection, il y a aussi ce par quoi elles diffèrent les unes des autres, comme vivre, connaître, et les autres caractères par lesquels se distinguent les vivants et les non-vivants, les intelligents et les non-intelligents. Et toute forme par laquelle une chose quelconque est constituée en sa propre espèce est une perfection. Ainsi, toutes choses préexistent en Dieu non seulement quant à ce qui est commun à toutes, mais encore quant à ce qui les distingue. En conséquence, Dieu contenant en lui toutes les perfections, l’essence de Dieu entretient avec les essences de toutes choses non le rapport du commun au propre, de l’unité aux nombres ou du centre aux lignes divergentes, mais le rapport de l’acte parfait aux actes imparfaits, comme si je disais : de l’homme à l’animal, ou de six, nombre entier, aux fractions qu’il renferme. Or, il est clair que par l’acte parfait on peut connaître les actes imparfaits non seulement en général, mais d’une connaissance propre. Celui qui connaît le nombre six connaît sa moitié : trois, d’une connaissance propre.

Ainsi donc, comme son essence comprend tout ce qu’il y a de perfection dans l’essence de quelque autre chose que ce soit, et bien davantage, Dieu peut connaître en lui-même toutes choses d’une connaissance propre. Car la nature propre d’un être quelconque a consistance selon qu’elle participe en quelque manière la perfection divine. Or Dieu ne se connaîtrait point parfaitement lui-même, s’il ne connaissait toutes les manières dont sa perfection peut être participée par d’autres. Et la nature même de l’être ne lui serait pas connue parfaitement, s’il ne connaissait tous les modes d’être. Il est donc manifeste que Dieu connaît toutes choses d’une connaissance propre, selon que chacune se distingue des autres.

Solutions : 1. Connaître une chose comme elle est dans le sujet connaissant peut se comprendre de deux manières. Ou bien l’adverbe “ comme ” signifie le mode de connaissance du point de vue de la chose connue, et alors il est faux. Car le connaissant ne connaît pas toujours le connu selon l’être qu’il a en lui ; l’œil ne connaît pas la pierre quant à l’être qu’elle a en lui ; mais, par la forme intentionnelle de la pierre qu’il a en lui, il connaît la pierre telle qu’elle est en dehors de l’œil. Et quand un connaissant connaît ce qu’il connaît selon l’être qu’il a en lui, il ne le connaît pas moins aussi selon l’être qu’il a en dehors de lui. Ainsi l’intellect connaît la pierre selon l’être intelligible qu’elle a en lui, pour autant qu’il réfléchit sur son acte ; mais en même temps il connaît l’être de la pierre en sa nature propre. Mais, si l’adverbe “ comme ” signifie le mode de connaissance du point de vue du connaissant, alors il est vrai que le connaissant ne connaît le connu que pour autant qu’il est en lui ; car le mode de connaître est d’autant plus parfait que le connu est plus parfaitement dans le connaissant.

En conséquence, il faut dire ceci : Dieu ne connaît pas seulement que les choses sont en lui, mais, en raison de ce qu’il les contient en lui, il les contient selon leur propre nature, et d’autant plus parfaitement que plus parfaitement chacune est en lui.

2. L’essence de la créature est à l’essence de Dieu ce que l’acte imparfait est à l’acte parfait. Ainsi l’être de la créature ne peut suffire à conduire à la connaissance de l’essence divine ; mais l’inverse est vrai.

3. Le même ne peut être pris comme raison formelle de choses diverses s’il est égal à chacune. Mais l’essence divine est quelque chose qui transcende toutes les créatures. C’est pourquoi l’on peut voir en elle la raison formelle de toutes choses, étant participable et imitable par toutes les créatures, chacune à sa manière.

Article 7

La science de Dieu est-elle discursive ?

Objections : 1. Il semble que la science de Dieu soit discursive. En effet, la science de Dieu ne désigne pas une disposition habituelle, mais une intellection actuelle. Or, le Philosophe nous dit que, si l’on peut savoir beaucoup de choses simultanément de façon habituelle, on ne peut en connaître en acte qu’une seule. Donc, comme Dieu connaît des choses multiples, connaissant et lui-même et tout le reste, ainsi qu’on l’a montré, il semble qu’il ne connaisse pas toutes choses à la fois, mais qu’il passe d’un objet à l’autre de façon discursive.

2. Connaître l’effet par la cause, c’est connaître discursivement. Or Dieu connaît tout le reste par lui-même, comme l’effet par sa cause. Donc sa connaissance est discursive.

3. Dieu connaît chaque créature plus parfaitement que nous ne pouvons la connaître ; or nous connaissons dans les causes créées leurs effets, et ainsi nous procédons discursivement des causes aux effets. Il semble donc que pour Dieu il en soit de même.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu voit toutes choses non une à une et par un regard alternatif, comme s’il voyait ici puis là ; il voit tout en même temps. ”

Réponse : Dans la science divine, il n’y a rien de discursif, et en voici la preuve. Dans notre science on trouve un double processus discursif. Un selon la succession, comme lorsque, après avoir considéré une chose, nous passons à la considération d’une autre. L’autre, selon la causalité : comme lorsque, par la vertu des principes, nous parvenons à la connaissance des conclusions. Le premier processus discursif ne peut convenir à Dieu ; car nous-mêmes, qui concevons successivement des choses diverses quand nous considérons chacune en elle-même, nous les connaissons ensemble si nous les connaissons toutes dans un médium unique ; par exemple, quand nous connaissons les parties dans le tout, et quand nous voyons divers objets dans le miroir. Or Dieu voit tout en un seul médium, qui est lui-même, ainsi qu’on l’a établi. Il voit donc toutes choses ensemble, et non pas successivement. Semblablement, le second processus discursif ne peut convenir à Dieu. Tout d’abord parce que ce second sens présuppose le premier ; car ceux qui passent des prémisses aux conclusions ne les considèrent pas ensemble. Ensuite parce que cette démarche va du connu à l’inconnu ; il est donc clair que, le premier terme connu, on ignore encore l’autre, et le second n’est pas alors connu “ dans ” le premier, mais “ à partir ” du premier. Le terme de la démarche a lieu quand le second terme est vu dans le premier, les effets se résolvant dans les causes ; mais alors la démarche discursive cesse. Donc, puisque Dieu voit ses effets en lui-même comme dans leur cause, sa connaissance n’est pas discursive.

Solutions : 1. Bien que le connaître actuel soit un en lui-même, cependant il arrive que, dans un seul connaître, on atteigne de nombreux connus, comme on vient de le dire.

2. Dieu ne connaît pas premièrement la cause, ensuite et par elle ses effets d’abord inconnus : il connaît les effets dans la cause, ainsi qu’on vient de le dire.

3. Dieu voit, beaucoup mieux que nous, les effets des causes créées dans les causes elles-mêmes ; mais la connaissance de ces effets n’est pas causée en lui par la connaissance des causes créées, comme c’est le cas pour nous, et sa science n’est donc pas discursive.

Article 8

La science de Dieu est-elle cause des choses ?

Objections : 1. Il semble que non, car Origène dit ceci : “ Ce n’est pas parce que Dieu sait qu’une chose doit être un jour, que cette chose sera ; mais parce qu’elle doit être, Dieu sait d’avance qu’elle sera. ”

2. Une fois la cause posée, l’effet aussi est posé. Or la science de Dieu est éternelle. Donc, si la science de Dieu était la cause des choses créées, il semble que les créatures existeraient de toute éternité.

3. Le connaissable précède la science, et la mesure, dit Aristote. Mais ce qui est ainsi postérieur et mesuré ne peut pas être cause.

En sens contraire, S. Augustin écrit : “ Dieu ne connaît pas l’universalité des créatures spirituelles ou corporelles parce qu’elles sont ; mais elles sont parce qu’il les connaît. ”

Réponse : La science de Dieu est la cause des choses ; car la science de Dieu est à l’égard des choses créées ce qu’est la science de l’artisan à l’égard de ses œuvres. Or, la science de l’artisan est bien la cause de ce qu’il produit, du fait qu’il agit par son intelligence, et que par conséquent la forme intelligible est le principe de son opération, comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Toutefois, il faut considérer que la forme naturelle n’est pas dite principe d’action en tant qu’elle est immanente à ce qu’elle fait exister, mais bien en tant qu’elle est ordonnée à l’effet. De même, la forme intelligible n’est pas dite principe d’action par le seul fait qu’elle est la forme intelligible dans le connaissant, si elle n’est pas complétée par une ordination à l’effet, laquelle vient de la volonté. En effet, comme la forme intelligible est indifférente à l’égard de l’un ou l’autre des opposés (puisque c’est la même science qui considère les opposés), elle ne produirait pas d’effet déterminé, si elle-même n’était déterminée à son égard par l’appétit. C’est ce qu’explique Aristote. Or, il est manifeste que Dieu cause toutes choses par son intelligence, puisque son être et son intellection sont identiques. Il est donc nécessaire de dire que sa science est la cause des choses, conjointement avec sa volonté. C’est pourquoi la science de Dieu, envisagée comme cause des choses, est ordinairement appelée “ science d’approbation ”.

Solutions : 1. Origène n’a envisagé ici que l’aspect de connaissance, et nous avons dit que la connaissance n’est pas cause indépendamment de la volonté. Mais quand il dit que Dieu prévoit telles choses parce qu’elles sont à venir, il faut comprendre ce “ parce que ” d’une causalité logique, non ontologique. Cette conséquence est exacte, en effet : s’il est vrai d’une chose qu’elle sera, il est vrai que Dieu l’a prévue ; mais les choses futures ne sont pas cause que Dieu les connaisse.

2. La science de Dieu est cause des choses selon la manière dont ces choses sont en elle. Or il n’y a pas eu dans la science de Dieu que les choses seraient depuis toujours. Bien que la science de Dieu, elle, soit éternelle, il ne s’ensuit donc pas que les créatures existent depuis toujours.

3. Les choses naturelles sont intermédiaires entre la science de Dieu et la nôtre ; car nous tirons notre science de ces mêmes choses naturelles dont la science de Dieu est la cause. Et c’est pourquoi, de même que les connaissables naturels sont antérieurs à notre science et la mesurent, ainsi la science de Dieu est première par rapport aux choses naturelles et les mesure. Ainsi, une maison est intermédiaire entre la science de l’architecte qui l’a construite, et la science de l’observateur qui en prend connaissance après sa construction.

Article 9

Dieu a-t-il la connaissance des choses qui ne sont pas ?

Objections : 1. Il semble que non, car il n’y a de science en Dieu que des choses vraies, et il y a attribution réciproque entre le vrai et l’étant. Donc il n’y a pas en Dieu la connaissance des non-étants.

2. La connaissance requiert une similitude entre celui qui sait et ce qu’il sait. Or ce qui n’est pas ne peut avoir aucune ressemblance avec Dieu, qui est l’être même. Donc ce qui n’est pas ne peut pas être connu par Dieu.

3. La science de Dieu est cause des choses. Mais elle n’est pas cause des non-étants, car le non-étant n’a pas de cause. Donc Dieu n’a pas la science de ce qui n’est pas.

En sens contraire, l’Apôtre écrit (Rm 4, 17) : Dieu “ appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont ”.

Réponse : Dieu connaît toutes choses, de quelque manière qu’elles soient. Or rien n’empêche que des choses qui, purement et simplement, ne sont pas, soient cependant en quelque manière. Sont purement et simplement celles qui sont en acte. Celles qui ne sont pas en acte sont en puissance : en la puissance de Dieu ou en celle de la créature, qu’il s’agisse de puissance active ou de puissance passive, ou du pouvoir de penser, d’imaginer, d’exprimer en quelque manière que ce soit. Toutes choses, donc, qui peuvent être faites, pensées ou dites par la créature, et aussi toutes celles que lui-même peut faire, Dieu les connaît, même si elles ne sont pas en acte. En ce sens, on peut dire qu’il a la connaissance des non-étants.

Mais entre les choses qui ne sont pas en acte, il faut noter une diversité. Certaines, bien que n’étant pas actuellement, ont été ou seront, et celles-là on dit que Dieu les connaît d’une “ science de vision ” ; comme le connaître de Dieu, qui est son être même, a pour mesure l’éternité, laquelle, étant elle-même sans succession, englobe la totalité du temps, le regard de Dieu, éternellement présent, porte sur la totalité du temps, et sur toutes les choses qui sont dans quelque partie du temps que ce soit, comme sur des réalités qui lui sont présentes. D’autres, qui ne sont pas en acte, sont dans la puissance de Dieu ou de la créature, et cependant ne sont pas, ni ne seront, ni n’ont jamais été. A l’égard de celles-là, Dieu est dit avoir non une science de vision, mais une science de “ simple intelligence ”. Et l’on s’exprime ainsi parce que, parmi nous, les choses qu’on voit ont un être propre en dehors du sujet qui voit.

Solutions : 1. Les choses qui ne sont pas en acte ont leur vérité comme choses en puissance, car il est vrai qu’elles sont en puissance. Et c’est ainsi que Dieu les connaît.

2. Dieu étant l’être même, dans la mesure où une chose est, elle participe à sa ressemblance, de même qu’une chose chaude, dans la mesure où elle est chaude, participe de la chaleur. Et ainsi les choses qui sont en puissance, bien qu’elles ne soient pas en acte, sont connues de Dieu.

3. La science de Dieu n’est cause des choses que si sa volonté s’y adjoint. Il n’est donc pas nécessaire que tout ce que Dieu sait existe, ait existé ou doive un jour exister, mais cela seulement dont il veut ou dont il permet qu’il soit. Et, encore une fois, ce qui est dans la science de Dieu, ce n’est pas que ces choses sont, mais qu’elles peuvent être.

Article 10

Dieu a-t-il la connaissance des maux ?

Objections : 1. Il semble qu’il ne connaisse pas les maux car, d’après Aristote, un intellect qui n’est pas en puissance ne connaît pas la privation ; or le mal, selon S. Augustin, est la privation du bien. Comme l’intelligence divine n’est jamais en puissance, mais toujours en acte, ainsi qu’on l’a vu, il semble que Dieu ne connaisse pas le mal.

2. Toute science est cause de ce qu’elle connaît, ou est causée par lui. Or la science de Dieu n’est pas cause du mal ; elle n’est pas non plus causée par lui. Donc il n’y a pas en Dieu la connaissance des maux.

3. Ce que l’on connaît, on le connaît soit par son semblable, soit par son opposé. Or, tout ce que Dieu connaît, il le connaît par son essence, ainsi qu’on l’a montré. Et l’essence divine ne ressemble pas au mal et n’a pas le mal pour contraire, car elle n’a pas de contraire, affirme S. Augustin .

4. Ce qui est connu par autre chose n’est pas connu par soi-même et n’est donc pas connu parfaitement. Or le mal n’est pas connu de Dieu par soi-même, car il faudrait pour cela que le mal fût en Dieu ; en effet, le connu doit être dans le connaissant. Et si le mal est connu de Dieu par autre chose, à savoir par le bien, il sera connu de lui imparfaitement, ce qui est impossible, car nulle connaissance, en Dieu, n’est imparfaite. Donc Dieu n’a pas la connaissance des maux

En sens contraire, on lit au livre des Proverbes (15, 11) : “ Le séjour des morts et la perdition sont en présence du Seigneur. ”

Réponse : Celui qui connaît parfaitement quelque chose, il faut qu’il connaisse tous les accidents qui peuvent lui survenir. Or il y a des choses bonnes auxquelles il peut arriver d’être détériorées par des maux. Dieu ne connaîtrait donc pas en perfection les choses bonnes s’il ne connaissait pas aussi les maux. Mais une chose quelconque est connaissable dans la mesure où elle est. Comme l’être du mal n’est que la privation du bien, par cela seul que Dieu connaît les biens, il connaît aussi les maux, comme on connaît les ténèbres par la lumière. C’est ce qui fait dire à Denys : “Dieu tire de lui-même la vue des ténèbres ; ce n’est pas autrement que par la lumière qu’il les connaît. ”

Solutions : 1. Le Philosophe veut dire que l’intellect qui n’est pas en puissance ne connaît pas la privation par le moyen d’une privation qui serait en lui. Car il avait dit précédemment que le point, ou tout autre indivisible, n’est connu que par la privation de la division. La raison en est que les formes simples et indivisibles ne sont pas en acte dans notre intelligence, mais seulement en puissance ; si elles étaient en acte, on ne les connaîtrait pas par le détour de la privation. Or c’est ainsi, sans détour, et sans utiliser la privation, que les substances séparées connaissent les réalités simples. Dieu ne connaît donc pas le mal par une privation existant en lui, mais par son opposé, le bien.

2. La connaissance de Dieu n’est pas cause du mal, mais de la chose bonne par l’intermédiaire de laquelle le mal est connu.

3. Quoique le mal ne soit pas opposé à l’essence divine, qui n’est pas corruptible, il est cependant opposé aux œuvres de Dieu : Dieu connaît celle-ci par son essence et, les connaissant, il connaît les maux opposés.

4. Connaître indirectement quelque chose, c’est le connaître imparfaitement, s’il s’agit de choses connaissables par elles-mêmes. Mais le mal n’est pas connaissable par lui-même ; car ce qui caractérise le mal, c’est d’être privation du bien ; et ainsi il ne peut être défini ni connu, si ce n’est par l’intermédiaire du bien.

Article 11

Dieu connaît-il les singuliers ?

Objections : 1. Il ne semble pas, car l’intelligence divine est plus immatérielle que l’intelligence humaine ; or, l’intelligence humaine, à cause de son immatérialité, ne connaît pas les singuliers, car il est dit au livre De l’Ame : “ La raison connaît l’universel ; les sens, eux, les singuliers. ”

2. Les seules facultés, en nous, qui connaissent les singuliers sont celles qui reçoivent les formes intentionnelles non abstraites des conditions matérielles. Or les choses sont en Dieu abstraites au maximum de toute matérialité. Donc Dieu ne connaît pas les singuliers.

3. Toute connaissance se fait par le moyen d’une similitude. Or, la similitude des êtres singuliers, en tant précisément que singuliers, ne semble pas pouvoir être en Dieu ; car le principe de la singularité des êtres est la matière, et la matière, n’étant qu’en puissance, est entièrement dissemblable de Dieu, qui est l’acte pur. Donc Dieu ne connaît pas les singuliers.

En sens contraire, on lit au livre des Proverbes (16, 2) : “ Toutes les voies de l’homme sont à découvert devant ses yeux. ”

Réponse : Dieu connaît les singuliers. En effet, toutes les perfections qui se rencontrent dans les créatures préexistent en Dieu d’une manière plus excellente, on l’a montré plus haut. Or, connaître les singuliers appartient à notre perfection. Il est donc nécessaire que Dieu les connaisse. Aristote tient pour inacceptable que quelque chose soit connu par nous et ne le soit pas par Dieu. C’est pourquoi, argumentant contre Empédocle, il lui oppose que Dieu serait bien imparfait s’il ignorait la discorde. Toutefois, les perfections qui se trouvent divisées dans les choses inférieures se trouvent en Dieu sous forme simple et une. C’est pourquoi, alors que nous connaissons les universaux qui sont immatériels par une faculté, et par une autre les singuliers matériels, Dieu, lui, par son intellect un et simple connaît les uns et les autres.

Mais, comment cela peut se faire, certains, pour le montrer, ont dit que Dieu connaît les singuliers par les causes universelles, car il n’y a rien dans le singulier qui ne provienne de quelque cause universelle. Et ils donnent cet exemple : si un astronome connaissait dans leurs principes universels tous les mouvements du ciel, il pourrait annoncer toutes les éclipses futures. Mais cela n’est pas suffisant. Car les êtres particuliers reçoivent des causes générales certaines formes d’être et certains pouvoirs d’action ; mais, si proche du concret que soit leur conjonction, ces pouvoirs et ces formes ne sont jamais rendus individuels que dans et par la matière individuelle. Aussi, celui qui connaît Socrate en ce qu’il est blanc, qu’il est fils de Sophronisque, ou par quelque autre caractéristique de ce genre, ne connaîtrait pas Socrate selon qu’il est cet homme-là. On voit donc que, de la manière indiquée, Dieu ne connaîtrait pas les singuliers dans leur singularité.

D’autres ont dit que Dieu connaît les singuliers en appliquant les causes universelles à leurs effets singuliers. Mais cela ne signifie rien, car nul ne peut appliquer une chose à une autre s’il ne connaît d’abord celle-là. Ainsi donc l’application en question ne saurait être la raison explicative de la connaissance des singuliers, qu’elle présuppose.

Il faut donc parler autrement. Dieu étant cause des choses par sa science, comme on l’a dit, la science de Dieu a la même extension que sa causalité. Et comme la vertu active de Dieu ne s’étend pas seulement aux formes à partir desquelles est dégagé l’universel, mais à la matière même, ainsi qu’on le montrera, il est donc de toute nécessité que la science de Dieu s’étende aux singuliers, qui tiennent leur individualité de la matière. En effet, comme Dieu connaît les autres par l’intermédiaire de sa propre essence, en tant que cette essence est la similitude des choses, ou encore leur principe efficient, il est nécessaire que son essence suffise à lui faire connaître toutes les choses qui sont faites par lui, et cela non seulement dans leur nature universelle, mais aussi dans leur singularité. Il en serait ainsi de la science de l’artisan lui-même, si elle produisait toute la chose, au lieu de lui donner uniquement sa forme.

Solutions : 1. Par l’abstraction, notre intellect dégage la forme intelligible des principes individuants de son objet. Il s’ensuit que cette forme intelligible ne peut pas être la similitude des caractéristiques individuelles, et c’est pour cette raison que notre intellect ne connaît pas le singulier. Mais la forme intelligible de l’intellect divin, qui est l’essence de Dieu, n’est pas immatérielle par abstraction ; elle l’est par elle-même, et c’est d’elle que proviennent tous les principes constitutifs de la chose, ceux de la nature spécifique ou ceux de l’individuation. Par elle, Dieu peut donc connaître non seulement les universaux, mais aussi les singuliers.

2. Bien que la forme intelligible de l’intellect divin ne comprenne pas en elle-même des conditions matérielles, comme il en est avec les formes cognitives dans l’imagination et dans le sens, toutefois, par sa vertu réalisatrice, elle s’étend également et aux choses immatérielles et aux choses matérielles, comme on vient de le dire.

3. Bien que la matière s’éloigne de la ressemblance avec Dieu en raison de sa potentialité, toutefois, en tant que, même ainsi, elle a l’être, elle retient une certaine ressemblance avec l’être divin.

Article 12

Dieu connaît-il une infinité de choses ?

Objections : 1. Il semble que Dieu ne puisse connaître une infinité de choses. En effet, l’infini en tant que tel est inconnu : selon la formule d’Aristote, il est “ce dont on peut toujours prendre davantage, quelle que soit la quantité déjà prise ”. S. Augustin dit aussi “ Ce qui est embrassé par la science devient fini par la compréhension de celui qui le sait. ” Or, l’infini ne peut devenir fini.

2. On dira peut-être : ce qui est infini en soi est fini pour la science de Dieu. Mais alors, voici l’objection. La nature même de l’infini est de ne pouvoir être parcouru, comme il est dit dans la Physique d’Aristote. Mais l’infini ne peut être parcouru ni par le fini, ni par l’infini, ce que prouve le même ouvrage. Donc l’infini ne peut être borné, pas même par l’infini. Et ainsi l’infinité des choses n’est pas incluse dans la science de Dieu, même si celle-ci est infinie.

3. La science de Dieu est la mesure de ce que Dieu sait ; or il est contraire à la nature de l’infini que l’infini soit mesuré.

En sens contraire, S. Augustin s’exprime ainsi : “ Quoique les nombres infinis soient sans nombre, ils n’échappent pas à celui dont la science est sans nombre. ”

Réponse : Étant donné que Dieu connaît non seulement ce qui est en acte, mais aussi ce qui est contenu dans sa puissance ou dans celle de la créature, ainsi qu’on l’a montré, et puisque ces possibles sont évidemment en nombre infini, il est nécessaire d’admettre que Dieu connaît une infinité de choses. Quant à la science de vision, qui a pour objet uniquement les choses qui sont, ou seront ou ont été, bien que certains disent qu’elle n’embrasse pas une infinité d’objets, puisque nous n’admettons pas que le monde a toujours été, ni que la génération et le mouvement doivent durer sans fin, de sorte que les individus seraient multipliées à l’infini, toutefois, si l’on y regarde de plus près, on doit dire nécessairement que Dieu, même par sa science de vision, connaît une infinité de choses. Car Dieu connaît même les pensées et les affections des cœurs, qui seront dans l’avenir multipliées à l’infini, puisque les créatures rationnelles doivent durer sans terme.

Voici pourquoi : la connaissance d’un objet s’étend aussi loin que le permet la forme qui est en lui le principe de la connaissance. La forme cognitive sensible, dans le sens, ne représente qu’un seul individu ; il s’ensuit que par cette forme un seul individu peut être connu. Au contraire, la forme intelligible, dans notre esprit, représente la chose quant à sa nature spécifique, nature qui peut être participée par une infinité de choses particulières. De là vient que notre intellect, au moyen du concept d’homme, connaît en quelque sorte une infinité d’hommes. Il ne les connaît pas selon qu’ils se distinguent les uns des autres, mais selon qu’ils ont en commun une nature spécifique. C’est que la forme intelligible, en nous, ne représente pas les hommes quant à leurs principes individuels, elle représente seulement les principes constitutifs de l’espèce. Mais l’essence divine, par laquelle l’intellect divin connaît, est une représentation suffisante de toutes les choses qui sont ou peuvent être, non seulement quant aux principes communs à plusieurs, mais aussi quant à ce qui est propre à chacune, ainsi qu’on l’a montré. Il s’ensuit que la science de Dieu s’étend à une quantité infinie de choses, même selon qu’elles sont distinctes les unes des autres.

Solutions : 1. D’après le Philosophe, l’infini concerne la quantité. Et la raison formelle de quantité comporte un ordre entre les parties. En conséquence, connaître l’infini selon le mode propre de l’infini, c’est le connaître partie après partie, et de cette façon l’infini échappe à toute connaissance ; car, quel que soit le nombre des parties que l’on puisse embrasser, il en restera indéfiniment hors de prise. Mais Dieu ne connaît pas l’infini, ou des objets en nombre infini en énumérant, pour ainsi dire, partie après partie ; nous avons expliqué qu’il connaît d’une connaissance simultanée, non successive. Rien ne s’oppose donc, en ce qui le concerne, à la connaissance d’une infinité d’objets.

2. Une traversée suppose une succession de parties, et de là vient que l’infini ne peut être parcouru, ni par le fini, ni par l’infini. Au contraire, la raison formelle de compréhension exige seulement l’adéquation à ce qui est compris, car on appelle “ compris ” ce dont rien ne reste extérieur à ce qui le comprend. La raison formelle de l’infini n’exclut donc pas qu’il soit compris par un infini. Et ainsi, ce qui est infini en soi peut être fini pour la science de Dieu, en ce sens qu’il y est inclus, mais non en ce sens qu’il serait parcouru ou traversé.

3. La science de Dieu est bien la mesure des choses ; mais ce n’est pas une mesure quantitative, et c’est à une telle mesure qu’échappent les choses en nombre infini. La science de Dieu mesure l’essence et la vérité de chaque chose, car chaque chose participe à la vérité de sa nature dans la mesure où elle est conforme à la science de Dieu : telle l’œuvre d’art qui concorde avec l’art lui même. A supposer donc qu’il y ait en acte des êtres en nombre infini, par exemple une infinité d’hommes ; ou bien qu’il y ait une infinité en étendue, comme l’air, selon d’anciens philosophes, il est manifeste que l’être de chaque chose n’en serait pas moins déterminé et fini, car il serait renfermé dans les bornes de certaines natures particulières ; ces choses seraient donc mesurables à l’égard de la science de Dieu.

Article 13

Dieu connaît-il les futurs contingents ?

Objections : 1. Il semble que non. En effet, une cause nécessaire produit un effet nécessaire. Mais la science de Dieu est cause de ce qu’elle sait, avons-nous dit. Comme la science de Dieu est nécessaire, son objet doit l’être aussi. La science de Dieu n’atteint donc pas les contingents.

2. Dans toute proposition conditionnelle, si l’antécédent est absolument nécessaire, le conséquent est absolument nécessaire aussi ; car l’antécédent est au conséquent ce que les principes sont à la conclusion, et les Derniers Analytiques nous enseignent que, de principes nécessaires, ne peuvent découler que des conclusions nécessaires. Or cette proposition conditionnelle est vraie : Si Dieu a su que cela est à venir, cela sera ; car la science de Dieu est toujours vraie. Et l’antécédent de cette proposition est absolument nécessaire, d’abord parce qu’il est éternel ; ensuite parce qu’il est exprimé au passé. Donc le conséquent est aussi absolument nécessaire. Et ainsi tout ce qui est su par Dieu est nécessaire, de sorte qu’il n’y a pas en Dieu de science des contingents.

3. Tout ce qui est su par Dieu existe nécessairement, puisque même tout ce qui est su par nous existe nécessairement, alors que la science de Dieu est plus certaine que notre science. Or, aucun futur contingent n’existe nécessairement. Donc aucun futur contingent n’est su par Dieu.

En sens contraire, le Psaume (33,15) dit de Dieu à l’égard des hommes : “ Il forme le cœur de chacun ; il connaît toutes leurs actions. ” Or, les actions des hommes sont contingentes, puisqu’elles dépendent de leur libre arbitre. Dieu connaît donc les futurs contingents.

Réponse : Comme on a montré plus haut que Dieu connaît toutes les choses, non seulement celles qui sont en acte, mais aussi celles qui sont en sa puissance ou en la puissance de la créature, et comme certaines choses parmi ces dernières sont des contingents futurs pour nous, il s’ensuit que Dieu connaît les futurs contingents.

Pour établir clairement cette conclusion, il faut observer qu’un contingent peut être considéré sous un double aspect. D’abord en lui-même, lorsqu’il s’est déjà produit, et alors il n’est plus considéré comme futur, mais comme présent ; ni comme pouvant être ou ne pas être, mais comme déterminé à une branche de l’alternative. Pour cette raison, il peut, pris ainsi, tomber infailliblement sous une connaissance certaine, sous le sens de la vue, par exemple comme lorsque je vois Socrate assis. D’une autre manière, le contingent peut être considéré tel qu’il est dans sa cause. Sous cet aspect il est considéré comme futur et comme contingent, non encore déterminé à être ou à ne pas être, à être ceci ou cela, car la cause contingente est celle qui peut ceci ou son contraire. Dans ce cas le contingent ne peut être connu avec certitude. En conséquence, celui qui ne connaît un effet contingent que dans sa cause, n’a de lui qu’une connaissance conjecturale. Mais Dieu, lui, connaît tous les contingents non seulement en tant qu’ils sont dans leurs causes, mais aussi selon que chacun d’eux est actuellement réalisé en lui-même.

Et, bien que les contingents se réalisent successivement, Dieu ne les connaît pas en eux-mêmes successivement comme nous, mais simultanément. Car sa connaissance, tout autant que son être, a pour mesure l’éternité ; or l’éternité, qui est tout entière à la fois, englobe la totalité du temps, ainsi qu’il a été dit. De la sorte, tout ce qui se trouve dans le temps est éternellement présent à Dieu, non seulement en tant que Dieu a présentes à son esprit les raisons formelles de toutes choses, ainsi que certains le prétendent, mais parce que son regard se porte éternellement sur toutes les choses, en tant qu’elles sont présentes.

Il est donc manifeste que les contingents sont connus de Dieu infailliblement en tant que présents sous le regard divin dans leur présence, et cependant, par rapport à leurs propres causes, ils demeurent des futurs contingents.

Solutions : 1. Même si la cause éloignée est nécessaire, l’effet peut être contingent du fait de la cause prochaine, si elle est contingente. Ainsi la germination d’une plante est un effet contingent en raison de sa cause prochaine, bien que la cause prochaine de cette germination, le mouvement solaire, soit une cause nécessaire. De même, les causes contingentes que Dieu connaît sont contingentes en raison de leurs causes prochaines, bien que la science de Dieu, qui est leur cause première, soit une cause nécessaire.

2. Certains disent que cet antécédent : Dieu a su que tel fait contingent sera, n’est pas nécessaire, mais contingent, car, bien qu’il soit passé, il se rapporte à l’avenir. Mais cela ne l’empêche pas d’être nécessaire car, ce qui a eu un rapport au futur, il est nécessaire qu’il l’ait eu, même si parfois ce futur n’arrive pas.

D’autres disent que l’antécédent en question est contingent, parce qu’il est composé de nécessité et de contingence, comme cette proposition : Socrate est un homme blanc, est une proposition contingente. Mais cela non plus ne signifie rien, car, quand on dit : “ Dieu a su que tel contingent sera ”, “ contingent ” ne figure dans la proposition que comme l’élément matériel de l’affirmation, non comme son élément principal ; de sorte que cette contingence, aussi bien que la nécessité qui pourrait y être substituée, ne fait pas que la proposition soit nécessaire ou contingente, vraie ou fausse. Ainsi, il peut être vrai que j’aie dit : “ l’homme est un âne ”, aussi bien que : “ Socrate court ”, ou : “ Dieu est ”. Il en est de même, si je parle de nécessité ou de contingence.

Il faut donc reconnaître que cet antécédent est nécessaire absolument. Certains disent qu’il ne s’ensuit pas que le conséquent soit nécessaire absolument, parce que l’antécédent est cause éloignée du conséquent, et que ce conséquent est contingent en raison de sa cause prochaine. Mais cela ne prouve rien, car une proposition conditionnelle dont l’antécédent serait une cause éloignée nécessaire, et le conséquent un effet contingent, serait une proposition fausse, comme si je disais : “ Si le soleil se meut, l’herbe germera. ”

Il faut donc s’exprimer autrement et dire ceci : Quand, dans l’antécédent, on introduit quelque chose relevant d’une opération de l’esprit, le conséquent doit être compris non selon l’être réel, tel qu’il est en soi, mais selon l’être intentionnel qu’il a dans l’esprit. Autre, en effet, est l’être d’une chose en elle-même, autre son être dans l’esprit. Par exemple, quand je dis : “ Si l’âme connaît quelque chose, ce quelque chose est immatériel ”, il faut comprendre que cela est immatériel dans l’intellect, non selon son être réel. De même, quand je dis : “ Si Dieu a su quelque chose, cela sera ”, le conséquent doit être compris de l’être selon lequel la chose est présente. Ainsi compris, il est nécessaire aussi bien que l’antécédent, car “ ce qui est, quand c’est, il est nécessaire que ce soit ”, selon Aristote.

3. Les choses qui se réalisent temporellement sont connues successivement par nous dans le temps, mais par Dieu dans l’éternité, qui est au-dessus du temps. En conséquence, du fait que nous connaissons les futurs contingents en tant que tels, ils ne peuvent pas être certains pour nous ; mais pour Dieu seul, dont le connaître est dans l’éternité, qui transcende le temps. Il en est comme de celui qui marche sur un chemin et ne voit pas ceux qui le suivent, alors que l’homme posté sur une hauteur, regardant tout le chemin, voit à la fois tous ceux qui y passent. Ainsi ce qui est su par nous avec certitude doit être nécessaire aussi en soi-même ; car les choses qui en soi sont des futurs contingents, nous ne pouvons les connaître avec certitude. Mais les choses qui sont sues par Dieu, il suffit qu’elles soient nécessaires de la nécessité de leur présence sous le regard de la science divine, nous l’avons dit, mais il n’est pas requis qu’elles le soient en elles-mêmes quand on les considère dans leurs causes. En conséquence, cette proposition : “ Tout ce que Dieu sait est nécessairement ”, on a coutume de la distinguer. Elle peut se rapporter à la chose dont elle parle, ou au dire. Si on l’entend de la chose, la proposition est prise en un sens divisé, et elle est fausse ; car cela veut dire : Toute chose que Dieu sait est nécessaire. Mais elle peut également être comprise du dire. Alors la proposition est prise en un sens composé, et elle est vraie ; car cela signifie : ce dire, “ une chose sue par Dieu est ” est nécessaire.

Mais certains objectent à cela que cette distinction a sa place quand il s’agit de formes séparables de leur sujet. Si, par exemple, je dis : “ Ce qui est blanc peut être noir ”, cette proposition, fausse quant au dire, est vraie quant à la chose, car la chose qui est blanche peut être noire, alors que cette assertion “ Ce qui est blanc est noir ”, ne peut jamais être vraie. Mais, quand il s’agit de formes inséparables de leur sujet, la distinction, affirment ces auteurs, n’est pas de mise ; car si je dis, par exemple : “ le corbeau noir peut être blanc ”, la proposition est fausse dans les deux sens. Or, qu’une chose soit sue par Dieu, c’est là un attribut inséparable de cette chose ; car ce qui est su par Dieu ne peut en aucune manière être ignoré de lui. A la vérité, cette instance serait irrecevable, si être connu de Dieu comportait dans le sujet quelque disposition inhérente. Mais, comme cela ne comporte que d’être l’objet d’un acte du connaissant, à la chose sur elle-même, bien qu’elle soit toujours sue, quelque chose peut être attribué qui lui convient selon ce qu’elle est en elle-même, et qui ne lui convient pas en tant qu’elle est l’objet de l’acte de connaître. Ainsi l’être matériel est attribué à la pierre telle qu’elle est en elle-même, alors qu’il ne saurait lui être attribué en tant qu’elle est un objet intelligible.

Article 14

Dieu connaît-il nos énonciations ?

Objections : 1. Il ne semble pas, car connaître des énonciations convient à notre esprit en tant qu’il compose entre eux ou écarte l’un de l’autre deux concepts. Mais dans l’intelligence divine il n’y a aucune composition.

2. Toute connaissance se fait au moyen d’une similitude. Mais en Dieu il n’y a aucune similitude, puisque Dieu est absolument simple.

En sens contraire, on lit dans le Psaume (94, 11) : “ Dieu connaît les pensées des hommes. ” Or dans les pensées des hommes il y a des énonciations. Donc Dieu connaît celle-ci.

Réponse : Puisque former des énonciations est au pouvoir de notre intelligence, et puisque Dieu connaît tout ce qui est en son propre pouvoir ou au pouvoir de sa créature, comme on l’a dit précédemment, c’est une nécessité que Dieu connaisse toutes les énonciations qu’il est possible de former. Seulement, de même qu’il connaît les choses matérielles immatériellement et les choses composées simplement, Dieu connaît les énonciations, non en énonçant lui-même comme s’il y avait dans son esprit la composition ou la division qui caractérise l’énonciation, mais il connaît chaque chose par une intuition simple, en pénétrant par elle l’essence de chaque chose. Il en est comme si, en appréhendant l’essence de l’homme, nous connaissions par là même tous les prédicats qui peuvent être attribués à l’homme. Cela n’a pas lieu dans le cas de notre intellect, qui passe d’un terme à l’autre parce que la forme intelligible représente un terme de telle manière qu’elle n’en représente pas un autre. Aussi, en connaissant l’essence de l’homme, nous ne connaissons pas par cela même les autres attributs de l’homme, mais successivement. En raison de quoi les raisons formelles que nous connaissons à part l’une de l’autre, il nous faut les ramener à l’unité par composition ou division, en formant des énonciations. Mais la forme intelligible de l’intellect divin, qui est son essence, suffit à tout manifester. En connaissant son essence, Dieu connaît donc les essences de toutes choses, et tout ce qui peut leur arriver.

Solutions : 1. L’objection proposée n’aurait de valeur que si Dieu connaissait les énonciations par mode énonciatif.

2. La composition dans l’énonciation signifie quelque être de la chose ; c’est ainsi que Dieu, par son être, qui est son essence, est la similitude de tous les modes d’être qui sont signifiés.

Article 15

La science de Dieu est-elle soumise au changement ?

Objections : 1. Il semble que oui. Car la science est relative à la chose sue. Or, ce qui implique relation avec la créature s’attribue à Dieu temporellement et varie selon les variations de la créature. Donc la science de Dieu elle-même varie selon les variations de la créature.

2. Tout ce que Dieu peut faire, il peut le savoir. Mais Dieu peut faire plus de choses qu’il n’en fait. Il peut donc savoir plus de choses qu’il n’en sait, et ainsi sa science peut varier par augmentation ou diminution.

3. Dieu a su autrefois que le Christ naîtrait. Mais maintenant il ne sait pas que le Christ naîtra, puisque le Christ n’est plus à naître. Donc Dieu ne sait pas tout ce qu’il a su, et ainsi sa connaissance semble être variable.

En sens contraire, il est dit dans l’épître de S. Jacques (1,17) : en Dieu “ il n’existe aucune vicissitude, ni ombre de changement ”.

Réponse : D’après nos précédentes déterminations, la science de Dieu est sa substance même. Comme sa substance est absolument immuable, ainsi que nous l’avons également montré, il y a nécessité que sa science soit tout à fait invariable.

Solutions : 1. Des appellations de Dieu comme Seigneur, Créateur, etc. impliquent des relations consécutives à des actes conçus comme ayant pour terme les créatures selon l’être qu’elles ont en elles-mêmes. C’est pourquoi de telles relations sont attribuées à Dieu de manière changeante, selon les changements des créatures. Mais la science, l’amour, etc. impliquent des relations consécutives à des actes conçus comme immanents en Dieu, et c’est pourquoi ces attributs sont appliqués à Dieu de manière invariable.

2. Dieu connaît aussi les choses qu’il peut faire et ne fait pas. Par conséquent, de ce qu’il peut faire des choses qu’il ne fait pas, on ne peut conclure qu’il puisse savoir plus de choses qu’il n’en sait, à moins qu’on ne l’entende de sa science de vision, par laquelle il est dit savoir les choses qui sont en acte à un moment quelconque de la durée. Cependant, que Dieu sache que des choses sont possibles qui ne sont pas, ou que des choses qui sont pourraient ne pas être, il ne s’ensuit pas que sa science soit variable, mais seulement qu’il connaît la variabilité des choses. Si cependant quelque chose était, dont Dieu ignorerait d’abord qu’elle est et le saurait ensuite, sa science serait soumise à la variation. Mais cela ne se peut pas ; car Dieu, dans son éternité, sait tout ce qui est ou peut être en un temps quelconque. Aussi, dire d’une chose qu’elle est à quelque moment que ce soit de la durée, c’est dire par là même que cela est su par Dieu depuis l’éternité. Par conséquent, on ne doit pas concéder que Dieu puisse savoir plus de choses qu’il n’en sait, car cette proposition implique que Dieu eût ignoré d’abord ce qu’il aurait su ensuite.

3. Les anciens nominalistes ont dit que “ Le Christ naît ”, “ le Christ naîtra ”, “ le Christ est né ”, sont un même énoncé, pour cette raison que la chose énoncée est la même, à savoir la naissance du Christ. A partir de là on conclut que tout ce que Dieu a su, il le sait ; car il sait maintenant que le Christ est né, ce qui, dans l’hypothèse, a la même signification que : Il naîtra. Mais cette opinion est fausse. D’abord parce que la diversité dans les termes d’une proposition donne naissance à des énonciations diverses. Ensuite parce que, dans ce cas, une proposition vraie une fois serait vraie toujours, ce que nie à bon droit le Philosophe, selon qui cette proposition : “ Socrate est assis ”, est vraie tant qu’il est assis, mais si Socrate se lève, la proposition devient fausse. On doit donc concéder que cette proposition : Tout ce que Dieu a su, il le sait, n’est pas vraie en tant qu’énoncé. Mais il ne s’ensuit pas que la science de Dieu soit variable. Car, de même qu’aucune variation ne s’introduit dans la connaissance de Dieu du fait qu’il sait, d’une seule et même chose, tantôt qu’elle est, et tantôt qu’elle n’est pas, de même c’est sans aucune variation de la science divine que Dieu sait d’un énoncé tantôt qu’il est vrai, tantôt qu’il est faux. Il y aurait variation dans la science de Dieu si Dieu connaissait les énoncés par mode d’énonciation, à savoir en composant et divisant des concepts, comme fait notre propre intellect. De là vient en effet que notre connaissance varie, soit du vrai au faux, comme lorsque, une chose ayant changé, nous retenons à son égard l’opinion ancienne ; soit d’une opinion à une autre opinion, comme si, ayant dit d’abord que quelqu’un est assis, nous disons ensuite qu’il ne l’est pas. Mais rien de tout cela ne peut se produire en Dieu.

Article 16

Dieu a-t-il des choses une connaissance spéculative, ou une connaissance pratique ?

Objections : 1. Il semble que Dieu n’ait pas une connaissance spéculative des choses, car la science de Dieu est cause des choses, comme on l’a montré. Or une science spéculative des choses n’est pas cause des choses sues. Donc la science de Dieu n’est pas spéculative.

2. La connaissance spéculative s’obtient par abstraction à partir des choses concrètes, ce qui ne convient pas à la science de Dieu. Donc la science de Dieu n’est pas spéculative.

En sens contraire, ce qui est plus noble doit être attribué à Dieu. Mais la science spéculative est plus noble que la science pratique, comme le montre le Philosophe au début de la Métaphysique. Donc Dieu a des choses une connaissance spéculative.

Réponse : Il y a une sorte de science qui n’est que spéculative ; une autre qui n’est que pratique ; une troisième enfin qui est spéculative sous un aspect, et pratique sous un autre. Pour le comprendre, il faut savoir qu’une science peut être dite spéculative de trois façons. Premièrement, en raison des choses dont elle est la science, et qui ne sont pas réalisables par celui qui sait : ainsi la science que l’homme a des choses de la nature ou de Dieu. Deuxièmement, en raison de la façon de connaître, comme un architecte qui étudie une maison en la définissant, en la classant et en en considérant les caractéristiques générales. Procéder ainsi, c’est étudier des choses réalisables d’une manière spéculative et non en tant qu’elles sont à réaliser, car une chose se fait par application d’une forme à une matière, non par la réduction analytique du composé en ses principes universels. Troisièmement, en raison de la fin poursuivie, car, dit Aristote, “ l’intellect pratique diffère de l’intellect spéculatif par la finalité ”. En effet, l’intellect spéculatif est la considération de la vérité. Donc, si un architecte se demande, au sujet d’une maison, comment elle pourrait être construite, non afin de la construire, mais simplement pour le savoir, ce sera, en ce qui concerne le but poursuivi, une recherche spéculative, bien qu’elle porte sur une opération. Donc la connaissance qui est spéculative en raison de la chose connue est uniquement spéculative ; celle qui est spéculative quant au mode ou quant à la fin est en partie spéculative et en partie pratique ; et, quand elle est ordonnée à réaliser ce qui est la fin de l’opération, uniquement pratique.

En conséquence, il faut dire que Dieu a de lui-même une connaissance uniquement spéculative, car lui-même n’est pas quelque chose susceptible d’être produit. Mais, de tout le reste il a une connaissance à la fois spéculative et pratique. Spéculative, sans doute, quant au mode de connaître, car tout ce que nous concevons spéculativement, en définissant et en distinguant des concepts, Dieu le connaît d’une façon infiniment plus parfaite.

Quant aux choses qu’il peut faire, mais ne fait être réellement en aucun temps, Dieu n’en a pas une connaissance pratique selon qu’une connaissance est appelée pratique du fait de sa finalité ; il a, en ce sens-là, une connaissance pratique des choses qu’il fait être. Quant aux maux, bien qu’ils ne soient pas réalisables par lui, ils n’en tombent pas moins, comme les choses bonnes, sous sa connaissance pratique, pour autant que Dieu les permet, les empêche, ou les réduit à l’ordre. C’est ainsi que les maladies sont un objet de connaissance pratique pour le médecin, en tant que, par son art, il les soigne.

Solutions : 1. La science de Dieu est cause non de lui-même, mais des autres choses : de certaines en acte ce sont celles qui sont réalisées à un moment quelconque du temps ; d’autres virtuellement ce sont celles qu’il a le pouvoir de faire, mais qui ne sont jamais faites.

2. Tirer la science des choses sues ne convient pas à la science spéculative en tant que telle, mais par accident, en tant qu’elle est humaine.

Quant à l’objection En sens contraire, il faut y répondre ceci. Des choses réalisables, il n’y a pas science parfaite, si elles ne sont pas connues en tant que réalisables. Aussi, puisque la science de Dieu est parfaite de toute manière, Dieu doit connaître les choses réalisables en tant que réalisables, et non seulement en tant que spéculativement connaissables. Cependant la noblesse de la science spéculative ne lui est pas retirée, car toutes les choses autres que lui, c’est en lui-même qu’il les voit, et c’est spéculativement qu’il se connaît lui-même. Ainsi, dans la connaissance spéculative qu’il a de lui-même, il a une connaissance à la fois spéculative et pratique de toutes les autres choses.