Question 93 L’IMAGE DE DIEU CHEZ L’HOMME Il faut considérer à présent la fin ou terme de la production de l’homme, selon la parole de l’Écriture qui le dit fait " à l’image et à la ressemblance de Dieu ". 1. Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? - 2. Y a-t-il une image de Dieu dans les créatures sans raison ? - 3. L’image de Dieu est-elle davantage chez l’ange que chez l’homme ? - 4. L’image de Dieu est-elle en tout homme ? - 5. L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme par rapport à l’essence, ou à toutes les Personnes divines, ou à une seule d’entre elles ? - 6. L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ? - 7. Est-ce selon les actes que l’image de Dieu se trouve dans l’âme ? - 8. Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la Trinité est dans l’âme ? - 9. La différence entre image et ressemblance. Article 1 Y a-t-il une image de Dieu chez l’homme ? Objections : 1. Il semble que non, car on lit chez Isaïe (40,18) " A qui comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous lui offrir ? " 2. Être l’image de Dieu est le propre du Premier-Né, de qui l’Apôtre dit (Col 1, 15) : " Il est l’image du Dieu invisible, le Premier-Né de toute créature. " Donc, ce n’est pas chez l’homme qu’on trouve l’image de Dieu. 3. S. Hilaire dit que " l’image est une forme qui ne présente aucune différence avec le modèle sur lequel on la forme ". Il dit encore : " L’image est la ressemblance d’une chose destinée à s’égaler à cette chose dans une unité indiscernable. " Mais il n’y a pas entre Dieu et l’homme de forme qui ne présente pas de différences ; il ne peut pas non plus y avoir égalité de l’homme avec Dieu. Par conséquent il ne peut y avoir une image de Dieu chez l’homme. En sens contraire, on lit dans la Genèse (1, 26) : " Faisons l’homme à notre image et ressemblance. " Réponse : Selon S. Augustin, " là où il y a image, il y a toujours ressemblance, mais là où il y a ressemblance, il n’y a pas toujours image ". Cela montre bien que la ressemblance est incluse dans la notion d’image, et que l’image ajoute quelque chose à la notion de ressemblance : à savoir qu’elle est l’expression d’un autre ; car on appelle " image " un être qui est fait à l’imitation d’un autre. C’est pourquoi un œuf, si semblable et égal qu’il puisse être à un autre œuf, n’est pas dit à son image, parce que malgré tout il n’en est pas l’expression. L’égalité, elle, n’est pas essentielle à l’image, car S. Augustin dit au même endroit : " Là où il y a image, il n’y a pas nécessairement égalité. " On le voit pour l’image d’une personne qui se reflète dans un miroir. L’égalité est cependant essentielle à l’image parfaite, car l’image parfaite ne doit être privée d’aucune des choses appartenant à la réalité qu’elle exprime. Or, il est manifeste que l’on trouve chez l’homme une certaine ressemblance de Dieu, et qui dérive de Dieu comme de son modèle ; cependant ce n’est pas une ressemblance qui va jusqu’à l’égalité, car le modèle dépasse infiniment cette reproduction particulière. Et c’est pourquoi l’on dit qu’il y a chez l’homme image de Dieu, non pas parfaite, mais imparfaite. C’est ce que signifie l’Écriture lorsqu’elle dit que l’homme a été fait " à l’image " de Dieu ; la préposition " à " traduit en effet une certaine approximation par rapport à une réalité qui demeure éloignée. Solutions : 1. Le prophète parle ici des images corporelles fabriquées par l’homme, et c’est pourquoi il dit de façon très significative : " Quelle image pourriez-vous lui offrir ? " Mais Dieu s’est offert à lui-même une image spirituelle dans l’homme. 2. Le " Premier-Né de toute créature " est l’image parfaite de Dieu, réalisant parfaitement ce dont il est l’image ; aussi est-il appelé Image, mais jamais on ne dit qu’il est " à l’image ". Tandis que pour l’homme on dit à la fois qu’il est image, à cause de la ressemblance ; et qu’il est " à l’image ", à cause de l’imperfection de la ressemblance. Et comme la ressemblance parfaite de Dieu ne peut se réaliser que dans l’identité de nature, l’image de Dieu se trouve en son Fils Premier-Né à la façon dont l’image du roi se trouve dans le fils qui a reçu de lui la vie ; tandis que l’image de Dieu est dans l’homme comme dans une nature étrangère, à la façon dont l’image du roi se trouve sur une pièce d’argent, comme l’explique S. Augustin. 3. Puisque l’un, c’est l’être indivisé, on pourra dire qu’une forme ne présente pas de différence dans la mesure où elle est une. Mais une chose peut être appelée une, non seulement selon le nombre, l’espèce ou le genre, mais encore selon une certaine analogie ou proportion. Et c’est de cette façon qu’il y a unité ou convenance de la créature avec Dieu. - Quant à l’incise de S. Hilaire : que l’image est " destinée à s’égaler à la chose ", elle s’applique à la notion d’image parfaite. Article 2 Y a-t-il une image de Dieu chez les créatures sans raison ? Objections : 1. Denys affirme : " Les choses causées présentent des images contingentes de leurs causes. " Mais Dieu est cause non seulement des créatures douées de raison, mais aussi de celles qui ne le sont pas. Donc l’image de Dieu se trouve dans les créatures sans raison. 2. On s’approche d’autant plus de la qualité d’image que l’on porte en soi une ressemblance plus manifeste avec quelque chose. Mais Denys dit que le rayon du soleil porte au suprême degré la ressemblance de la bonté divine. Donc il est à l’image de Dieu. 3. Plus on est parfait en bonté, plus on est semblable à Dieu. Mais l’univers dans sa totalité est plus parfait en bonté que l’homme, car même si chaque chose est bonne, cependant toutes ensemble sont appelées " très bonnes ". Par conséquent l’univers tout entier est à l’image de Dieu et pas seulement l’homme. 4. Boèce dit à propos de Dieu : " Portant le monde dans son esprit et le formant selon une image qui lui est semblable... " C’est donc que le monde tout entier est à l’image de Dieu et non seulement la créature douée de raison. En sens contraire, S. Augustin dit : " Ce qui fait l’excellence de l’homme, c’est que Dieu l’a fait à son image, par le fait qu’il lui a donné un esprit intelligent qui le rend supérieur aux bêtes. " Donc les choses qui n’ont pas d’intelligence ne sont pas à l’image de Dieu. Réponse : Ce n’est pas n’importe quelle ressemblance, même dérivée d’un autre, qui suffit pour vérifier la notion d’image. S’il s’agit en effet d’une ressemblance qui est seulement générique ou qui porte seulement sur quelque accident commun, on ne dira pas pour cela qu’une chose est l’image d’une autre ; on ne pourrait pas dire en effet que le ver, qui tire son origine de l’homme, est l’image de l’homme en raison de la ressemblance générique qu’il a avec lui ; on ne pourrait pas dire non plus que si une chose devient blanche à la ressemblance d’une autre, elle est pour cette raison à l’image de l’autre, car la blancheur est un accident commun à plusieurs espèces. Ce qui est requis pour la qualité d’image, c’est une ressemblance spécifique, à la façon dont l’image du roi est dans son fils, ou, tout au moins, une ressemblance qui porte sur un accident propre à l’espèce, surtout celle qui porte sur la configuration, à la façon dont l’image de l’homme est dite se trouver dans le cuivre d’une monnaie. Aussi est-il bien significatif que S. Hilaire dise : " L’image est une forme qui ne présente aucune différence. " D’ailleurs, il est manifeste que la ressemblance spécifique se prend au niveau de la différence ultime. Or certains êtres présentent des ressemblances avec Dieu, premièrement, et c’est ce qui est le plus commun, en tant qu’ils existent ; deuxièmement, en tant qu’ils vivent ; troisièmement, en tant qu’ils sont sagesse et intelligence. Ces derniers, dit S. Augustin, " sont tellement proches de Dieu par cette ressemblance que rien dans les créatures n’est plus proche de lui ". On voit donc bien par là que seules les créatures dotées d’intelligence sont à proprement parler à l’image de Dieu. Solutions : 1. Tout être imparfait est une participation du parfait, et c’est pourquoi même les êtres qui restent en deçà de la notion d’image, dans la mesure où malgré tout ils possèdent une ressemblance quelconque avec Dieu, participent en quelque chose de cette notion d’image. C’est pour cela que Denys dit que les choses causées sont des images contingentes de leurs causes, à savoir dans la mesure où il arrive qu’elles le soient, mais non pas absolument parlant. 2. Denys assimile le rayon du soleil à la bonté divine du point de vue de la causalité, non selon la dignité de la nature ; or c’est celle-ci qui est requise pour la notion d’image. 3. L’univers est plus parfait en bonté que la créature douée d’intelligence, mais c’est en extension et en déploiement. En intensité et en concentration, la ressemblance de la perfection divine se trouve davantage dans la créature intellectuelle, qui est apte à recevoir le souverain bien. - On peut dire aussi qu’il ne faut pas opposer partie et tout, mais partie et partie. Aussi, lorsqu’on dit que seule la nature douée d’intelligence est à l’image de Dieu, on n’exclut pas que l’univers selon quelqu’une de ses parties soit à l’image de Dieu ; ce que l’on exclut, ce sont les autres parties de l’univers. 4. Boèce prend le mot image dans la ligne de la ressemblance par laquelle le produit de l’art imite l’idée artistique qui est dans l’esprit de l’artisan. C’est ainsi que toute créature est image de la notion exemplaire qu’elle possède dans l’esprit divin. Mais ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici de l’image ; nous l’entendons d’une ressemblance de nature, en considérant la façon dont toutes choses sont assimilées au premier être en tant qu’elles existent ; à la première vie en tant qu’elles sont vivantes ; à la sagesse suprême en tant qu’elles sont intelligentes. Article 3 L’image de Dieu est-elle davantage chez l’ange que chez l’homme ? Objections : 1. S. Augustin dit que Dieu n’a donné d’être à son image à aucune autre créature qu’à l’homme. Il n’est donc pas vrai de dire que l’ange est plus que l’homme à l’image de Dieu. 2. D’après S. Augustin, " l’homme est tellement à l’image de Dieu, qu’il est formé par Dieu sans intervention d’aucune créature, et c’est pourquoi rien n’est plus uni à Dieu ". Mais une créature est appelée image de Dieu en tant qu’elle est unie à Dieu. Donc l’ange n’est pas plus que l’homme à l’image de Dieu. 3. On dit qu’une créature est à l’image de Dieu, en tant qu’elle est dotée d’intelligence. Mais dans la nature dotée d’intelligence il n’y a pas de plus ou de moins, car la nature n’appartient pas à la catégorie de l’accident, mais à celle de la substance. Donc l’ange n’est pas plus que l’homme à l’image de Dieu. En sens contraire, S. Grégoire dit dans une homélie que " l’ange est appelé le sceau de la ressemblance, parce que c’est en lui que la ressemblance de l’image divine se laisse deviner le plus clairement ". Réponse : Pour parler de l’image de Dieu, on peut se placer à deux plans. D’abord au plan où la qualité d’image se vérifie à titre primordial, celui de la nature intellectuelle. Ainsi l’image de Dieu est davantage chez les anges que chez les hommes, car la nature intellectuelle est plus parfaite en eux, comme il ressort clairement de ce qui a été dit antérieurement à ce sujet. Ensuite on peut considérer l’image de Dieu dans l’homme à un plan où elle se vérifie à titre secondaire : pour autant que l’on trouve en l’homme une certaine imitation de Dieu, du fait par exemple que l’homme naît de l’homme comme Dieu naît de Dieu ; du fait encore que l’âme de l’homme est tout entière dans la totalité de son corps et tout entière dans n’importe quelle partie de ce corps, comme Dieu l’est dans le monde. Sur des points de ce genre l’image de Dieu se trouve davantage chez l’homme que chez l’ange. Mais ce n’est pas de ce côté que l’on découvre essentiellement la qualité d’image divine chez l’homme ; cela ne se fait qu’en présupposant la première imitation, celle qui se réalise selon la nature intellectuelle ; autrement, même les bêtes seraient à l’image de Dieu. Et c’est pourquoi, puisque l’ange est plus à l’image de Dieu que l’homme quant à la nature intellectuelle, il faut reconnaître que, absolument parlant, l’ange est davantage à l’image de Dieu, et que l’homme ne l’emporte que sous des aspects particuliers. Solutions : 1. Ce que S. Augustin exclut de l’image de Dieu, ce sont les autres créatures inférieures dénuées de raison, non les anges. 2. De même que le feu est appelé le plus subtil des corps selon son espèce, et que pourtant tel feu est plus subtil que tel autre, de même, lorsqu’on dit que " rien n’est plus uni à Dieu " que l’esprit humain, c’est en considérant le genre auquel il appartient, celui de la nature intellectuelle. En effet, comme S. Augustin l’avait écrit un peu plus haut : " Les êtres doués de sagesse lui sont tellement proches en similitude que rien dans les créatures ne lui est plus proche. " Et ainsi de telles paroles n’excluent pas que l’ange soit davantage à l’image de Dieu. 3. Lorsqu’on dit que la substance " n’est pas susceptible de plus ou de moins ", on ne veut pas dire que telle espèce de substance ne soit pas plus parfaite que telle autre ; ce que l’on veut dire, c’est qu’un seul et même individu ne participe pas tantôt plus tantôt moins de sa nature spécifique, ou encore que la substance spécifique n’est pas participée en plus ou en moins par les divers individus. Article 4 L’image de Dieu est-elle en tout homme ? Objections : 1. S. Paul dit (1 Co 11, 7) : " L’homme est l’image de Dieu, tandis que la femme est l’image de l’homme. " Donc, puisque la femme est un individu de l’espèce humaine, il ne convient pas à n’importe quel individu d’être l’image de Dieu. 2. S. Paul dit (Rm 8, 29) : " Ceux que Dieu a d’avance discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils. " Mais tous les hommes n’ont pas été prédestinés. Donc tous les hommes ne reproduisent pas l’image. 3. Comme on l’a dit ci-dessus, la ressemblance fait partie de la notion d’image. Mais par le péché l’homme perd sa ressemblance avec Dieu. Par conséquent il perd l’image de Dieu. En sens contraire, il est dit dans le Psaume (39, 7 Vg) : " Et pourtant l’homme passe comme dans une image. " Réponse : Puisque c’est en vertu de sa nature intellectuelle que l’homme est dit exister à l’image de Dieu, le trait par lequel il sera le plus à l’image de Dieu sera celui par lequel la nature intellectuelle peut le plus imiter Dieu. Or la nature intellectuelle imite Dieu surtout en ce que Dieu se connaît et s’aime lui-même. L’image de Dieu dans l’homme pourra donc se vérifier selon trois degrés. D’abord, en ce que l’homme a une aptitude naturelle à connaître et à aimer Dieu ; cette aptitude réside dans la nature même de l’âme spirituelle, laquelle est commune à tous les hommes. Deuxièmement, en ce que l’homme connaît et aime Dieu en acte ou par habitus, quoique de façon imparfaite ; c’est l’image par conformité de grâce. Troisièmement, en ce que l’homme connaît et aime Dieu en acte et de façon parfaite ; c’est ainsi qu’on rejoint l’image selon la ressemblance de gloire. Aussi, en marge du Psaume (4, 7) : " La lumière de ta face a été imprimée sur nous, Seigneur ", la Glose distingue trois sortes d’images : celles de la création, de la récréation et de la ressemblance. La première de ces images se trouve chez tous les hommes, la deuxième chez les justes seulement, et la troisième seulement chez les bienheureux. Solutions : 1. Si l’on considère la réalité dans laquelle réside principalement la qualité d’image, à savoir la nature intellectuelle, l’image de Dieu se trouve aussi bien chez la femme que chez l’homme. Aussi c’est après avoir dit : " A l’image de Dieu il le créa " (l’homme), que la Genèse ajoute : " Homme et femme il les créa " ; et, commente S. Augustin, il dit au pluriel : " il les créa " pour que l’on ne pense pas que les deux sexes avaient été réunis en un seul individu. Mais, pour ce qui est de certains traits secondaires, l’image de Dieu se trouve dans l’homme d’une façon qui ne se vérifie pas dans la femme ; en effet, l’homme est principe et fin de la femme, comme Dieu est principe et fin de toute la création. Aussi, une fois que S. Paul eut dit : " L’homme est l’image et la gloire de Dieu tandis que la femme est la gloire de l’homme ", il montra la raison pour laquelle il avait dit cela en ajoutant :" Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et ce n’est pas l’homme q ‘ ui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. " 2. 3. Ces arguments sont valables pour l’image qui est réalisée par la conformité de grâce et de gloire. Article 5 L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme par rapport à l’essence, ou à toutes les Personnes divines, ou a une seule d’entre elles ? Objections : 1. Il semblerait qu’il n’y a pas chez l’homme image de Dieu par rapport à la trinité des Personnes divines. En effet, S. Augustin nous dit : " Une, essentiellement, est la divinité de la sainte Trinité, et l’image d’après laquelle a été fait l’homme. " S. Hilaire, de son côté, affirme : " L’homme est produit d’après l’image commune de la Trinité. " Donc, s’il y a image de Dieu chez l’homme, c’est par rapport à l’essence, non par rapport à la trinité des Personnes. 2. Dans le livre des Dogmes Ecclésiastiques il est dit que l’image de Dieu est considérée chez l’homme du point de vue de " l’éternité ". S. Jean Damascène, de son côté, dit que " le fait pour l’homme d’être à l’image de Dieu signifie qu’il est doué d’intelligence, libre dans son jugement et capable de disposer de lui-même ". Pour S. Grégoire de Nysse, lorsque l’Écriture affirme que " l’homme a été fait à l’image de Dieu, c’est comme si elle disait que la nature humaine a été rendue participante de tout bien, car la divinité est plénitude de bonté ". Or tout cela concerne non la distinction des Personnes, mais l’unité de l’essence. 3. Une image conduit à la connaissance de la réalité dont elle est l’image. Par conséquent, s’il y a chez l’homme image de Dieu selon la trinité des Personnes, puisque l’homme peut se connaître lui-même par la raison naturelle, il s’ensuivrait que l’homme pourrait connaître la trinité des Personnes divines par la raison naturelle. Or ceci est faux, on l’a montré précédemment. 4. Le nom d’Image ne convient pas à n’importe laquelle des trois Personnes divines, mais au Fils seul ; en effet S. Augustin dit que " le Fils seul est image du Père ". Donc si l’on voulait envisager l’image de Dieu selon la Personne, il n’y aurait pas chez l’homme l’image de toute la Trinité, mais seulement celle du Fils. En sens contraire, il y a cette remarque de S. Hilaire : le fait que l’Écriture dit de l’homme qu’il a été fait à l’image de Dieu montre la pluralité des Personnes divines. Réponse : Comme on l’a dit précédemment, la distinction des Personnes divines ne se fait que par l’origine, ou plutôt par les relations d’origine. Or le mode d’origine n’est pas le même dans tous les êtres, pour chacun le mode d’origine s’harmonise avec sa nature : autre en effet est la production des êtres animés, autre celle des êtres inanimés, autre celle des animaux, et autre celle des plantes. Par suite, il est manifeste que la distinction des Personnes divines se fait selon ce qui convient à la nature divine. D’où il résulte qu’être à l’image de Dieu par une imitation de la nature divine n’exclut pas que l’on soit à l’image de Dieu par une représentation des trois Personnes ; bien plutôt l’un entraîne l’autre. Ainsi donc, il faut dire qu’il y a dans l’homme image de Dieu à la fois dans la ligne de la nature divine et dans celle de la trinité des Personnes, car en Dieu lui-même il existe bien aussi une nature en trois Personnes. Solutions : 1. 2. Ce qu’on vient de dire répond aux deux premières objections. 3. Cet argument porterait s’il y avait chez l’homme une image de Dieu représentant Dieu à la perfection. Mais, dit S. Augustin, il y a la plus grande différence entre cette trinité qui est en nous, et la Trinité divine. Et c’est pourquoi il dit au même endroit : " La trinité qui est en nous, nous la voyons plutôt que nous ne la croyons ; que Dieu, au contraire, soit Trinité, nous le croyons plutôt que nous ne le voyons ". 4. Certains ont dit en effet que dans l’homme il y avait seulement l’image du Fils. Mais S. Augustin rejette cette opinion. D’abord parce que, le Fils étant semblable au Père par leur égalité dans l’essence, il est nécessaire, si l’homme a été fait à la ressemblance du Fils, qu’il ait été fait à la ressemblance du Père. Deuxièmement parce que, si l’homme avait été fait seulement à l’image du Fils, le Père ne dirait pas : " Faisons l’homme à notre image et ressemblance ", mais : à la tienne. Donc, lorsqu’il est dit : " Il le fit à l’image de Dieu ", il ne faut pas comprendre que le Père a fait l’homme uniquement à l’image du " Fils qui est Dieu ", suivant l’interprétation de certains, mais que le Dieu Trinité a fait l’homme à son image, c’est-à-dire à celle de toute la Trinité. Et lorsqu’il est dit : " Dieu fit l’homme à son image ", cela peut être compris de deux façons. Premièrement, en voyant dans la préposition " à " le terme de la production ; le sens serait ainsi : Faisons l’homme de telle manière que notre image soit en lui. Deuxièmement, en voyant dans cette préposition l’idée de la cause exemplaire, comme lorsqu’on dit : ce livre a été fait conformément à celui-là. Ainsi, l’image de Dieu est l’essence divine elle-même ; dans ce cas l’essence divine est appelée image par figure de style, " image " étant pris pour " modèle ", ou encore, disent certains, l’essence est appelée image parce que c’est par elle qu’une Personne en imite une autre. Article 6 L’image de Dieu existe-t-elle chez l’homme selon l’esprit seulement ? Objections : 1. S. Paul affirme (1 Co 11, 7) " L’homme est l’image de Dieu. " Mais l’homme n’est pas seulement esprit. Donc l’image de Dieu ne se découvre pas seulement dans l’âme spirituelle. 2. On lit dans la Genèse (1, 27) : " Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. " Mais la distinction de l’homme et de la femme concerne le corps. Donc l’image de Dieu dans l’homme se découvre selon le corps et non selon l’âme spirituelle seulement. 3. L’image semble se découvrir surtout par une ressemblance de " figure ". Mais la figure concerne le corps. Donc l’image de Dieu chez l’homme se découvre aussi dans son corps et pas seulement dans l’âme spirituelle. 4. D’après S. Augustin, on trouve en nous trois sortes de visions : la vision corporelle, la vision spirituelle ou imaginative, et la vision intellectuelle. Donc si selon la vision intellectuelle, qui relève de l’âme spirituelle, il y a en nous une certaine trinité selon laquelle nous sommes à l’image de Dieu, il doit en être de même pour les autres visions. En sens contraire, S. Paul dit aux Éphésiens (4, 23) : " Renouvelez-vous par une transformation spirituelle de votre âme et revêtez l’homme nouveau. " Cela nous fait entendre que notre renouvellement, qui se fait en revêtant l’homme nouveau, concerne l’âme spirituelle. Mais d’autre part, S. Paul dit aux Colossiens (3, 10) : " Vous avez revêtu l’homme nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur. " Ainsi il rattache à l’image de Dieu le renouvellement qui s’accomplit lorsqu’on revêt l’homme nouveau. Être à l’image de Dieu appartient donc uniquement à l’âme spirituelle. Réponse : Bien qu’il y ait dans toutes les créatures une certaine ressemblance de Dieu, c’est dans la seule créature dotée de raison que la ressemblance de Dieu se trouve par mode d’image, nous l’avons dit plus haut ; dans les autres créatures elle se trouve par mode de vestige. Ce qui met la créature dotée de raison au-dessus des autres créatures, c’est l’intelligence ou esprit. D’où il résulte que dans la créature raisonnable elle-même, c’est au niveau de l’esprit seulement qu’on découvre l’image de Dieu et que, dans les autres parties, si cette créature raisonnable en possède, c’est une ressemblance par mode de vestige que l’on trouve, comme dans les autres êtres auxquels elle ressemble quant à ces parties. On en comprendra clairement la raison si l’on observe la façon dont, respectivement, image et vestige constituent une représentation. En effet, l’image, comme on l’a dits., représente selon une ressemblance spécifique. Mais le vestige représente à la façon d’un effet qui représenterait sa cause sans atteindre à la ressemblance spécifique, comme les empreintes qui sont laissées par le passage des animaux et qu’on appelle vestiges ; comme la cendre qui est appelée vestige du feu, ou la désolation d’un pays qui est appelée vestige de l’armée ennemie. C’est une différence de ce genre que l’on peut observer entre les créatures dotées de raison et les autres créatures, aussi bien pour la façon dont la ressemblance de la nature divine est représentée dans ces créatures que pour celle dont y est représentée la ressemblance de la Trinité incréée. En effet, en ce qui concerne la ressemblance de la nature divine, les créatures douées de raison semblent parvenir d’une certaine façon jusqu’à la représentation de la nature spécifique, puisqu’elles imitent Dieu non seulement en ce qu’il existe et vit, mais aussi en tant qu’il connaît intellectuellement, nous l’avons vu plus haute. Mais les autres créatures ne connaissent pas intellectuellement ; il apparaît en elles un certain vestige de l’intelligence qui les produit, si l’on considère leur organisation. Pareillement, la Trinité incréée se distingue selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et la procession de l’Amour à partir des deux autres, on en a traité précédemment. On pourra donc pour la créature dotée de raison, chez laquelle on trouve la procession du verbe dans l’intelligence et la procession de l’amour dans la volonté, parler d’une image de la Trinité incréée en vertu d’une certaine représentation spécifique. Mais chez les autres créatures on ne trouve pas ces trois termes que sont le principe du verbe, le verbe et l’amour. Ce qui apparaît chez ces créatures, c’est un certain vestige, du fait que ces trois termes se trouvent dans la cause qui les produit. Car le fait même pour la créature d’avoir une substance modifiée et finie montre qu’elle vient de quelque principe ; son appartenance à une espèce montre le Verbe de celui qui la fait, tout comme la forme de la maison montre la conception de l’artisan ; et son ordre montre l’amour de celui qui la produit, par lequel l’effet est ordonné au bien, tout comme l’usage d’un édifice montre la volonté du constructeur. Ainsi donc, si l’on trouve chez l’homme une ressemblance de Dieu par mode d’image, c’est au niveau de l’âme spirituelle ; dans ses autres parties, on la trouve par mode de vestige. Solutions : 1. On appelle l’homme image de Dieu, non parce qu’il serait image lui-même par son essence, mais parce que l’image de Dieu a été imprimée en lui au niveau de l’âme spirituelle, à la façon dont on appelle un denier l’image de César ; en tant qu’il porte l’image de César. Et ainsi il n’est pas nécessaire de trouver l’image de Dieu dans n’importe quelle partie de l’homme. 2. Comme dit S. Augustin, certains ont placé l’image de Dieu dans l’homme non pas à l’intérieur d’un seul et même individu, mais répartie en plusieurs ; ils disent que " l’homme tient la place du Père, l’enfant qui procède de lui par voie de naissance celle du Fils, enfin la troisième personne correspondant à l’Esprit Saint est, disaient-ils, la femme qui procède de l’homme sans être pourtant ni son fils ni sa fille ". Cette théorie, dès le premier regard, se révèle absurde. Premièrement, parce qu’il s’ensuivrait que le Saint-Esprit serait principe du Fils, comme la femme est principe de l’enfant, qui naît de l’homme. Deuxièmement, parce qu’un homme donné ne serait à l’image que d’une seule Personne. Troisièmement, parce qu’alors l’Écriture n’aurait dû faire mention de l’image de Dieu dans l’homme qu’après la production de l’enfant. Aussi faut-il dire que si l’Écriture, après avoir dit : " A ‘image de Dieu il le créa ", ajoute : " Homme et femme il les créa ", ce n’est pas pour inviter à découvrir l’image de Dieu dans la distinction des sexes, mais parce que l’image de Dieu est commune à l’un et à l’autre sexe, puisqu’elle se réalise au niveau de l’âme spirituelle dans laquelle il n’y a pas de distinction des sexes. C’est pourquoi S. Paul (Col 3, 1 0) après avoir dit : " A l’image de son Créateur ", ajoute : " là il n’est plus question d’homme ou de femme ". 3. Bien que l’image de Dieu chez l’homme ne se prenne pas selon la figure corporelle, cependant, dit S. Augustin, puisque " seul le corps de l’homme, parmi les corps des animaux terrestres, n’est pas allongé, couché sur le ventre, mais disposé de manière à pouvoir mieux contempler le ciel, il peut paraître à juste titre avoir été fait davantage en cela à l’image et à la ressemblance de Dieu que le corps des autres animaux. " Toutefois il ne faut pas interpréter cette réflexion comme s’il y avait une image de Dieu dans le corps de l’homme ; il faut comprendre que la configuration même du corps humain représente par mode de vestige l’image de Dieu dans l’âme. 4. Selon S. Augustin, on trouve une certaine trinité aussi bien dans la vision corporelle que dans la vision imaginative. Dans la vision corporelle il y a d’abord l’espèce du corps extérieur ; deuxièmement la vision proprement dite, qui se fait par l’impression d’une similitude de cette espèce sur la vue ; troisièmement l’intention de la volonté qui ordonne de voir, et maintient la vision sur l’objet. Pareillement, dans la vision imaginative, on trouve d’abord l’espèce conservée dans la mémoire ; deuxièmement la vision imaginative elle-même, qui provient de ce que le regard de l’âme, c’est-à-dire la faculté imaginative, est informée selon cette espèce ; troisièmement l’intention de la volonté qui unit les deux. Mais l’une et l’autre trinité n’atteignent pas à la qualité d’image divine. En effet, l’espèce du corps extérieur est en dehors de la nature de l’âme, et l’espèce qui est dans la mémoire, bien qu’elle ne se trouve pas en dehors de l’âme, est empruntée au-dehors ; ainsi, de part et d’autre, la représentation de la connaturalité et coéternité des Personnes divines n’est pas atteinte. Quant à la vision corporelle, elle ne procède pas seulement de l’espèce du corps extérieur, mais en même temps de la faculté sensible du voyant ; pareillement la vision imaginative ne procède pas seulement de l’espèce conservée dans la mémoire, mais aussi de la vertu imaginative ; et ainsi il n’y a pas là représentation adéquate de la procession du Fils à partir du seul Père. Enfin l’intention de la volonté qui unit les deux termes précédents ne procède de ceux-ci ni dans la vision corporelle, ni dans la vision imaginative, et par ce fait elle ne fournit pas de représentation adéquate de la procession du Saint-Esprit à partir du Père et du Fils. Article 7 Est-ce selon les actes que l’image de Dieu se trouve dans l’âme ? Objections : 1. S. Augustin nous dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu selon que " nous sommes, et que nous connaissons que nous sommes et que nous aimons cet être et ce connaître ". Mais " être " ne désigne pas un acte. Par conséquent l’image de Dieu dans l’âme ne se montre pas au plan des actes. 2. S. Augustin situe l’image de Dieu dans l’âme au niveau de ces trois réalités que sont " l’esprit, la connaissance et l’amour ". Mais le mot " esprit " ne désigne pas un acte, il désigne plutôt une puissance, ou encore l’essence de l’âme intellective. Par conséquent ce n’est pas au plan des actes que se découvre l’image de Dieu. 3. S. Augustin situe l’image de la Trinité dans l’âme au niveau de " la mémoire, de l’intelligence et de la volonté ". Mais ces trois réalités, dit Pierre Lombard sont " les puissances naturelles de l’âme ". Par conséquent c’est au plan des puissances et non des actes que se prend l’image de Dieu. 4. L’image de la Trinité demeure toujours dans l’âme. Mais l’acte ne demeure pas toujours. Ce n’est donc pas au plan des actes que se découvre l’image de Dieu dans l’âme. En sens contraire, la trinité que S. Augustin situe dans les parties inférieures de l’âme, est à prendre selon l’acte de la vision, sensible ou imaginaire. Donc la trinité qui est dans l’esprit, selon laquelle l’homme est à l’image de Dieu, doit, elle aussi, se découvrir au plan de la vision en acte. Réponse : Comme on l’a dit plus haut, pour mériter le nom d’image il faut représenter de quelque façon les traits spécifiques du modèle. Donc, si l’on doit trouver l’image de la Trinité dans l’âme, il faut la prendre principalement de ce qui s’approche davantage, autant que c’est possible, d’une représentation spécifique des Personnes divines. Or celles-ci se distinguent selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et selon celle de l’Amour qui unit l’un et l’autre. D’autre part, le verbe, dit S. Augustin, ne peut exister dans notre âme " sans une pensée en acte ". Ainsi donc, en premier lieu et à titre principal, l’image de Dieu dans l’âme apparaît au plan des actes. Autrement dit, à partir de la connaissance que nous possédons, nous formons par la pensée un verbe intérieur et, à partir de là, jaillit en nous l’amour. Mais parce que les habitus et les puissances sont les principes des actes et que tout chose existe virtuellement dans son principe, secondairement et par voie de conséquence, l’image de la Trinité dans l’âme peut être considérée au plan des puissances et surtout des habitus, pour autant que les actes existent virtuellement en eux. Solutions : 1. L’être qui en nous ressortit à l’image de Dieu, est celui qui nous est propre et qui nous met au-dessus des autres animaux ; et il nous convient précisément parce que nous avons un esprit. Et c’est pourquoi cette Trinité est celle-là même que S. Augustin propose ailleurs, et qui consiste dans " l’esprit, la connaissance et l’amour ". 2. La trinité mens, notitia, amor est la première que S. Augustin découvrit dans l’esprit. Mais parce que mens, l’esprit, tout en se connaissant tout entier d’une certaine façon, reste aussi d’une certaine façon dans l’ignorance de lui-même, en tant qu’il se distingue du reste, et qu’ainsi il est à la recherche de lui-même comme S. Augustin le prouve, il en résulte que la connaissance ne s’égale pas totalement à l’esprit. Aussi S. Augustin choisit-il dans l’âme trois réalités propres à l’esprit : la mémoire, l’intelligence et la volonté, dont nul n’ignore la présence en soi-même. Et c’est dans ces trois réalités qu’il préfère situer l’image de la Trinité, comme si la première trinité proposée était d’une certaine façon insuffisante. 3. Comme le montre S. Augustin, on dit que nous connaissons et voulons ou aimons quelque chose, quand nous pensons à cette chose et quand nous n’y pensons pas. Mais lorsqu’il n’y a aucune pensée, cela relève de la seule mémoire, laquelle n’est rien d’autre, pour lui, que la conservation habituelle de la connaissance et de l’amour. Mais, comme il le dit lui-même, " le verbe ne peut exister là sans une pensée. En effet, nous pensons tout ce que nous disons, fût-ce par ce verbe intérieur qui n’appartient à la langue d’aucun peuple. Aussi l’image de Dieu se fait-elle plutôt connaître dans ces trois réalités : la mémoire, l’intelligence et la volonté. Mais l’intelligence dont je parle maintenant est celle que nous exerçons en pensant..., et ce que j’appelle volonté, amour ou dilection, c’est la volonté qui unit l’être engendré à celui qui l’engendre ". Ce texte montre clairement que S. Augustin place l’image de la Trinité dans l’intelligence et la volonté en acte, plutôt que chez celles-ci telles que la mémoire les garde à l’état d’habitus. Cependant, même à cet égard, il existe dans l’âme une certaine image de la Trinité, comme il est dit au même endroit. On voit clairement par là que " mémoire, intelligence, volonté " ne sont pas trois " facultés ", comme il est dit dans les Sentences. 4. A cet argument on pourrait répondre par la remarque de S. Augustin que " l’esprit se souvient toujours de lui-même, toujours il a l’intelligence et l’amour de lui-même ". Certains interprètent cette remarque comme si l’âme avait toujours en acte l’intelligence et l’amour d’elle-même. Mais S. Augustin exclut cette interprétation par ce qu’il ajoute : " L’âme ne pense pas constamment qu’elle se distingue de ce qui n’est pas elle ". Et l’on voit ainsi que l’âme a toujours l’intelligence et l’amour d’elle-même non pas en acte, mais de façon habituelle. Cependant on pourrait dire qu’en percevant son acte, l’âme a l’intelligence d’elle-même chaque fois qu’elle connaît quelque chose. Mais puisqu’elle n’est pas toujours intelligent en acte, comme c’est évident chez ceux qui dorment, il faut dire que les actes, même s’ils ne demeurent pas toujours en eux-mêmes, demeurent cependant toujours dans leurs principes, qui sont les puissances et les habitus. " Ce qui fait dire à S. Augustin : " Si l’âme raisonnable a été faite à l’image de Dieu en ce sens qu’elle peut à l’aide de la raison et de l’intelligence connaître et contempler Dieu, c’est du jour où elle a commencé d’exister que l’image de Dieu a été en elle. " Article 8 Est-ce par rapport à cet objet qu’est Dieu que l’image de la divine Trinité est dans l’âme ? Objections : 1. Il semble que l’image de la Trinité divine dans l’âme ne se réalise pas seulement par relation à cet objet qu’est Dieu. En effet, comme on l’a dit, l’image de la Trinité divine se trouve dans l’âme selon que le verbe procède en nous de ce qui le profère et que l’amour procède de l’un et de l’autre. Mais cela se réalise en nous à propos de n’importe quel objet. Donc, à propos de n’importe quel objet on trouve dans notre esprit l’image de la Trinité divine. 2. S. Augustin nous dit : " Quand nous cherchons dans l’âme une trinité, nous la cherchons dans l’âme tout entière et nous ne séparons pas la raison qui agit sur le temporel de celle qui contemple l’éternel. " Donc on trouve l’image de la Trinité dans l’âme en relation avec des objets temporels. 3. Connaître et aimer Dieu nous convient à cause du don de la grâce. Donc, si c’est par la mémoire, l’intelligence et la volonté ou l’amour de Dieu que l’on découvre dans l’âme l’image de la Trinité, l’image de Dieu ne sera pas dans l’homme par nature, mais par grâce. Et ainsi elle ne sera pas commune à tous. 4. Les saints qui sont dans la patrie sont au plus haut degré rendus conformes à l’image de Dieu par la vision de gloire, ce qui fait dire à S. Paul (2 Co 3, 18) : " Nous sommes transformés en cette image, allant de gloire en gloire. " Mais dans la vision de gloire on connaît les choses temporelles. Donc, même en relation avec les choses temporelles, l’image de Dieu se découvre en nous. En sens contraire, voici ce que dit S. Augustin : " Si l’image de Dieu est dans l’esprit, ce n’est pas parce que celui-ci a souvenir, amour et intelligence de lui-même, mais parce qu’il peut en outre se rappeler, comprendre et aimer Dieu par qui il a été créé. " C’est donc encore beaucoup moins par rapport aux autres objets que l’on considérera l’image de Dieu dans l’âme. Réponse : Comme on l’a dit plus haut, l’image implique une ressemblance qui aboutisse à représenter de quelque façon les traits spécifiques du modèle. Il faut par conséquent que l’image de la Trinité dans l’âme se découvre par quelque chose qui représente les Personnes divines d’une représentation spécifique, autant que cela est possible à la créature. Or les Personnes divines, on l’a dit, se distinguent selon la procession du Verbe à partir de celui qui le profère, et la procession de l’Amour à partir de l’un et de l’autre. D’autre part, le Verbe de Dieu nuit de Dieu selon la connaissance qu’il a de lui-même, et l’Amour procède de Dieu selon qu’il s’aime lui-même. Or, il est manifeste que la diversité des objets entraîne une diversité spécifique dans le verbe et l’amour ; en effet, le verbe conçu dans le cœur de l’homme au sujet d’une pierre ou d’un cheval n’est pas de même espèce, non plus que l’amour. Donc l’image divine chez l’homme se réalise par le verbe qui est conçu à partir de la connaissance de Dieu et de l’amour qui en dérive. Et ainsi il y a image de Dieu dans l’âme en tant qu’elle se porte ou qu’elle est capable de se porter vers Dieu. Or l’esprit peut se porter vers quelque chose de deux façons : de façon directe et immédiate ou de façon indirecte et médiate. Ainsi, lorsque quelqu’un voit l’image d’un homme dans un miroir, on dit qu’il se porte vers l’homme lui-même. Et c’est pourquoi S. Augustin écrit : " L’esprit a souvenir, intelligence et amour de lui-même ; si nous voyons cela, nous voyons une trinité, qui certes n’est pas encore Dieu, mais déjà image de Dieu. " Mais il en est ainsi non parce que l’esprit se porte sur lui-même en s’arrêtant à soi, mais pour autant qu’il est capable ultérieurement de se porter vers Dieu, on le voit bien par le texte cité en sens contraire. Solutions : 1. Pour vérifier la raison d’image, il ne faut pas observer seulement qu’un être procède d’un autre, mais il faut encore voir de qui il procède. Cela veut dire que le Verbe de Dieu procède d’une connaissance sur Dieu. 2. On trouve bien une trinité " dans l’âme tout entière ". Mais cela n’exige pas qu’en dehors de l’action sur le temporel et de la contemplation de l’éternel, il faille " chercher un troisième terme dans lequel cette trinité se réaliserait ", selon la suite du texte cité. Mais si dans cette partie de la raison qui se porte du côté du temporel " on peut trouver une trinité, cependant on ne peut pas y trouver l’image de Dieu ", comme il est précisé ensuite. Car la connaissance de ces choses temporelles est pour l’âme une réalité adventice. En outre, les habitus eux-mêmes, par lesquels on connaît le temporel, ne sont pas toujours présents ; parfois ils sont là de façon présente, parfois ils ne sont là que par la mémoire, et cela même après qu’ils ont commencé à être là. C’est manifeste pour la foi, qui nous advient temporellement dans le présent, alors que dans la béatitude future il n’y aura plus foi, mais mémoire de la foi. 3. La connaissance et l’amour de Dieu ayant valeur méritoire ne se réalisent que par grâce. Il y a pourtant une connaissance et un amour naturels de Dieu, comme on l’a établi antérieurement . Et cela aussi est naturel : que l’esprit puisse employer la raison à connaître Dieu. C’est de ce point de vue, nous l’avons dit, que l’image de Dieu demeure toujours dans l’homme. Que cette image, selon S. Augustin, " soit usée et comme voilée au point d’exister à peine ", comme chez ceux qui n’ont pas d’usage de la raison ; " ou qu’elle soit obscure et déformée " comme chez les pécheurs " ou qu’elle soit claire et belle " comme chez les justes. 4. Par la vision de gloire, c’est en Dieu lui-même que l’on verra les choses temporelles, et c’est pourquoi dans la vision de ces choses resplendira l’image de Dieu. C’est ce que dit S. Augustin : " Dans cette nature, à laquelle l’esprit sera uni pour son bonheur, tout ce qu’il verra, il le verra établi dans l’immutabilité ", car c’est dans le Verbe incréé que se trouvent les idées de toutes les créatures. Article 9 La différence entre image et ressemblance Objections : 1. Il semble que la distinction entre " ressemblance " et image ne soit pas bien faite. En effet, il ne convient pas de considérer le genre comme distinct de l’espèce. Mais la ressemblance est vis-à-vis de l’image dans la situation du genre par rapport à l’espèce ; en effet, dit S. Augustin, " là où il y a image, il y a à coup sûr ressemblance, mais non réciproquement ". La distinction entre ressemblance et image est donc injustifiée. 2. La notion d’image découle non seulement de la représentation des Personnes divines, mais aussi de celle de l’essence divine, et c’est de celle-ci que relèvent l’immortalité et l’indivisibilité. Il n’est donc pas juste de dire que " la ressemblance est dans l’essence, parce qu’elle est immortelle et indivisible, tandis que l’image est ailleurs ". 3. Comme on l’a dit plus haut, il y a trois sortes d’image de Dieu dans l’homme : celle de la nature, celle de la grâce, et celle de la gloire. Mais innocence et justice relèvent de la grâce. Il n’est donc pas juste de dire que " l’image se découvre selon la mémoire, l’intelligence et la volonté, et la ressemblance selon l’innocence et la justice ". 4. La connaissance de la vérité appartient à l’intelligence, tandis que l’amour de la vertu appartient à la volonté, intelligence et volonté étant deux parties de l’image. Il n’est donc pas juste de dire que " l’image se trouve dans la connaissance de la vérité, et la ressemblance dans l’amour de la vertu ". En sens contraire, S. Augustin écrit " Certains pensent, non sans raison, que "à l’image" et "à la ressemblance" sont deux paroles distinctes ; car si elles n’en faisaient qu’une, un seul mot aurait pu suffire. " Réponse : La ressemblance est une certaine forme d’unité ; en effet, dit Aristote, c’est l’unité dans une même qualité qui cause la ressemblance. Car l’unité, étant un transcendantal, est à la foi commune à toutes choses, et adaptable à chacune tout comme la bonté et la vérité. Aussi, de même que la bonté peut être référée à une réalité particulière ou bien comme lui étant présupposée, ou bien comme la parachevant parce que désignant chez elle quelque perfection ; de même en est-il de la relation entre la ressemblance et l’image. En effet, il y a un bien qui précède l’homme, en tant que tout homme est un bien particulier. Et il y a un bien qui est consécutif à l’homme, en tant que nous déclarons que tel homme est spécialement bon à cause de la perfection de sa vertu. Pareillement, la ressemblance est considérée comme précédant l’image, en tant qu’elle est plus générale, on l’a dit plus haut. Mais on peut aussi la considérer comme consécutive à l’image en tant qu’elle signifie une perfection de celle-ci ; car nous disons que l’image de quelque chose ressemble, ou non, à ce dont elle est l’image, en tant qu’elle le représente parfaitement, ou non. Ainsi donc, il y a deux manières de concevoir la distinction entre ressemblance et image. D’abord, en tant que ressemblance est un attribut antérieur à image et existe en plusieurs autres choses. En ce sens, on parlera de " ressemblance " de Dieu pour des choses qui sont plus communes que les propriétés de la nature intellectuelle. C’est en ce sens que S. Augustin dit : " Personne ne doute que l’esprit (c’est-à-dire l’âme spirituelle) ait été fait à l’image de Dieu " ; mais pour ce qui est des autres parties de l’homme, les parties inférieures de l’âme ou encore le corps, " il y en a qui veulent qu’elles aient été faites à sa ressemblance ". C’est encore en ce sens qu’il dit ailleurs que la ressemblance de Dieu dans l’âme se découvre par son incorruptibilité ; en effet corruptibilité et incorruptibilité sont une distinction de l’être pris en toute son ampleur. D’une autre manière on peut concevoir la ressemblance comme signifiant et la précision et la perfection de l’image. C’est en ce sens que S. Jean Damascène écrit : " "Être à l’image" signifie "être doué d’intelligence, de libre arbitre et de maîtrise de soi-même", tandis que "être à la ressemblance", c’est posséder, autant que c’est possible à l’homme, la ressemblance de la vertu. " C’est encore en référence à ce sens que l’on dit : la ressemblance appartient à l’amour de la vertu ; en effet, il n’y a pas de vertu sans amour de la vertu. Solutions : 1. Ce n’est pas d’après la notion commune de ressemblance que l’on fait une distinction entre " ressemblance " et " image " ; en ce sens elle est incluse dans la notion même d’image ; c’est en tant qu’il y a des ressemblances qui restent en deçà de la notion d’image, ou encore que certaines perfectionnent l’image. 2. L’essence de l’âme appartient à l’image en tant qu’elle représente l’essence divine par ce qui est propre à la nature intellectuelle ; elle ne lui appartient pas selon les conditions qui caractérisent l’être pris dans toute son ampleur, comme d’être simple et indissoluble. 3. Il y a aussi certaines vertus qui se trouvent naturellement dans l’âme, au moins quant à leurs germes, et dans cette ligne on pourrait parler d’une ressemblance naturelle. Pourtant, il n’est pas illogique que ce qui est appelé image d’après une explication soit, d’après une autre explication, appelé " ressemblance ". 4. Il y a un amour du verbe (c’est la connaissance aimée), qui ressortit à la raison d’image ; mais l’amour de la vertu ressortit à la " ressemblance ", comme la vertu elle-même. |