Question 107 LES RAPPORTS DE LA LOI NOUVELLE AVEC LA LOI ANCIENNE 1. La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne? - 2. En réalise-t-elle l’accomplissement ? - 3. Y est-elle contenue ? - 4. Laquelle est la plus pesante : la loi nouvelle ou la loi ancienne? Article 1 La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne ? Objections : 1. L’une et l’autre loi est accordée à ceux qui ont foi en Dieu, car “ sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ” (He 11,6). Or, nous lisons dans la Glose (sur Mt 21,9) que la foi d’aujourd’hui est identique à celle d’autrefois. Il y a donc aussi identité de loi. 2. S. Augustin a résume “ en deux mots la différence entre la loi et l’Évangile : crainte et amour ”. Or il n’y a pas là de quoi distinguer loi nouvelle et loi ancienne, parce que celle-ci comportait également des préceptes de charité : “ Tu aimeras ton prochain ” (Lv 19,18) et : “ Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ” (Dt 6,5). - On ne peut davantage retenir cette autre différence signalée par S. Augustin : “ L’ancienne alliance comportait des promesses temporelles, et la nouvelle contient des promesses spirituelles et éternelles. ” En réalité, même dans le Nouveau Testament, il y a des promesses temporelles, par exemple : “ Vous recevrez le centuple en ce monde, maisons, frères, etc. ” (Mc 10,30) ; et l’Ancien Testament faisait espérer des promesses spirituelles et éternelles, puisque l’épître aux Hébreux (11,16) dit des Pères de l’ancien temps : “ C’est à une patrie meilleure qu’ils aspirent, à la patrie céleste. ” Ainsi, la loi nouvelle ne paraît pas différente de la loi ancienne. 3. L’Apôtre a l’air de suggérer une différence entre ces deux lois lorsqu’il appelle l’ancienne la loi des œuvres, et la nouvelle la loi de la foi (Rm 3,27). Mais la première aussi fut une loi de la foi : “ Leur foi à tous fut louée ”, dit l’épître aux Hébreux (11,39), évoquant les Pères de l’ancienne loi. Et à son tour la loi nouvelle est aussi une loi des œuvres : “ Faites du bien à ceux qui vous haïssent ” (Mt 5, 44) et : “ Faites cela en mémoire de moi ” (Lc 22,19). Ainsi la loi nouvelle n’est pas différente de l’ancienne. En sens contraire, l’Apôtre écrit aux Hébreux (7,12) : “ Un changement de sacerdoce entraîne nécessairement un changement de loi. ” Comme il démontre au même endroit qu’entre l’Ancien et le Nouveau Testament il y a eu changement de sacerdoce, il s’ensuit que la loi aussi a changé. Réponse : Toute loi, avons-nous dit précédemment, ordonne la conduite humaine en vue d’une fin déterminée. Or, ce qui est ordonné à une fin peut, du point de vue de la fin, se diversifier de deux manières. Ou bien cela se réfère à des fins différentes : il s’agit alors d’une diversité spécifique, surtout s’il s’agit d’une fin prochaine. Ou bien certains actes se réfèrent de près, les autres de loin, à une fin donnée. Il saute aux yeux par exemple que des mouvements ordonnés à des termes différents diffèrent spécifiquement, tandis que deux phases d’un même mouvement, dont l’une est plus proche du terme que l’autre, mettent dans ce mouvement une différence qui tient à un degré imparfait de perfection. De là vient qu’entre deux lois une double distinction est concevable. Ou bien elles sont absolument différentes, comme relevant de fins différentes ; ainsi dans la cité il y aurait une différence spécifique entre le système législatif assurant la souveraineté du peuple, et celui qui donnerait la prépondérance à l’aristocratie urbaine. - Ou bien deux législations peuvent différer en ce que les dispositions de l’une sont en relation plus étroite avec la fin, celles de l’autre en rapport plus lointain. On admet par exemple que, sous un seul et même régime politique, autre est la législation imposée aux hommes faits, dès maintenant capables de satisfaire aux exigences du bien public, autre la législation qui règle l’éducation des enfants, ceux-ci devant être préparés à l’accomplissement de leurs tâches viriles. Donc, du premier point de vue, la loi nouvelle ne diffère pas de la loi ancienne, car toutes deux n’ont qu’une fin, la soumission des hommes à Dieu, et ce Dieu est unique, celui de la nouvelle et de l’ancienne alliance : “ Unique est le Dieu qui justifie le circoncis à raison de sa foi, et l’incirconcis par le moyen de sa foi ” (Rm 3,30). - Du second point de vue, la loi nouvelle diffère de l’ancienne, car celle-ci est comparable au pédagogue, selon l’expression de S. Paul (Ga 3, 24) tandis que la loi nouvelle est une loi de perfection, étant celle de la charité, que l’Apôtre appelle le “ lien de la perfection ” (Col 3, 14). Solutions : 1. Si la foi des deux alliances est identique, c’est que leur fin est unique ; car nous avons vu que l’objet des vertus théologales, au nombre desquelles se trouve la foi, est la fin ultime. N’empêche que la foi n’avait pas sous la loi ancienne le même régime que sous la loi nouvelle: ce qui était à venir pour la foi d’alors est chose faite pour la nôtre. 2. Toutes les différences qu’on signale entre la loi nouvelle et l’ancienne se ramènent à une inégalité de perfection. Les préceptes légaux, en effet, portent toujours sur des actes vertueux. Or l’inclination à exercer ces actes n’est pas la même chez les imparfaits, qui ne sont pas encore en possession de la vertu, et chez ceux que la possession de la vertu rend parfaits. Ce qui pousse les premiers aux œuvres de vertu, c’est un certain motif extrinsèque, comme la menace du châtiment ou la promesse de quelque récompense extérieure, de caractère honorifique, pécuniaire, etc. Aussi la loi ancienne, s’adressant à des hommes qui n’avaient pas encore reçu la grâce spirituelle, méritait le nom de “ loi de crainte ” en tant qu’elle incitait à l’observation des préceptes par la menace de peines déterminées. Et elle comportait des promesses que l’on qualifie de temporelles. Au contraire, ceux qui possèdent la vertu, c’est par amour de la vertu qu’ils inclinent à en faire les actes, et non à cause d’une pénalité ou récompense extrinsèque. C’est pourquoi, à propos de la loi nouvelle qui pour l’essentiel consiste justement dans la grâce spirituelle imprimée dans les cœurs, on parle de “ loi d’amour ”. Elle comporte, dit-on encore, des promesses spirituelles et éternelles : ce sont les objets de la vertu, et d’abord de la charité; en sorte que les vertueux y vont par une inclination intérieure, comme vers des biens qui ne leur sont pas étrangers et qui leur reviennent en propre. - Pour la même raison, la loi ancienne est appelée un frein pour la main, non pour le cœur : en effet, s’abstenir du péché par crainte du châtiment, ce n’est pas en détourner absolument son vouloir, comme lorsqu’on s’abstient du péché par amour de la justice; tandis que la loi nouvelle, étant une loi d’amour, est bien un frein pour le cœur. Il y eut toutefois, sous le régime de l’ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l’Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle : pour les inciter aux œuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l’Esprit Saint, par qui “ la charité est répandue dans nos cœurs ” (Rm 5,5). 3. Nous l’avons dit, la loi de la grâce est la loi de la foi, en tant que pour l’essentiel elle consiste précisément dans le don intérieur de la grâce accordé à ceux qui croient; de là vient qu’on l’appelle “ grâce de la foi ”. Secondairement elle comporte aussi certaines réalisations dans l’ordre des mœurs et des sacrements, mais ce n’est pas en cela que consiste principalement la loi nouvelle, à la différence de l’ancienne. Du reste, sous l’ancienne alliance, ceux qui furent agréables à Dieu à cause de leur foi appartenaient par le fait même à la nouvelle: seule en effet la foi au Christ, fondateur de la nouvelle alliance, les rendait justes. C’est pourquoi ü est écrit de Moïse que “ l’approche du Christ lui parut être une richesse plus précieuse que les trésors de l’Égypte ” (He 11,26). Article 2 La loi nouvelle réalise-t-elle l’accomplissement de l’ancienne loi ? Objections : 1. Parfaire une chose n’est pas la défaire. Or la loi nouvelle défait, ou exclut les observances de la loi ancienne : “ Si vous vous faites circoncire, dit l’Apôtre, le Christ ne vous sera d’aucune utilité ” (Ga 1,2). La loi nouvelle n’est donc pas l’accomplissement de l’ancienne. 2. Rien n’est accompli par son contraire. Or le Seigneur a introduit dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de la loi ancienne “ Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens "Quiconque renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation", mais moi je vous dis : "Quiconque renvoie sa femme l’expose à l’adultère" ” (Mt 31,32). La suite du passage révèle la même opposition touchant la prohibition du serment, la prohibition du talion et la haine des ennemis. De même il ressort de Mt (15,11) que le Seigneur a rejeté les prescriptions de la loi ancienne sur la distinction des aliments : “ Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur. ” Donc la loi nouvelle ne porte pas l’ancienne à sa perfection. 3. Enfreindre la loi, comme l’a fait le Christ sur certains points, ce n’est pas l’accomplir. Il a touché le lépreux, au mépris de la loi (Mt 8,3). Il semble avoir plusieurs fois violé le sabbat, au point que les juifs disaient de lui ; “ Cet homme n’est pas de Dieu, lui qui n’observe pas le sabbat ” (Jn 9, 16). Le Christ n’a donc pas accompli la loi, et la loi nouvelle, qu’il a instaurée, n’est pas venue accomplir l’ancienne. 4. On sait que la loi ancienne comportait des préceptes moraux, des préceptes cérémoniels et des préceptes judiciaires. S’il ressort de Mt (5) que le Seigneur a sur certains points accompli la loi, on n’y trouve d’allusion ni aux préceptes judiciaires ni aux préceptes cérémoniels. Il s’ensuit que la loi nouvelle ne réalise pas intégralement l’accomplissement de l’ancienne. En sens contraire, on se heurte à l’affirmation du Seigneur : “ Je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir... Pas un iota, pas un trait de la loi ne passera que tout ne soit arrivé ” (Mt 5,17-18). Réponse : On vient de voir que loi nouvelle et loi ancienne sont dans le rapport du parfait à l’imparfait; or ce qui est parfait réalise en plénitude ce qui manque à l’imparfait ; c’est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en tant qu’elle supplée à ce qui manquait à celle-ci. On peut d’ailleurs, dans la loi ancienne, considérer deux points : la fin qu’elle poursuivait, et les préceptes qu’elle contenait. Toute loi, avons-nous dit, a pour fin de rendre les hommes justes et vertueux ; aussi la fin de la loi ancienne était-elle la justification de l’homme. Or cette fin, la loi ne pouvait la réaliser, mais elle la figurait par certains actes cérémoniels, et elle la promettait par ses paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en justifiant l’homme par la vertu de la passion du Christ : “ Ce que la loi ne pouvait faire, écrit S. Paul, Dieu l’a fait : en envoyant son Fils dans une chair semblable à la chair du péché, il a condamné le péché dans la chair, pour que fût complète en nous la justice de la loi ” (Rm 8,3-4). A ce titre, la loi nouvelle procure ce que la loi ancienne promettait : “ Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur oui en lui ” (2 Co 1,20) ; en lui, c’est-à-dire dans le Christ. - Et à ce titre encore, elle réalise ce que la loi ancienne figurait. Ainsi, selon l’Apôtre, les cérémonies étaient “ l’ombre des choses à venir, mais le corps (entendez la réalité) appartient au Christ ” (Col 2,17). C’est pourquoi on désigne la loi nouvelle comme étant celle de la réalité, tandis que la loi ancienne est celle de l’ombre ou de la figure. Mais le Christ a porté aussi à leur plein accomplissement les préceptes de la loi ancienne, tant par ses actes que par ses enseignements. Par ses actes, en acceptant de se faire circoncire et d’observer toutes les prescriptions légales qui s’imposaient alors, car il était “ né sous la loi ” (Ga 4,4). - Par ses enseignements il a apporté un triple perfectionnement aux pr ère le vrai sens de la loi, comme on le constate à propos de la prohibition de l’homicide et de l’adultère, où les scribes et les pharisiens ne voyaient que l’interdiction des actes extérieurs; mais le Seigneur, menant la loi à sa perfection, a déclaré que ses prohibitions s’étendaient jusqu’aux péchés intérieurs. - En second lieu, le Seigneur a perfectionné les préceptes légaux par des dispositions propres à mieux assurer l’observation des anciennes prescriptions légales. Ainsi la loi ancienne avait établi l’interdiction du parjure, ce qu’on est plus sûr d’observer si l’on s’abstient généralement de jurer, sauf le cas de nécessité (Mt 5,33). - Enfin le Seigneur a perfectionné les préceptes de la loi en leur adjoignant certains conseils de perfection, comme il ressort de cet épisode où, entendant quelqu’un déclarer qu’il avait pratiqué les commandements de la loi ancienne, le Seigneur lui dit : “ Tu n’as plus qu’une chose à faire. Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, etc. ” (Mt 19, 21). Solutions : 1. Si la loi nouvelle exclut l’observation de la loi ancienne, c’est seulement, nous l’avons dit, en matière de cérémonies. Mais celles-ci se présentaient comme des figures de l’avenir. Aussi, une fois accomplis les préceptes cérémonials par la réalisation de ce qu’ils figuraient, il n’y a plus lieu de les observer; ou bien quelque chose serait signifié encore comme futur et non advenu. Ainsi la promesse d’un don à faire ne tient plus une fois qu’elle a trouvé son accomplissement dans la réalisation du don. Il en va de même pour les cérémonies de la loi qui sont abolies du moment qu’elles sont réalisées. 2. Selon S. Augustin, il n’y a aucune contradiction entre ces préceptes du Seigneur et ceux de la loi ancienne : “ Quand le Seigneur interdit le renvoi de la femme, il ne s’oppose pas aux dispositions de la loi. Car celle-ci ne dit pas que l’on peut à son gré renvoyer sa femme, et c’est à cela que s’opposerait l’interdiction du renvoi. Évidemment le législateur ne tenait pas à ce que le mari renvoyât sa femme, puisqu’il visait à retarder, à briser son élan précipité par l’exigence d’un acte écrit, et à le faire revenir sur son intention de divorce. ” “ Et ainsi, dit ailleurs S. Augustin, pour confirmer cette règle de ne pas renvoyer sa femme à la légère, seule l’exception de fornication a été admise par le Seigneur. ” Touchant la prohibition du serment, nous venons d’exposer une solution analogue. - Et il en va de même pour la prohibition du talion: cette loi fixait une borne à la vengeance afin qu’on ne s’y livrât pas avec excès; inconvénient que le Seigneur a encore plus parfaitement exclu par son avertissement de renoncer absolument à la vengeance. - Quant à la haine des ennemis, il a écarté l’interprétation erronée des pharisiens en nous avertissant de haïr non la personne, mais le péché. - Reste la distinction des aliments : le Seigneur, sans abroger dès lors cette observance cérémonielle, montra que nul aliment n’était impur par sa nature, mais seulement à cause de ce qu’il figurait, nous l’avons dit plus haut. 3. Le contact des lépreux était légalement prohibé parce que, comme le contact des cadavres, il faisait encourir une souillure par manière d’irrégularité, nous l’avons dit. Mais le Seigneur, qui purifiait le lépreux ne pouvait encourir cette impureté. - Il n’a pas non plus réellement violé le sabbat par les actes qu’il a accomplis ce jour-là, et il en fournit lui-même dans l’Évangile plusieurs raisons : d’abord, s’il opérait des miracles, c’était par la vertu divine qui est toujours à l’œuvre (Jn 5, 17); et puis, il agissait pour sauver les hommes, alors que les pharisiens, eux, le jour du sabbat, faisaient le nécessaire pour sauver même les bêtes (Mt 12,11) ; enfin, quand les disciples arrachèrent des épis le jour du sabbat, il a invoqué à leur excuse la nécessité (v. 3). Mais on pouvait parler de violation, selon l’interprétation abusive des pharisiens, qui estimaient qu’on devait, le jour du sabbat, s’abstenir même des activités de sauvetage, contrairement à l’intention de la loi. 4. Le texte de Mt (5) omet les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur réalisation (au sens qu’on vient d’expliquer, sol. 1) implique qu’on cesse absolument de les observer. - Parmi les préceptes judiciaires, le Seigneur a fait mention du talion, ce qu’il en dit devant s’appliquer à tous les autres. Or il enseigne à ce propos que l’intention de la loi n’est pas qu’on requière l’application de cette peine pour assouvir un désir de vengeance. En effet, lui-même exclut pareil désir lorsqu’il avertit que l’on doit être disposé à subir encore un surcroît d’injustice, mais uniquement par amour pour la justice ; or cela subsiste toujours dans la loi nouvelle. Article 3 La loi nouvelle est-elle contenue dans l’ancienne ? Objections : 1. La loi nouvelle consiste avant tout dans la foi, si bien que S. Paul l’appelle “ la loi de la foi ” (Rm 3,27), et elle nous invite à croire bien des choses qui ne figurent pas dans la loi ancienne. C’est donc qu’elle n’est pas contenue dans celle-ci. 2. Il existe sur ce passage : “ Celui qui aura enfreint l’un de ces plus petits commandements ” (Mt 5,19) une glose de S. Augustin qualifiant de plus petits, les préceptes de la loi, et de plus grands ceux de l’Évangile. Le plus grand ne pouvant être contenu dans le plus petit, la loi nouvelle ne peut être contenue dans l’ancienne. 3. Qui possède le contenant possède le contenu. Si la loi nouvelle était contenue dans l’ancienne, le don de celle-ci impliquerait le don de celle-là et par conséquent, une fois reçue la loi ancienne, il eût été inutile de recevoir encore la loi nouvelle. Donc celle-ci n’est pas contenue dans celle-là. En sens contraire, S. Grégoire interprétant le verset d’Ézéchiel (1,16) : “ La roue était dans la roue ”, en donne cette explication : “ Le Nouveau Testament était dans l’Ancien. ” Réponse : Une chose peut être contenue dans une autre de façon actuelle, comme un objet dans le lieu où il est placé; ou de façon virtuelle, comme l’effet est contenu dans la cause ou l’œuvre achevée dans son ébauche ; en ce dernier sens, le genre contient en puissance les espèces, et l’arbre tout entier est contenu dans la graine. Et c’est ainsi que la loi nouvelle est contenue dans l’ancienne, puisque nous avons dit qu’elle est, par rapport à celle-ci, comme le parfait est à l’imparfait. On attribue à S. jean Chrysostome, à propos de ce verset évangélique : “ De son propre mouvement la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, puis du grain plein l’épi ” (Mc 4,28), une glose ainsi conçue : “ L’herbe est produite d’abord, dans la loi naturelle . puis vient l’épi, dans la loi de Moïse ; et enfin le grain solide dans l’évangile. ” Ainsi donc, la loi nouvelle est dans l’ancienne comme le grain est dans l’épi. Solutions : 1. Tout ce que le Nouveau Testament propose à notre croyance d’une manière explicite et manifeste se trouve dans l’Ancien sous l’enveloppe de figures. Ainsi, de même que pour les vérités à croire, la loi nouvelle est contenue dans l’ancienne. 2. Nous disons que les préceptes de la loi nouvelle sont plus grands que ceux de la loi ancienne, du fait qu’ils sont clairement explicités. Mais les préceptes du Nouveau Testament sont tous présents en substance dans l’Ancien. S. Augustin en fait la remarque : “ A peu près tous les avertissements ou commandements que fit le Seigneur sous cette clause : "Et mois je vous dis" se retrouvent dans les livres anciens. ” “ Mais, puisqu’on ne considérait comme homicide que la destruction d’un corps humain, le Seigneur fit voir que toute injustice tendant à léser un frère se ramène à une sorte d’homicide. ” Compte tenu de ces développements, on admet que les préceptes de la loi nouvelle dépassent ceux de la loi ancienne. D’ailleurs rien n’empêche que le plus grand soit contenu virtuellement dans le plus petit, comme l’arbre dans la graine. 3. Ce qui a été reçu implicitement demande à être explicité. C’est pourquoi, après l’institution de la loi ancienne, il fallut encore donner la loi nouvelle. Article 4 Laquelle est la plus pesante : la loi nouvelle ou la loi ancienne ? Objections : 1. S. Jean Chrysostome dit, à propos des “ moindres commandements ” mentionnés par S. Matthieu (5,19): “ Les commandements de Moïse sont d’exécution facile : "Tu ne tueras point, tu ne commettras pas d’adultère." Mais les commandements du Christ : "Ne te mets pas en colère, ne convoite pas", sont difficiles à observer. ” Le fardeau de la loi nouvelle est donc plus lourd que celui de la loi ancienne. 2. Il est plus facile de jouir des prospérités terrestres que de supporter le malheur. Or sous l’ancienne alliance l’observation de la loi avait pour conséquence la prospérité temporelle (Dt 28,1-14). Au contraire, ceux qui observent la loi nouvelle subissent mille adversités, selon S. Paul (2 Co 6,4) : “ Nous nous présentons comme serviteurs de Dieu, dans une grande patience, dans les épreuves, les nécessités, les angoisses, etc. ” La loi nouvelle est donc plus pénible que l’ancienne. 3. Quand on ajoute à un fardeau, il est évidemment plus lourd. Or la loi nouvelle ajoute à l’ancienne: à l’interdiction du parjure, elle ajoute celle du serment ; la loi ancienne prohibait la répudiation de la femme à moins d’un acte écrit, la loi nouvelle dans tous les cas. C’est du moins ainsi que S. Augustin comprend le texte de Matthieu (5,31). La loi nouvelle est donc plus pesante que l’ancienne. En sens contraire, il y a cette parole de Jésus “ Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui peinez sous le fardeau ” (Mt 11,23), commentée en ces termes par S. Hilaire : “ Le Christ appelle à lui ceux qui sont fatigués par la difficulté de la loi et qui portent le fardeau des péchés du monde. ” Et la suite concerne le joug de l’Évangile : “ Car mon joug est doux et mon fardeau léger ” (Mt 11,30). La loi nouvelle est donc plus légère que l’ancienne. Réponse : Dans les œuvres vertueuses qui font l’objet des préceptes de la loi, on peut rencontrer une double difficulté. Il y a la difficulté inhérente aux actes extérieurs qui par eux-mêmes ont quelque chose d’ardu et de pénible. A cet égard la loi ancienne est bien plus pesante que la nouvelle, car dans la multiplicité de ses rites elle obligeait à beaucoup plus d’actes extérieurs que la loi nouvelle. Celle-ci, telle que le Christ et les Apôtres l’ont enseignée, n’a presque rien ajouté, en fait de préceptes, à ceux de la loi naturelle. Il est vrai qu’ultérieurement survinrent quelques préceptes d’institution ecclésiastique; mais pour ceux-ci S. Augustin recommande également la modération, de peur que la vie des fidèles en devienne pénible. A l’une des questions de Januarius, il répond ainsi : “ Alors que la miséricorde de Dieu a voulu que notre religion fût libre, se contentant de célébrer un petit nombre de mystères qu’il est tout à fait impossible d’ignorer, il y a des gens qui l’accablent de fardeaux asservissants, au point qu’on jugera la condition des Juifs plus supportables, vu qu’ils se soumettent, eux, aux rites de la loi, et non aux surenchères des hommes. ” Mais les actes intérieurs, quand il s’agit d’activité vertueuse, offrent une autre sorte de difficulté : par exemple, celle de réaliser l’œuvre vertueuse avec promptitude et plaisir. En cela réside la difficulté de la vertu : ce qui est très difficile à qui ne possède pas la vertu, devient cependant facile grâce à elle. Or, à cet égard, la loi nouvelle, qui condamne les désordres intérieurs de l’âme, est plus exigeante en ses préceptes que la loi ancienne ; celle-ci ne les interdisait pas expressément en tous les cas ; et si parfois elle le faisait, l’interdiction n’était pas assortie d’une sanction pénale. Mais cette difficulté extrême concerne celui qui ne possède pas la vertu: “ Faire les actes que fait le juste, pour Aristote, est chose aisée ; mais les faire de la même manière que le juste, c’est-à-dire avec plaisir et promptitude, c’est difficile pour qui ne possède pas la justice. ” Il est écrit encore : “ Ses commandements ne sont pas difficiles ” (1 Jn 5, 3), sur quoi S. Augustin remarque : “ Pas difficiles si l’on aime, mais difficiles si l’on n’aime pas. ” Solutions : 1. Le texte allégué montre clairement où réside la difficulté de la loi nouvelle: c’est qu’elle réprime sans équivoque les dérèglements intérieurs. 2. Les adversités dont pâtissent ceux qui observent la loi nouvelle ne sont pas infligées par la loi elle-même. Au surplus elles sont légères à porter, grâce à l’amour en quoi précisément cette loi consiste ; S. Augustin le dit : “ Il n’est rien de dur et de rigoureux que l’amour ne rende aisé et comme négligeable. ” 3. Dans l’esprit de S. Augustin, ces additions faites aux préceptes de la loi ancienne étaient destinées à rendre les prescriptions de cette loi plus faciles à observer. Elles ne prouvent donc pas que la loi nouvelle serait plus pesante, mais plutôt qu’elle est plus facile. |