Question 99 LE CLASSEMENT DES PRÉCEPTES DE LA LOI ANCIENNE Dans cette étude des préceptes de la loi ancienne, il faut d’abord établir un classement (Q. 99), puis examiner chaque catégorie de préceptes en particulier (Q. 100-105). 1. Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes, ou un seul ? - 2. Contient-elle des préceptes moraux ? - 3. Des préceptes cérémoniels ? - 4. Et des préceptes judiciaires ? - 5. Outre ces trois catégories de préceptes, en contient-elle d’autres ? - 6. Comment invitait-elle à observer ces préceptes ? Article 1 Y a-t-il dans la loi ancienne plusieurs préceptes ou un seul ? Objections : 1. Une loi n’est pas autre chose qu’un précepte, on l’a vu. Puisqu’il n’y a qu’une seule loi ancienne, elle ne contient qu’un seul précepte. 2. “ Tout précepte quel qu’il soit, dit l’Apôtre, revient à ce commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ” (Rm 13, 9). C’est là un commandement unique. Donc la loi ancienne ne contient qu’un seul commandement. 3. On lit aussi en S. Matthieu (7, 12) : “ Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le vous-mêmes pour eux; c’est la loi et les prophètes. ” La loi ancienne, qui est toute contenue dans la loi et les prophètes, se réduit donc à un seul précepte. En sens contraire, l’Apôtre parle de Notre Seigneur “ abolissant la loi des commandements par ses ordonnances ” (Ep 2,15). La Glose explique que ce passage vise la loi ancienne; celle-ci contient donc plus d’un commandement. Réponse : Le précepte légal, étant obligatoire, prescrit une chose à faire. Or, si une chose est à faire, cela tient à l’exigence d’une fin. Il est donc, on le voit, essentiel au précepte de se rapporter à une fin, de manière à prescrire ce qui est nécessaire ou avantageux à l’égard de cette fin. Mais, par rapport à une fin donnée, bien des choses peuvent se présenter comme nécessaires ou favorables. Ainsi, divers préceptes peuvent être portés en des matières diverses, considérées dans leur rapport à une fin unique. Concluons donc que tous les préceptes de l’ancienne loi ne font qu’un, à l’égard de leur fin unique, mais sont aussi nombreux et divers que sont les objets ordonnés à cette fin. Solutions : 1. Disons que la loi ancienne est une, comme relevant d’une fin unique ; elle n’en contient pas moins des préceptes divers, selon la distinction des objets qu’elle touche en vue de cette fin. De même, l’art de la construction tient son unité de sa fin, qui est la maison à construire; mais il comporte des prescriptions diverses à cause des opérations diverses qu’il combine à cet effet. 2. “ La fin du précepte, c’est la charité ” affirme S. Paul (1 Tm 1, 5). Toute loi, en effet, vise à fonder une amitié entre les hommes, ou entre l’homme et Dieu. C’est pourquoi ce commandement unique d’aimer le prochain comme soi-même, qui se présente comme la fin de tous les commandements, contient toute la loi en plénitude, car l’amour du prochain, si nous aimons le prochain pour Dieu, implique l’amour de Dieu. S. Paul ne mentionne donc ici que ce précepte qui tient lieu des deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, dont le Seigneur déclare que “ dépendent la loi et les prophètes ” (Mt 22, 40). 3. Aristote remarque que “ l’amitié qu’on a pour autrui vient de l’amitié qu’on a pour soi-même ”, du fait qu’on se comporte envers autrui comme envers soi-même. Le verset allégué de S. Matthieu donne donc sous forme explicite la règle de l’amour du prochain, fournie implicitement par l’autre formule : “ Tu aimeras ton prochain comme toi-même. ” Ce n’est donc qu’une explicitation de ce commandement. Article 2 La loi ancienne contient-elle des préceptes moraux ? Objections : 1. Les préceptes moraux regardent la loi naturelle. Les rattacher à la loi ancienne ce serait confondre les deux lois. 2. C’est au moment où la raison humaine ne suffit plus que la loi divine doit venir au secours de l’homme. On le voit en matière de foi, où la raison est dépassée. Mais les préceptes moraux sont à la mesure de la raison humaine ; ils ne relèvent donc pas de cette loi divine qu’est la loi ancienne. 3. Selon S. Paul, la loi ancienne est une “ lettre qui tue ” (2 Co 3, 6). Mais les préceptes moraux ne tuent pas, ils donnent la vie : “ Je n’oublierai jamais tes ordonnances car par elles tu me donnes la vie ” (Ps 119, 93). Les préceptes moraux n’appartiennent donc pas à la loi ancienne. En sens contraire, l’Ecclésiastique (17, 9) dit du Seigneur : “ Il leur communiqua sa discipline, il leur donna en héritage la loi de vie. ” Or, la discipline est affaire de mœurs si on la définit, avec la Glose (sur He 12, 11), “ l’éducation des mœurs par des chemins raboteux ”. La loi donnée par Dieu contenait donc des préceptes moraux. Réponse : Quand on lit dans l’Exode (20, 13. 15) : “ Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas de vol ”, on voit bien que la loi ancienne contenait des préceptes moraux. Et cela se comprend. Tandis que la loi humaine a principalement en vue l’établissement d’une amitié entre les hommes, la loi divine vise à fonder principalement une amitié entre l’homme et Dieu. Mais l’amour a toujours pour cause une ressemblance : “ Tout être vivant aime son semblable ”, dit l’Ecclésiastique (13, 19). Il ne peut donc y avoir d’amitié entre l’homme et Dieu, qui est souverainement bon, sans que les hommes soient rendus bons : “ Vous serez saints, parce que je suis saint ” (Lv 19, 2). Or, la bonté de l’homme, c’est la vertu “ qui rend bon celui qui la possède ”. Voilà pourquoi dans la loi ancienne il fallait aussi des préceptes relatifs aux actes des vertus ; ce sont les préceptes moraux de cette loi. Solutions : 1. Sans lui être absolument étrangère, la loi ancienne se distingue de la loi naturelle en ce qu’elle lui ajoute quelque chose. Comme la grâce présuppose la nature, la loi divine présuppose nécessairement la loi naturelle. 2. Ce n’est pas seulement là où la raison est impuissante, c’est aussi là où la raison humaine rencontre de fait un obstacle, que la loi divine devait prendre soin de l’humanité. En ce qui touche les préceptes moraux, la raison humaine ne pouvait se tromper sur les préceptes les plus généraux de la loi naturelle dans leur teneur universelle, bien que l’accoutumance au péché troublât son regard dans le détail de l’action. Sur les autres préceptes moraux qui dérivent, à la manière de conclusions, des principes généraux de la loi naturelle, beaucoup d’esprits tombaient dans l’erreur au point de considérer comme licite ce qui est essentiellement mauvais. Contre ces deux sortes de défaillances l’homme devait être secouru par la garantie de la loi divine. De même, parmi les objets proposés à notre foi, s’il y a des articles inaccessibles à la raison, comme la Trinité, il y en a d’autres auxquels la saine raison peut parvenir, comme l’unité de Dieu, de façon à prémunir la raison humaine contre une erreur où elle tombe fréquemment. 3. S. Augustin l’a montrée on peut dire que, même dans ses préceptes moraux, la lettre de la loi est meurtrière occasionnellement, en ce sens que, pour accomplir le bien qu’elle prescrit, elle ne fournit pas le secours de la grâce. Article 3 La loi ancienne contient-elle des préceptes cérémoniels ? Objections : 1. Toute loi qui s’adresse à des hommes entend diriger les actes humains. Or les actes humains sont ceux que nous avons appelés moraux. La loi ancienne, s’adressant à des hommes, devait donc contenir uniquement des préceptes moraux. 2. Les préceptes qu’on appelle cérémoniels doivent se rapporter au culte divin. Mais celui-ci est le fait d’une vertu, la vertu de religion, qui, selon Cicéron, “ offre à la divinité culte et cérémonies ”. Donc, puisque les actes des vertus relèvent des préceptes moraux comme on l’a dit, on ne peut en distinguer les préceptes cérémoniels. 3. On dira que les préceptes cérémoniels se distinguent par leur signification figurative. Néanmoins, selon S. Augustin “ ce sont les paroles qui possèdent principalement, dans la société humaine, le pouvoir de signifier ”. La présence de préceptes cérémoniels portant sur des gestes figuratifs ne s’imposait donc pas dans la loi ancienne. En sens contraire, on lit au Deutéronome (4, 13) : “ Les dix paroles, il les a écrites sur deux tables de pierre, et alors il m’a chargé de vous enseigner les cérémonies et les ordonnances que vous devrez observer. ” Les dix paroles, ce sont les préceptes moraux. Outre ceux-là, il y en a donc d’autres : les préceptes cérémoniels. Réponse : Nous savons que la loi divine est instituée avant tout pour régler les rapports des hommes avec Dieu, alors que la loi humaine l’est d’abord pour régler les rapports des hommes entre eux. C’est donc dans la mesure où le bien de la communauté humaine y était intéressé que les lois humaines se sont attachées à l’organisation du culte divin; ainsi s’explique le fait, évident chez les païens, qu’elles ont pris quantité de dispositions en matière religieuse selon qu’elles le jugeaient avantageux pour le bien des mœurs. A l’inverse, la loi divine a réglé les rapports des hommes entre eux selon les exigences de sa visée principale, qui était d’aménager leurs rapports avec Dieu. Or l’homme n’entre pas en rapport avec Dieu par les seuls actes intérieurs de l’esprit : croire, espérer, aimer; il le fait aussi par des activités extérieures, par lesquelles il reconnaît qu’il est au service de Dieu. Ces œuvres-là, elles appartiennent au culte et on leur donne le nom de “ cérémonies ”. Ce mot viendrait de Cereris munia, dons de Cérès, la déesse de la terre, parce que c’étaient primitivement les fruits de la terre qu’on offrait à Dieu ; - à moins que, selon Valère Maxime, ce terme ne se soit introduit chez les Latins du fait qu’après la prise de Rome par les Gaulois, c’est dans une ville voisine, du nom de Céré, que les objets sacrés des Romains furent transportés et entourés de vénération. En tout cas, dans la loi, ce sont les préceptes relatifs au culte divin qui sont spécialement appelés cérémoniels. Solutions : 1. Le domaine des actes humains inclut aussi le culte de Dieu. Voilà pourquoi la loi ancienne, qui s’adressait à des hommes, connaît des préceptes de cette sorte. 2. Rappelons que les préceptes de la loi naturelle sont des préceptes généraux, et demandent à être déterminés. Ils le sont par la loi humaine ou par la loi divine. Les déterminations apportées par la loi humaine ne sont plus appelées de loi naturelle mais de droit positif; et celles qu’apporte la loi divine ne se confondent pas davantage avec les préceptes moraux de la loi naturelle. Rendre un culte à Dieu, c’est assurément un acte de vertu qui relève d’un précepte moral; mais les précisions ajoutées à ce précepte, comme honorer Dieu par telles victimes et telles offrandes, relèvent de préceptes cérémoniels. On voit ainsi q ue les deux domaines sont distincts. 3. Denys rappelle que le divin ne peut se manifester aux hommes que sous des similitudes sensibles. Cependant ces similitudes touchent l’âme davantage si, outre leur expression verbale, elles s’adressent aussi aux sens. C’est pourquoi dans l’Écriture les communications divines ne se transmettent pas seulement en similitudes formulées verbalement, telles que les discours métaphoniques, mais encore en représentations réelles qui frappent les yeux. Tel est le domaine des préceptes cérémoniels. Article 4 La loi ancienne contient-elle, en outre, des préceptes judiciaires ? Objections : 1. S. Augustin observait que “ dans la loi ancienne il y a des préceptes touchant la vie qu’il faut mener, et des préceptes concernant la vie qu’il faut signifier ”. Voilà, respectivement, les préceptes moraux et les préceptes cérémoniels. Il n’y a pas lieu, en conséquence, de leur adjoindre dans la loi d’autres préceptes, dits judiciaires. 2. Commentant le verset 102 du Psaume 119 “ je ne me suis pas écarté de tes jugements ”, la Glose explique : “ de ce que tu as établi comme règle de vie ”. Règle de vie, entendons préceptes moraux. Les préceptes judiciaires ne s’en distinguent donc pas. 3. Le jugement est un acte de la vertu de justice : “ Le jugement sera conforme à la justice ” (Ps 94, 15). Comme les actes de toutes les vertus, sans excepter ceux de la justice, relèvent des préceptes moraux, ceux-ci incluent donc les préceptes judiciaires qui n’en doivent pas être distingués. En sens contraire, nous lisons au Deutéronome (6, 1) : “ Voici les préceptes, les cérémonies et les jugements. ” Ici, les préceptes désignent par excellence les préceptes moraux. Il existe donc des préceptes judiciaires, en plus des préceptes moraux et cérémoniels. Réponse : Il appartient à la loi divine, répétons-le, de régler les rapports des hommes entre eux et à l’égard de Dieu. Cette double compétence, quant à son principe général, est du ressort de la loi naturelle et à cela correspondent les préceptes moraux. Mais quant à son double domaine, elle demande à être déterminée par la loi divine ou la loi humaine. En effet, les principes connus naturellement sont toujours généraux, tant dans l’ordre spéculatif que dans l’ordre pratique. Donc, de même que la détermination du précepte général de rendre un culte à Dieu est assurée par les préceptes cérémoniels, de même la détermination du précepte général d’observer la justice parmi les hommes est assurée par les préceptes judiciaires. Dès lors, nous pouvons distinguer trois catégories de préceptes dans la loi ancienne : les préceptes moraux, où s’expriment les exigences de la loi naturelle ; les préceptes cérémoniels, déterminations du culte divin ; les préceptes judiciaires, déterminations touchant la pratique de la justice parmi les hommes. C’est pourquoi S. Paul, après avoir dit : “ La loi est sainte ”, ajoute que “ le commandement est juste, bon et saint ” (Rm 7, 12). La justice vise les préceptes judiciaires; la sainteté évoque les préceptes cérémoniels, car est saint ce qui est consacré à Dieu; quant à la bonté, c’est-à-dire l’honnêteté, elle désigne les préceptes moraux. Solutions : 1. Les préceptes judiciaires, aussi bien que les préceptes moraux, intéressent la rectitude de la vie humaine ; les uns et les autres constituent donc ensemble le premier membre de la division augustinienne, les préceptes touchant “ la vie qu’il faut mener ”. 2. Le jugement est une mise en œuvre de la justice, ce qui suppose une application déterminée de la raison à des objets particuliers. Les préceptes judiciaires ont donc en commun avec les préceptes moraux qu’ils découlent de la raison, et avec les préceptes cérémoniels qu’ils sont des déterminations de principes généraux. Voilà pourquoi les textes désignent à la fois sous le nom de “ jugements ” tantôt les préceptes judiciaires et moraux, comme dans le Deutéronome (5, 1) : “ Écoute, Israël, les cérémonies et les jugements ”; tantôt les préceptes judiciaires et cérémoniels, comme au Lévitique (18, 4) : “ Vous accomplirez mes jugements et vous observerez mes préceptes. ” Par préceptes, ici, entendez préceptes moraux ; et par jugements, les préceptes cérémoniels et judiciaires. 3. Aux préceptes moraux appartient l’acte de justice en général ; aux préceptes judiciaires, la détermination spécifique de cet acte. Article 5 Outre ces trois catégories, la loi ancienne contient-elle encore d’autres préceptes ? Objections : 1. Aux préceptes judiciaires reviennent les rapports sociaux, pour y mettre en œuvre la justice; aux préceptes cérémoniels, le culte divin, acte de la vertu de religion. Mais il y a encore bien d’autres vertus : la tempérance, la force, la libéralité, et toutes celles qu’on trouve énumérées ailleurs. Quantité d’autres préceptes doivent donc prendre place dans la loi ancienne. 2. “ Aime le Seigneur ton Dieu (Dt 11, 1), et observe ses préceptes, ses cérémonies, ses jugements, ses commandements. ” Si, par préceptes, on entend les préceptes moraux, il reste une quatrième catégorie : les commandements. 3. Nous lisons encore (Dt 6, 17) : “ Garde les préceptes du Seigneur ton Dieu et les témoignages et les cérémonies que je t’ai prescrits. ” A la liste précédente, il faut donc ajouter les témoignages. 4. Enfin on lit dans le Psaume (119, 93) “ Jamais je n’oublierai tes justifications. ” Par quoi, nous dit la Glose, le psalmiste vise la loi. La loi ancienne comportait donc encore des “ justifications ”. En sens contraire, on lit dans le Deutéronome (6, 1) : “ Voici les préceptes, les cérémonies et les jugements que commande le Seigneur. ” Cette division qui figure tout au début de la loi semble exhaustive. Réponse : Il y a dans une loi des dispositions qui ont le caractère de préceptes, et des dispositions destinées à faire observer les préceptes. Les préceptes prescrivent la conduite à tenir. Pour engager l’homme à s’y conformer il y a deux sortes de considérations : d’une part l’autorité du législateur; d’autre part l’avantage qu’on trouve à les observer, soit qu’on se procure ainsi quelque bien, profit, agrément ou honneur, ou qu’on évite un mal opposé. Il fallait donc que la loi ancienne contint des formules mettant en relief l’autorité divine du législateur, comme par exemple (Dt 6, 4) : “ Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu ” ; ou bien, au début de la Genèse: “ Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. ” Voilà ce qu’on appelle des témoignages. - Il fallait aussi promettre certaines récompenses à qui observerait la loi, certains châtiments à qui la transgresserait. Nous en trouvons un exemple dans le Deutéronome (28, 1) : “ Si tu écoutes la voix du Seigneur ton Dieu, il t’élèvera plus haut que toutes les nations, etc. ” Ce sont là les justifications, car Dieu fait justice à ceux qu’il récompense ou punit. Pour ce qui est de la conduite à tenir, seul tombe sous le précepte ce qui est dû à un certain titre. Mais il faut distinguer un double dû : l’un réglé par la raison, l’autre par la détermination de la loi, c’est-à-dire, pour prendre les termes d’Aristote le droit moral et le droit légal. 1° Le dû moral à son tour est de deux sortes quand une conduite est prescrite par la raison, ce peut être à cause de sa nécessité, si l’ordre vertueux n’est pas réalisable autrement, ou à cause de son utilité en vue de mieux assurer cet ordre. Partant, certaines prescriptions ou interdictions morales sont à entendre strictement dans la loi, comme : Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas. Ce sont les préceptes proprement dits. Tandis que d’autres prescriptions ou interdictions ne s’imposent pas avec ce caractère de dû rigoureux, mais comme avantageuses. C’est ce qu’on peut appeler des commandements, à cause de leur valeur d’incitation et de recommandation. Par exemple, l’Exode (22, 26) recommande à qui a reçu un vêtement en gage, de le rendre avant le coucher du soleil. De telles dispositions faisaient dire à S. Jérôme que “ dans les préceptes brille la justice, et dans les commandements la charité ”. 2° Quant au dû que la loi détermine, dans le domaine humain il relève des préceptes judiciaires, dans le domaine religieux des préceptes cérémoniels. A moins que l’on ne convienne d’appeler témoignages les dispositions relatives aux peines et aux récompenses, où s’affirme la justice divine ; tandis que les préceptes de la loi dans leur ensemble recevraient le nom de justifications, comme réalisations de la justice légale. - On pourrait encore avancer une autre distinction entre préceptes et commandements, en nommant préceptes ce que Dieu a prescrit par lui-même, et commandements ce qui a été prescrit au nom de Dieu par ses mandataires ; la similitude des mots y invite. - En tout cas, il est clair que tous les préceptes de la loi sont compris dans les trois catégories de préceptes moraux, cérémoniels et judiciaires ; le reste se présente, non au titre de préceptes, mais comme un dispositif en vue de l’observation des préceptes. Solutions : 1. Parmi les vertus, seule la justice se fonde sur l’idée de dû. Aussi les préceptes moraux ne peuvent-ils être déterminés par une loi que dans la mesure où ils tiennent à la justice. Et la religion, au dire de Cicéron, est elle-même une partie de la justice. Il ne peut donc y avoir de droit légal en dehors des préceptes cérémoniels et judiciaires. 2. 3. 4. La solution des autres objections ressort clairement de ce qui précède. Article 6 Comment la loi ancienne invitait-elle à observer ces préceptes ? Objections : 1. Il semble qu’elle n’aurait pas dû le faire par des promesses et des menaces temporelles. En effet, l’intention de la loi divine n’est autre que de soumettre l’homme à Dieu par la crainte et l’amour. C’est ce que nous lisons au Deutéronome (10, 12) : “ Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, sinon que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies et que tu l’aimes ? ” Or la convoitise des biens temporels ne peut qu’éloigner de Dieu : “ Le venin qui tue la charité, c’est la convoitise ”, au jugement de S. Augustin. Promesses et menaces temporelles vont donc à l’encontre de l’intention du législateur, ce qui, selon Aristote, est une tare évidente pour une loi. 2. La loi divine est d’un rang plus élevé que la loi humaine. Or, dans les sciences, nous voyons que les sciences supérieures usent de moyens d’autant plus parfaits qu’elles sont plus parfaites. Du moment que la loi humaine use de menaces ou de promesses temporelles pour amener les hommes au bien, la loi divine ne pouvait rester à ce niveau, mais user de procédés plus nobles. 3. Ce qui échoit indifféremment aux bons et aux méchants ne peut ni récompenser la justice ni punir la faute. Or l’Ecclésiaste (9, 2) remarque à propos des biens et des maux temporels: “ Tout arrive également à tous, au juste et à l’impie, au bon et au méchant, à celui qui est pur et à celui qui ne l’est pas, à celui qui sacrifie et à celui qui méprise les sacrifices. ” La loi divine a donc eu tort de les introduire dans ses dispositions au titre de récompenses ou de châtiments. En sens contraire, Dieu dit aux Israélites “ Si vous voulez bien m’écouter vous mangerez les produits de la terre; mais si vous résistez, si vous provoquez ma colère, vous serez dévorés par le glaive ” (Is 1, 19). Réponse : Dans les sciences spéculatives, on est conduit à admettre les conclusions grâce aux moyens termes syllogistiques ; pareillement, quelque loi que l’on considère, c’est par des récompenses et des peines que les sujets sont amenés à en obsever les préceptes. Nous voyons aussi que dans les sciences spéculatives il faut présenter les moyens termes au disciple en tenant compte de son niveau actuel ; de là vient qu’il faut, dans les sciences, procéder méthodiquement pour que l’enseignement débute en partant de ce qui est plus connu. De même, si l’on veut amener quelqu’un à observer des préceptes, on doit mettre en avant les motifs auxquels il est sensible ; c’est ainsi qu’on offre à des enfants, pour les inciter à agir, telles récompenses proportionnées à leur âge. Or nous savons que la loi ancienne était une disposition préparatoire au Christ, comme l’imparfait à l’égard du parfait. Le peuple à qui elle s’adressait était encore imparfait, en comparaison de la perfection qu’allait réaliser le Christ, ce qui permet à S. Paul de comparer ce peuple à un enfant placé sous la férule d’un pédagogue (Gal 3, 24). Si la perfection pour l’homme consiste à mépriser les biens temporels pour s’attacher aux biens spirituels, selon l’enseignement de S. Paul : “ J’oublie ce qui est derrière moi, je me porte vers ce qui est en avant... Nous tous les parfaits, ayons ces mêmes sentiments ” (Ph 3, 13-15), en revanche les imparfaits désirent les biens temporels, sans perdre Dieu de vue toutefois, tandis que les méchants s’y arrêtent comme à leur fin. La loi ancienne était donc bien dans son rôle en conduisant à Dieu des sujets imparfaits par les motifs temporels capables de les toucher. Solutions : 1. Le venin mortel pour la charité, c’est la convoitise qui pousse l’homme à placer sa fin dans les biens temporels. Mais obtenir les biens temporels que les imparfaits désirent en vue de Dieu, cela les achemine vers l’amour de Dieu. Entendons en ce sens la parole du Psaume (49, 10): “ Il te louera pour les biens dont tu l’auras comblé. ” 2. Les peines et récompenses, sanctions de la loi humaine, sont administrées par des hommes ; la loi divine, elle, prévoit des peines et des récompenses qui doivent être appliquées par Dieu. Ainsi la loi divine conserve-t-elle la supériorité des moyens. 3. A lire l’histoire de l’ancienne alliance on constate que sous la loi la situation générale du peuple était toujours prospère tant que la loi était observée ; mais à peine s’écartaient-ils des préceptes de la loi qu’une foule de calamités fondaient sur eux. Toutefois, en certains cas, des particuliers qui observaient la justice de la loi subissaient certaines épreuves ; c’est que, déjà spiritualisés, ils ne s’en détachaient que mieux des sollicitudes temporelles et voyaient leur vertu ainsi confirmée; à moins qu’il ne s’agisse, sous l’écorce des œuvres de la loi parfaitement observées, de ces cœurs tout entiers attachés au temporel et éloignés de Dieu. Ce sont ces derniers que condamne Isaïe (29, 13) : “ Ce peuple m’honore en paroles, mais son cœur reste loin de moi. ” |