Question 95 LA DIVINATION 1. La divination est-elle un péché ? - 2. Est-elle une espèce de la superstition ? - 3. Ses espèces. - 4. La divination démoniaque. - 5. La divination par les astres. - 6. La divination par les songes. - 7. La divination par les augures et autres observations analogues. - 8. La divination par les sorts. Article 1 La divination est-elle un péché ? Objections : 1. Il semble que non. Le mot “ divination ” vient de “ divin ”. Mais le divin se rattache davantage à la sainteté qu’au péché. La divination n’est donc pas un péché. 2. S. Augustin écrit : “ Qui oserait dire que l’instruction soit un mal ? ” Et il ajoute : “ je ne dirai jamais qu’il peut être mauvais de comprendre quelque chose. ” Or, il existe un “ art de la divination ”, selon Aristote, et la divination apporte semble-t-il une certaine intelligence de la vérité. 3. Une inclination naturelle ne nous porte jamais au mal, car la nature ne tend qu’à ce qui lui ressemble. Or, les hommes sont naturellement aisance de l’avenir. La divination n’est donc pas un péché. En sens contraire, il est écrit dans le Deutéronome (18, 11) : “ Que personne ne consulte les oracles ni les devins. ” Et nous lisons dans les Décrets : “ Ceux qui font appel à la divination subiront la peine de cinq. ans, suivant les degrés de pénitence établis par les canons. ” Réponse : On entend par divination une prédiction de l’avenir. Or, les événements futurs peuvent être connus de deux façons : dans leurs causes et en eux-mêmes. Or leurs causes sont de trois sortes. 1° Les unes produisent leurs effets nécessairement et toujours. Ceux-ci peuvent alors être prévus et prédits avec certitude grâce à l’examen de leurs causes. Ainsi les astronomes annoncent les éclipses futures. 2° Mais il y a des causes qui ne produisent pas leurs effets de façon nécessaire et constante, mais seulement la plupart du temps, tout en étant rarement en défaut. On peut alors par leur moyen prévoir ce qui arrivera, non point avec certitude, mais seulement par conjecture. Ainsi les astronomes peuvent en observant les étoiles connaître et annoncer d’avance la pluie ou la sécheresse, et les médecins prévoir la guérison ou la mort. 3° Il y a enfin des causes qui, à les regarder en elles-mêmes, sont indifférentes à tel ou tel effet. C’est surtout le cas des puissances rationnelles qui, selon Aristote peuvent se porter à des objets contraires. Les effets de ce genre, et aussi ceux qui ne proviennent des causes naturelles que rarement et par hasard, ne peuvent être prévus par l’examen de leurs causes; car elles n’ont pas d’inclination fixe qui les y détermine. On ne peut connaître à l’avance de tels résultats, à moins de les voir en eux-mêmes ; ce qui, pour un homme, exige que l’événement soit présent : ainsi voit-on Socrate courir ou marcher. Considérer l’événement en sa réalité même avant qu’il ne s’accomplisse n’appartient qu’à Dieu; seul, il voit dans son éternité les choses futures comme présentes, ainsi que nous l’avons enseigné dans la première Partie. Ce qui fait dire à Isaie (41, 23) : “ Annoncez ce qui arrivera dans l’avenir et nous saurons que vous êtes des dieux. ” Donc, si quelqu’un se fait fort de prévoir ou de prédire par quelque moyen ce genre d’événements, à moins d’une révélation de Dieu, il usurpe manifestement ce qui appartient à Dieu. C’est de là que vient le nom de devin, d’après S. Isidore : “ On les appelle devins (divine), écrit-il, comme s’ils étaient pleins de Dieu (Deo pleni); car ils feignent d’être remplis de la divinité, et par une ruse frauduleuse prédisent l’avenir aux humains. ” On ne parlera donc pas de divination lorsque quelqu’un prédit des choses qui arrivent nécessairement ou le plus souvent, et dont la prévision est accessible à la raison humaine. Pas davantage dans le cas d’une connaissance des futurs contingents reçue par révélation divine. Car alors on ne fait pas acte de divination, c’est-à-dire acte divin : il est plus exact de dire qu’on reçoit ce qui est divin. On ne fait acte de divination que lorsqu’on s’arroge indûment la prédiction d’événements futurs. Or il est clair que cela est un péché. La divination est donc toujours un péché. C’est pourquoi S. Jérôme dit que ce mot est toujours pris en mauvaise part. Solutions : 1. On n’entend point par divination la participation normale à une perfection divine, mais l’usurpation indue des droits de Dieu, on vient de le dire. 2. Il y a des méthodes pour prévoir les événements qui se produisent nécessairement ou le plus couramment, mais ce n’est pas de la divination. Pour les autres événements futurs, il n’y a pas d’art véritable ni de méthodes, mais des procédés vains et trompeurs, dus aux démons qui ni veulent se jouer des hommes, dit S. Augustin. 3. L’homme est porté par inclination naturelle à connaître l’avenir conformément à ses propres moyens, mais non selon un mode illégitime de divination. Article 2 La divination est-elle une espèce de la superstition ? Objections : 1. Il semble que non. Car une même espèce ne peut appartenir à deux genres différents. Or la divination paraît bien être, selon S. Augustin, une espèce de la curiosité. Elle n’est donc pas une espèce de la superstition. 2. La religion, c’est le culte tel qu’on doit l’accomplir ; la superstition c’est le culte indûment rendu. Mais la divination n’a pas rapport à cela, et n’est donc pas une forme de la superstition. 3. La superstition est l’opposé de la religion. Or, dans la vraie religion vous ne trouvez rien qui corresponde, à titre de contraire, à la divination. Celle-ci n’est donc pas une espèce de la superstition. En sens contraire “ Il y a dans la prescience, dit Origène, une certaine opération des démons; ceux qui se sont livrés à eux l’ont enfermée dans leurs arts, et la mettent en œuvre soit par les sorts, les augures ou l’examen des ombres. Je ne doute point que tout cela ne se fasse par l’opération des démons. ” Or, selon S. Augustin tout ce qui provient de rapports entre les hommes et les démons est superstitieux. La divination est donc une espèce de la superstition. Réponse : On entend par superstition, avons-nous dit. un culte divin contraire à la règle. Or une chose peut appartenir de deux manières au culte de Dieu. Premièrement sous forme d’oblation : sacrifice, offrandes, etc. Deuxièmement sous forme de recours au divin : le serment par exemple, nous l’avons vu. Il y aura donc superstition non seulement lorsqu’on offre un sacrifice aux démons par idolâtrie, mais aussi lorsqu’on recourt à leur aide pour faire ou connaître quelque chose. Or, toute divination procède de l’opération des démons, soit qu’on les ait expressément invoqués pour qu’ils révèlent l’avenir, soit qu’ils s’ingèrent eux-mêmes dans les vaines recherches qu’on en fait, pour enlacer les esprits dans cette vanité dont il est dit dans le Psaume (40, 5) : “ Heureux l’homme qui n’a pas regardé la vanité et les folies décevantes! ” La divination est donc manifestement une espèce de la superstition. Solutions : 1. Il y a en effet de la curiosité dans la divination ; elle est dans la fin qu’on poursuit : la connaissance anticipée de l’avenir. Mais si l’on regarde la manière d’agir, on rattachera la divination à la superstition. 2. Une telle divination se rattache au culte des démons en tant qu’on fait avec eux un pacte tacite ou exprès. 3. La loi nouvelle détourne l’esprit humain des soucis temporels. C’est pourquoi elle ne détermine aucune pratique à laquelle on puisse recourir pour connaître d’avance les événements futurs. La loi ancienne, qui renfermait des promesses temporelles, comportait des consultations sur l’avenir, à caractère religieux. Ainsi lisons-nous dans Isaïe : “ Et quand on vous dira : "Interrogez les magiciens et les devins qui murmurent dans leurs incantations " - Est-ce que ( c’est la réponse qu’il dit de faire), ce n’est pas près de son Dieu que le peuple va chercher la vision, pour les vivants et pour les morts? ” Il y eut cependant dans le Nouveau Testament des prophètes inspirés qui firent de nombreuses prédictions. Article 3 Les espèces de la divination Objections : 1. Il semble qu’il n’y ait pas lieu de distinguer plusieurs espèces de divination. Car là où la raison de péché est unique, il n’y a pas plusieurs espèces. Or, toute divination a une seule raison de péché, du fait qu’on use pour connaître l’avenir de pacte avec les démons. On ne peut donc distinguer plusieurs espèces de divinations. 2. L’acte humain est spécifié par sa fin, on l’a dit. Or, la divination a toujours une fin unique : l’Annonce de l’avenir. Il n’y en a donc qu’une espèce. 3. Les signes qu’on emploie ne peuvent changer l’espèce du péché; que l’on nuise à la réputation de quelqu’un par paroles, par écrit ou par gestes, c’est tout un. Les formes variées de divination ne diffèrent, semble-t-il, que par la diversité des signes d’où l’on tire la connaissance de l’avenir. Il n’y donc pas diversité d’espèces. En sens contraire, S. Isidore énumère les différentes espèces de divination. Réponse : Toute divination, nous l’avons dit, use pour connaître l’avenir du conseil ou de l’aide des démons. Leur secours est parfois expressément requis. Mais indépendamment de toute demande, le démon peut intervenir secrètement pour annoncer des événements futurs ignorés des humains, et connus de lui. Sur les moyens qu’il en a, voir ce que nous avons dit dans la première Partie. Lorsqu’ils répondent à un appel exprès, les démons ont bien des manières d’annoncer l’avenir. Parfois ils se présentent eux-mêmes, sous des formes trompeuses, à la vue des humains et font entendre leurs prédictions. C’est ce qu’on appelle le prestige, parce qu’en ce cas les yeux des hommes sont comme éblouis. D’autres fois ils usent de songes, et c’est alors la divination par les songes. Ou bien ils font apparaître et parler des morts. C’est la nécromancie, dont Isidore explique ainsi le nom : “ En grec nekros signifie mort, et mantia, divination; car après certaines incantations, où intervient le sang, on voit se lever des morts qui prédisent l’avenir et répondent aux questions. ” Les démons annoncent encore les événements futurs par le truchement d’hommes vivants, comme on le voit chez les possédés. Cette espèce de divination est celle des pythonisses, “ ainsi nommées, dit Isidore à cause d’Apollon Pythien, qui passait pour l’auteur des oracles ”. Autre procédé encore : des dessins ou des signes apparaissent sur des êtres inanimés. S’il s’agit d’un corps composé d’éléments terrestres, bois, fer, pierre taillée, c’est la géomancie ; si c’est dans l’eau c’est l’hydromancie; dans le feu, la pyromancie; dans les entrailles d’animaux sacrifiés sur les autels des démons, l’haruspice. La divination qui ne comporte pas d’invocation explicite des démons se divise en deux genres. Dans le premier on examine les dispositions de certaines choses, pour en tirer des prévisions. A l’examen de la position et du mouvement des astres, s’adonnent les astrologues, nommés aussi généthliaques parce qu’ils étudient le jour de la naissance. - Les observations portant sur les mouvements et les cris des oiseaux, ou d’un animal quelconque, ou encore sur les éternuements des hommes ou les tressaillements de leurs membres, portent le nom générique d’augure. Ce mot vient de avium garritus, gazouillement des oiseaux, comme auspice vient d’avium inspection inspection des oiseaux ; ces deux procédés, dont l’un se rapporte à l’ouïe et le second à la vue, s’appliquent en effet principalement aux oiseaux. Les remarques faites sur des paroles, prononcées par des hommes dans une tout autre intention, pour les faire tourner à la prévision de l’avenir, donnent lieu au présage : “ L’observation des présages, dit Valère Maxime, a des liens avec la religion. Car on croit que ce n’est pas le hasard, mais la providence divine qui règle l’événement. C’est ainsi que, tandis que les Romains délibéraient s’ils iraient ailleurs, un centurion s’écria, d’une manière toute fortuite : " Porte-enseigne, plante là ton drapeau, nous resterons très bien ici ! " Ce cri fut reçu par ceux qui l’entendirent comme un présage, et ils abandonnèrent le dessein de partir. ” - Nous trouvons encore une autre espèce de divination, dans l’examen des figures qu’on voit en certains corps ; ainsi la chiromancie est l’étude des lignes de la main, du grec chiros, main ; la spatulomancie, l’étude des dessins qu’on voit sur les omoplates (spatula) de certains animaux. Le second genre de divination, sans invocation expresse des démons, consiste à examiner le résultat de certains actes attentivement pratiqués par celui qui désire connaître quelque secret. Par exemple on trace des lignes en prolongeant des points (ce qui se rattache à la géomancie), ou bien on examine les dessins formés par du plomb fondu jeté dans l’eau. Ou encore on dépose dans un récipient qui les cache, des papiers, écrits ou non, et l’on observe qui tirera tel ou tel; on use aussi de fétus inégaux que l’on présente pour voir qui prendra la plus longue ou la plus courte paille; on jette les dés pour voir qui aura le plus grand nombre de points; on lit un passage d’un livre qu’on ouvre au hasard. Tout cela porte le nom de sorts. Il y a donc, au total, trois genres de divination : 1° Divination par appel manifeste aux démons; c’est le fait des nécromanciens; - 2° Par simple considération de la position ou du mouvement d’une chose étrangère ; c’est le fait des augures. 3° Par mise en œuvre de certaines pratiques que l’on accomplit en vue de découvrir ce qui est caché : se sont les sorts. Chacun de ces genres se divise lui-même en espèces nombreuses, comme il ressort de cet exposé. Solutions : 1. Dans toutes les formes de divination qu’on vient d’examiner, la raison de péché est la même en ce qu’il a de général, mais non quant à son espèce. Il est en effet beaucoup plus grave d’invoquer les démons que de faire des choses qui prêtent à leur intervention. 2. La connaissance des choses futures ou cachées caractérise la divination de façon générique, à titre de fin ultime. La division en espèces se prend de l’objet ou de la matière propres à chaque mode de divination, c’est-à-dire de la diversité des choses où l’on prétend chercher cette connaissance. 3. Les signes auxquels s’applique le devin ne sont pas comme pour le diffamateur un moyen d’exprimer sa pensée, mais le principe d’une connaissance. Or, à diversité de principes, diversité d’espèces; c’est une loi manifeste, même dans les sciences de démonstration. Article 4 La divination démoniaque Objections : 1. Il semble qu’elle ne soit pas illicite, car le Christ n’a rien fait d’illicite selon la première épître de S. Pierre (2, 22) : “ Il n’a pas commis de faute. ” Or notre Seigneur a interrogé le démon (Mc 5, 9) : “ Quel est ton nom ? ” A quoi le démon répondit : “ Légion, car nous sommes une foule 1 ” On peut donc interroger les démons pour savoir ce qui nous est caché. 2. Les âmes des saints ne peuvent favoriser les questions illicites. Or, Saül, interrogeant une pythonisse sur l’issue d’une guerre future, vit lui apparaître Samuel, qui lui prédit ce qui allait arriver (1 S, 28, 8). La divination qui fait appel aux démons n’est donc pas illicite. 3. Il semble permis de demander, à celui qui la sait, la vérité qu’il est utile de connaître. Or, il peut être utile de savoir des secrets, qu’on peut apprendre des démons, s’il s’agit de découvrir un vol, par exemple. On peut donc user de cette sorte de divination. En sens contraire, nous lisons dans le Deutéronome (18, 10) : “ Qu’on ne trouve parmi vous personne qui interroge les devins ou consulte les pythonisses. ” Réponse : Toute divination faisant appel au démon est illicite pour deux motifs. Premier motif : le principe même de la divination. C’est en effet conclure un pacte avec le démon que l’invoquer. Et cela est tout à fait défendu. Tel est le reproche d’Isaïe (28, 15) : “ Vous avez dit : nous avons fait alliance avec la mort, et conclu un pacte avec l’enfer. ” Ce serait plus grave encore si l’on offrait un sacrifice au démon qu’on invoque, ou si des marques d’honneur lui étaient rendues. Second motif : les conséquences. Car le démon, qui veut la perte des hommes, même s’il dit vrai quelquefois, veut par ses réponses les accoutumer à le croire ; il veut ainsi les amener à mettre en danger leur salut. Sur ce texte de S. Luc (4, 35) : “ Il le réprimanda et lui dit : Tais-toi ! ” S. Athanase commente : “ Bien que le démon confessât la vérité, le Christ lui fermait la bouche pour qu’il ne répandît pas sa perversion en la mêlant à la vérité. Il voulait nous accoutumer aussi à ne pas prêter attention aux révélations de ce genre, même si elles paraissent vraies. Il est criminel en effet, alors que nous possédons la Sainte Écriture, de nous faire instruire par le démon. ” Solutions : 1. Comme le dit S. Bède : “ Notre Seigneur n’interroge pas comme quelqu’un qui ignore. Il veut faire reconnaître la détresse du possédé pour manifester davantage la puissance du guérisseur. ” Il peut être parfois permis, dans l’intérêt des autres, de poser une question au démon qui se présente de lui-même, surtout quand la vertu divine peut le contraindre à dire le vrai. Mais c’est là tout autre chose que d’appeler à soi le démon pour recevoir de lui la connaissance de choses occultes. 2. Comme dit S. Augustin : “ Il n’est pas déraisonnable de croire que, par une permission de Dieu, et par un ordre secret qui échappait à la pythonisse et à Saül, l’âme d’un juste, sans subir aucunement l’influence des artifices et de la puissance magique, ait pu se montrer aux regards du roi, qu’il devait frapper d’une sentence divine... Ou bien, on pourrait penser que ce ne fut pas vraiment l’esprit de Samuel, arraché à son repos, mais un fantôme et un jouet de l’imagination, produit par les artifices diaboliques. La Sainte Écriture lui donnerait alors le nom de Samuel en suivant le procédé commun, consiste à donner le nom des choses aux image qui les représentent. ” 3. Aucun avantage temporel ne peut être mi en balance avec le dommage spirituel qui menace notre salut, si nous invoquons les démons pou découvrir des secrets. Article 5 La divination par les astres Objections : 1. Elle ne paraît pas illicite, car est permis d’annoncer, par l’examen des causes, l’effet qui s’ensuivra. Les médecins, d’après le cours que prend la maladie, annoncent la mort de leur client. Or, les corps célestes sont cause de ce qui se passe dans ce bas monde; Denys lui-même le dit. La divination par les astres n’est donc pas défendue. 2. La science naît de l’expérience. C’est ce qu’on peut voir dans Aristote au début de sa Métaphysique. Or, grâce à de multiples expériences, des gens ont découvert qu’on pouvait, par l’examen des astres, annoncer certains événements futurs. Il ne semble donc pas illicite d’employer un tel moyen pour connaître l’avenir. 3. La divination est illicite en tant qu’elle se fonde sur un pacte conclu avec les démons. Mais cela n’a pas lieu dans l’astrologie, où l’on considère simplement la disposition des créatures de Dieu. Il parent donc que cette forme de divination n’est pas illicite. En sens contraire, nous lisons dans les Confessions de S. Augustin : “ je ne renonçais pas à consulter ces imposteurs que l’on nomme mathématiciens; cela parce qu’il me semblait qu’ils n’offraient pas de sacrifices, et n’adressaient pas de prières à un esprit quelconque, en vue de leurs divinations. Et cependant la vraie piété chrétienne rejette ces pratiques et les condamne. ” Réponse : Nous avons déjà dit que les démons agissent dans la divination qui procède d’une opinion fausse ou creuse, afin d’entraîner les esprits humains dans la vanité ou l’erreur. Or, c’est faire preuve d’une opinion vaine ou fausse que de chercher à prévoir, par l’examen des étoiles, l’avenir qu’elles ne peuvent nous faire connaître. Il faut donc examiner ce que l’observation des corps célestes peut exactement nous faire prévoir. S’il s’agit d’événements dont le cours est nécessaire, il est évident qu’on peut les prévoir par ce moyen; les astronomes annoncent ainsi les éclipses. Mais nous nous trouvons en présence d’opinions bien diverses au sujet des prévisions sur l’avenir que peuvent fournir les étoiles. Il y eut des gens pour dire que les étoiles signifient, plutôt qu’elles ne produisent, ce que l’on prédit en les observant. Mais cela est déraisonnable. Tout signe corporel ou bien est un effet qui nous renseigne directement sur la cause qui le produit, ainsi la fumée est le signe du feu qui en est cause; ou bien, en désignant la cause, il désigne par là son effet, comme l’arc-en-ciel signifie le beau temps parce que le beau temps et l’arc-en-ciel ont une même cause. Or, on ne peut dire que les positions et les mouvements des corps célestes sont les effets d’événements futurs. Et on ne peut pas davantage ramener les uns et les autres à une cause unique de nature corporelle. La seule cause à laquelle on puisse ramener ces différents effets comme à une source commune, est la providence divine. Mais celle-ci soumet à des lois différentes les mouvements et les positions des corps célestes, et les événements contingents. Les premiers se produisent selon une raison nécessaire qui les produit toujours de la même manière, tandis que les seconds, soumis à une raison contingente, se produisent de façon variable. On ne peut donc, de l’examen des astres, tirer d’autre prévision que celle qui consiste à découvrir par avance l’effet dans sa cause. Or, deux sortes d’effets échappent à la causalité des corps célestes. D’abord tout ce qui se produit par accident, soit dans l’ordre humain, soit dans l’ordre naturel. L’être par accident n’a pas de cause, explique Aristote, surtout si on l’entend d’une cause naturelle comme l’influence des corps célestes. Parce que ce qui se produit par accident n’est pas à proprement parler un être et n’a pas d’unité réelle : que la chute d’une pierre produise un tremblement de terre, qu’un fossoyeur, creusant une tombe, trouve un trésor, on ne peut reconnaître à ces rencontres d’unité formelle ; de telles rencontres n’ont pas d’unité réelle, elles sont absolument multiples. Tandis que le terme d’une opération naturelle est toujours quelque chose d’un, comme son principe qui n’est autre que la forme naturelle de l’être qui agit. Échappent ensuite à la causalité des corps célestes les actes du libre arbitre, “ faculté de la volonté et de la raison ” . L’intellect en effet, ou la raison, n’est pas un corps, ni l’acte d’un organe corporel. La volonté, qui est la tendance correspondant à la raison, ne l’est donc pas davantage. Or, aucun corps ne peut impressionner une réalité incorporelle. Il est donc impossible que les corps célestes fassent directement impression sur l’intelligence et la volonté, car ce serait admettre que l’intelligence ne diffère pas du sens : ce qu’Aristote attribue à ceux qui soutenaient que “ la volonté des hommes est modifiée par le père des hommes et des dieux ”, c’est-à-dire le soleil ou le ciel. Les corps célestes ne peuvent donc être directement causes des opérations du libre arbitre. Ils peuvent cependant incliner ou agir en tel ou tel sens, en y disposant par leur influence. Celle-ci s’exerce en effet sur notre corps, et par suite sur nos facultés sensitives, car celles-ci sont l’acte d’organes corporels qui inclinent à produire les actes humains. Mais ces puissances inférieures obéissent à la raison, comme le montre Aristote ; le libre arbitre n’est donc aucunement nécessité, et l’homme peut toujours, par sa raison, s’opposer à cette impulsion venue des corps célestes. Donc, si l’on use de l’astrologie pour prévoir les événements qui se produisent par hasard ou accidentellement, ou encore pour prévoir avec certitude les actions des hommes, on part d’une opinion fausse et vaine. C’est ainsi que l’action des démons s’y mêle. C’est une divination superstitieuse et illicite. Si par contre, on examine les astres pour connaître d’avance les effets directs de l’influence des corps célestes : sécheresses, pluies, etc., il n’y a plus ni divination illicite ni superstition. Solutions : 1. Notre exposé répond à la première objection. 2. L’exactitude fréquente des prédictions des astrologues tient à deux causes : 1° La plupart des hommes suivent leurs impressions corporelles. Leurs actes n’ont donc le plus souvent d’autre règle que le penchant imprimé par les corps célestes. Un petit nombre seulement, les sages, gouvernent ces penchants par la raison. C’est pourquoi, dans bien des cas les prédictions des astrologues se réalisent, surtout lorsqu’il s’agit d’événements généraux qui dépendent du grand nombre. 2° Les démons s’en mêlent. “ Il faut avouer, dit S. Augustin que lorsque les astrologues disent vrai, c’est sous l’influence d’un instinct très secret que les âmes humaines subissent inconsciemment. C’est là une œuvre de séduction, qu’il faut attribuer aux esprits impurs et séducteurs, à qui Dieu permet de connaître certaines vérités de l’ordre temporel. ” Et il tire de là cette conclusion : “ Aussi un bon chrétien doit-il se garder des astrologues et de ceux qui exercent un art divinatoire et impie, surtout s’ils disent vrai. Il doit craindre que son âme, trompée par le commerce des démons, ne soit prise au piège dans le pacte qui l’attache à eux . ” 3. Cela résout également la troisième objection. Article 6 La divination par les songes Objections : 1. Il semble que la divination par les songes ne soit pas illicite. Car il n’est pas illicite de profiter d’un enseignement divin. Or c’est en songe que Dieu instruit les hommes. On lit en effet dans Job (33, 15) : “ Par un songe, dans la vision de la nuit, quand le sommeil accable les hommes et qu’ils dorment sur leur lit, alors Dieu leur ouvre l’oreille, et par son enseignement les instruit de sa loi. ” Employer la divination par les songes n’est donc pas illicite. 2. Ce genre de divination est précisément employé par ceux qui expliquent les songes. Or, on lit dans l’Écriture que de saints hommes l’ont pratiquée. joseph expliqua les songes de l’échanson et du grand panetier de Pharaon, et celui de Pharaon lui-même (Gn 41, 15) ; et Daniel, le songe du roi de Babylone (Dn 2, 26). On peut donc employer ce genre de divination. 3. On ne peut raisonnablement nier un fait d’expérience commune. Or, tout le monde le constate, les songes ont une signification relative à l’avenir. Il est donc inutile de nier leur efficacité divinatoire, et l’on peut à bon droit y prêter attention. En sens contraire, le Deutéronome prescrit (18, 10) “ Que nul parmi vous n’observe les songes. ” Réponse : La divination qui repose sur une opinion fausse est superstitieuse et illicite, nous l’avons dit. C’est pourquoi il faut chercher ce qu’il y a de vrai dans la prévision qu’on peut tirer des songes. Ceux-ci sont parfois la cause d’événements futurs, par exemple lorsque l’esprit, préoccupé par ce qu’il a vu en songe, est amené à faire ou à éviter telle chose. Mais il arrive aussi qu’ils soient le signe d’événements futurs, une même cause rendant compte du rêve et de l’événement. Telle est la raison de la plupart des prémonitions reçues en songe. Il nous faut donc examiner quelle est la cause des songes, et si cette cause peut en même temps produire les événements futurs ou les connaître. Il faut donc savoir que les songes peuvent dépendre de deux sortes de causes, internes et externes. Les causes internes sont elles-mêmes soit intérieures soit extérieures. - 1° L’une est psychique : l’imagination représente dans le sommeil ce qui a arrêté sa pensée et ses affections pendant la veille. Pareille cause ne peut avoir d’influence sur les événements postérieurs, avec lesquels ce genre de rêve n’a qu’un rapport purement accidentel. S’ils se rencontrent, c’est par hasard. - 2° La source intérieure du rêve est corporelle. Car les dispositions internes du corps produisent des mouvements de l’imagination en rapport avec elles ; l’homme chez qui abondent les humeurs froides rêve qu’il est dans l’eau ou dans la neige. C’est pourquoi les médecins disent qu’il faut porter attention aux rêves du malade pour diagnostiquer son état intérieur. Quant aux causes externes, nous y retrouvons également une double division, fondée sur la distinction du corporel et du spirituel. - 1° la cause est corporelle en tant que l’imagination du dormeur est impressionnée par l’air ambiant ou par l’influence des corps célestes. Ainsi les imaginations qui lui apparaissent dans le sommeil sont en harmonie avec la disposition des corps célestes. - 2° La cause spirituelle est parfois Dieu qui, par le ministère des anges, fait aux hommes certaines révélations dans leurs songes, selon ce texte des Nombres (12, 6) : “ S’il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai par un songe. ” Mais d’autres fois ce sont les démons qui sont à l’œuvre. Ils font apparaître dans le sommeil des images grâce auxquelles ils révèlent certains faits à venir, à ceux qui ont avec eux des pactes défendus. Il faut donc conclure que si l’on emploie les songes pour connaître l’avenir en tant qu’ils proviennent d’une révélation divine ou qu’ils dépendent d’une cause naturelle interne ou externe, pourvu qu’on n’aille pas au-delà des limites où s’étend son influence, une telle divination ne sera pas illicite. Mais si le songe divinatoire est causé par une révélation diabolique, à la suite d’un pacte exprès avec les démons invoqués à cette fin, ou d’un pacte tacite, parce que cette divination s’étend au-delà des limites auxquelles elle peut prétendre, cette divination sera illicite et superstitieuse. Solutions : Les Objections sont par là résolues. Article 7 La divination par les augures et par d’autres observations analogues Objections : 1. Il semble que la divination par les augures, les présages et d’autres observations analogues, ne soit pas illicite, sans quoi de saints hommes ne l’emploieraient pas. Mais on lit que Joseph consultait les augures. La Genèse (44, 5) dit en effet que l’intendant de Joseph disait : “ La coupe que vous avez volée est celle dans laquelle boit mon maître, et dont il se sert habituellement pour connaître les augures. ” Joseph lui-même dit ensuite à ses frères : “ Ignorez-vous donc que je n’ai pas mon pareil dans la science des augures ? ” Il n’est donc pas illicite d’employer ce procédé divinatoire. 2. Les oiseaux ont une connaissance naturelle de certains événements futurs, selon Jérémie (8, 7) : “ Le milan connaît dans les cieux sa saison ; la tourterelle, l’hirondelle, la cigogne, observent le temps de leur arrivée. ” Mais la connaissance naturelle est infaillible et vient de Dieu. Donc employer la connaissance des oiseaux pour connaître l’avenir, ce qui est pratiquer l’augure, ne paraît pas illicite. 3. Gédéon est mis au nombre des saints (He 11, 32). Or, il s’est servi d’un présage, le jour où il entendit raconter et interpréter un songe, selon le livre des juges (7, 13). De même Eliézer, serviteur d’Abraham, d’après la Genèse (24, 13). Ce procédé ne paraît donc pas illicite. En sens contraire, on trouve dans le Deutéronome (18, 13) : “ Que nul parmi vous n’observe les augures. ” Réponse : Les mouvements ou les cris des oiseaux, et toutes les dispositions de ce genre que l’on peut observer, ne sont manifestement pas la cause des événements futurs; aussi ne peut-on y découvrir ceux-ci, comme un effet qu’on découvre dans sa cause. Si l’on peut en tirer quelque prévision, ce sera donc seulement dans la mesure où eux-mêmes dépendent de ce qui produit ou connaît les événements qu’ils présagent. Les animaux dépourvus de raison agissent sous l’impulsion d’un instinct qui les meut d’un mouvement naturel. Ils ne possèdent pas en effet la maîtrise de leur activité. A cet instinct lui-même nous pouvons assigner une double cause : 1° Une cause corporelle. N’ayant qu’une âme sensible, dont toutes les puissances sont l’acte d’organes corporels, ces animaux sont sujets à subir l’influence des corps environnants, et en tout premier lieu des corps célestes. Rien n’empêche donc que certaines de leurs opérations ne fournissent une indication sur l’avenir, par leur conformité avec l’état des corps célestes et de l’air ambiant, d’où proviendront certains événements. Il faut cependant faire ici deux remarques. D’abord, les prévisions fournies par l’observation des animaux doivent se borner aux événements dont le mouvement des corps célestes rend raison, comme on l’a dit plus haut . D’autre part elles ne peuvent s’étendre au-delà de ce qui peut concerner par quelque côté ces animaux. Ils ne reçoivent en effet des corps célestes qu’une connaissance naturelle et un instinct relatif aux choses nécessaires à leur vie : les variations des vents et des pluies par exemple. 2° Ces instincts peuvent également dépendre d’une cause spirituelle. Ce peut être Dieu. On le voit par les cas suivants : la colombe qui descend sur le Christ, le corbeau qui ravitaille Élie, le monstre marin qui avale et rejette Jonas. Ce peuvent être aussi les démons, qui se servent de ces activités des bêtes pour troubler l’esprit des hommes par des opinions sans fondements. Ces explications valent pour toutes les autres divinations de ce genre, sauf pour les présages. Parce que les paroles humaines que l’on tient pour un présage ne dépendent pas de la disposition des astres. Elles dépendent de l’ordre providentiel que Dieu leur assigne, et parfois de l’activité des démons. Nous devons donc conclure que toute divination de ce genre, si elle prétend franchir les limites qu’elle peut atteindre selon l’ordre de la nature ou de la Providence, est superstitieuse et illicite. Solutions : 1. Joseph plaisantait, dit S. Augustin, quand il disait n’avoir pas son pareil dans la science des augures. Il ne parlait pas sérieusement, et sans doute se référait-il à l’opinion du vulgaire. Il faut entendre de même les propos de son intendant. 2. Ce texte parle de la connaissance que les oiseaux ont de ce qui les concerne. Chercher à prévoir cela en considérant leurs cris et leurs évolutions, n’est pas défendu, par exemple si le croassement répété des corneilles annonce une pluie imminente. 3. Gédéon, lorsqu’il prêta attention au récit et à l’explication du songe pour en tirer présage, vit en ces faits une instruction que lui ménageait la Providence. C’est dans les mêmes sentiments qu’Éliézer, après avoir prié Dieu, fut attentif aux paroles que prononcerait la jeune fille. Article 8 La divination par les sorts Objections : 1. Il semble que cette divination ne soit pas illicite, car, sur ce texte du Psaume (31, 16) : “ Mon sort est entre tes mains ”, la glose de S. Augustin commente : “ Le sort n’est pas chose mauvaise, mais un signe qui dans le doute indique la volonté divine. ” 2. Les saints dont l’Écriture nous rapporte les actions n’ont rien fait que de permis. Or, on trouve, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, que des saints personnages ont employé des sorts. C’est Josué qui, pour obéir au Seigneur, punit, sur le jugement du sort, Akan qui avait soustrait quelque chose à l’anathème (Jos 7, 13). C’est Saül qui par le moyen des sorts découvrit que son fils Jonathan avait mangé du miel (1 S 14, 42). C’est Jonas qui fuyant la face du Seigneur fut indiqué par le sort et jeté dans la mer (jon 1, 7). C’est Zacharie qui fut désigné par le sort pour offrir l’encens (Lc 1, 9). C’est S. Matthias enfin que le sort désigne au choix des Apôtres pour entrer dans leurs rangs (Ac 1, 26). La divination par les sorts ne paraît donc pas être illicite. 3. Le duel, ou combat singulier, les jugements du feu et de l’eau qu’on appelle jugements populaires, se rattachent aux sorts puisque par ces procédés on cherche à découvrir une chose cachée. Mais on ne voit pas que cela soit illicite puisqu’on lit que David a engagé un combat singulier avec le Philistin (1 S 17, 32). Donc la divination par les sorts n’est pas illicite. En sens contraire, on lit dans les Décrets “ Les sorts, dont vous faites usage pour juger toutes les affaires qui vous sont confiées, ont été condamnés par les Pères et nous y voyons divinations et maléfices. C’est pourquoi nous voulons que cette condamnation soit totale et qu’on n’en parle plus désormais chez les chrétiens ; et pour qu’ils cessent, nous les interdisons sous peine d’anathème. ” Réponse : On entend proprement par “ sort ” un procédé qu’on utilise, et dont on observe le résultat pour découvrir un fait caché. Si l’on s’en remet au jugement des sorts pour décider à qui l’on doit attribuer telle chose, que ce soient des possessions, honneurs, dignités, peines ou une fonction quelconque, nous aurons le sort distributif. Si l’on recherche ce qu’on doit faire, c’est le sort consultatif ; tandis que par le sort divinatoire on s’enquiert de ce qui arrivera. Les actes des hommes, que l’on utilise pour les sorts, ne sont pas soumis à la disposition des astres, ni davantage leurs résultats. Recourir aux sorts en pensant que l’issue de ces procédés est soumise à cette influence, c’est s’attacher à une opinion vaine et fausse, et par conséquent comportant une intervention des démons. De ce fait une telle divination sera superstitieuse et illicite. Cette causalité étant écartée, il s’impose que l’issue de la consultation des sorts ne peut venir que du hasard, ou d’une cause spirituelle prépondérante. Si cela vient du hasard, ce qui ne peut produire que par le sort distributif, on ne peut reprocher que la vanité ; ainsi, lorsque des gens ne peuvent se mettre d’accord sur un partage, ils veulent y employer le sort distributif, en confiant au hasard quelle part doit revenir à chacun. Mais si l’on attend d’une cause spirituelle le jugement des sorts, on l’attend parfois des démons ; ainsi lisons-nous en Ézéchiel (21, 26) : “ Le roi de Babylone s’est arrêté au carrefour, au départ des deux chemins, mêlant ses flèches pour interroger le sort; il a interrogé les idoles et consulté les entrailles des victimes. ” De tels sorts sont illicites et interdits par les canons. Mais d’autres fois, on attend de Dieu la réponse, selon les Proverbes (16, 33) : “ Les sorts sont jetés dans le pli du vêtement, mais c’est le Seigneur qui les dirige. ” En soi cette consultation des sorts n’est pas mauvaise, dit S. Augustin. Cependant le péché peut s’y introduire de quatre façons. 1° Si l’on recourt aux sorts sans aucune nécessité, car cela semble tenter Dieu. Aussi S. Ambroise dit-il : “ Celui qui est élu par le sort échappe au jugement humain. ” 2° Si, même en cas de nécessité, on emploie les sorts sans respecter Dieu. Aussi Bède dit-il : “ Si, poussé par la nécessité, on estime qu’il faut consulter Dieu ou les sorts à l’exemple des Apôtres, on doit remarquer que les Apôtres ne l’ont fait qu’après avoir réuni les frères et après avoir prié Dieu. ” 3° Si l’on fait servir les oracles divins à des affaires terrestres, ce qui fait dire à S. Augustin : “ Ceux qui consultent les sorts en ouvrant l’évangile, s’il faut souhaiter qu’ils agissent ainsi plutôt que de consulter les démons, je trouve déplaisante cette habitude de vouloir faire servir les oracles divins à des affaires profanes et aux vanités de cette vie. ” 4° Si dans les élections ecclésiastiques, qui doivent se faire sous l’inspiration du Saint-Esprit, certains recourent aux sorts. Aussi, dit Bède : “ Matthias fut ordonné par la voie du sort avant la Pentecôte ”, c’est-à-dire avant l’effusion plénière du Saint-Esprit sur l’Église, “ dans la suite les sept diacres ont été ordonnés non par le sort, mais par le choix des disciples ”. Il en est autrement des dignités temporelles, ordonnées au bon ordre des affaires terrestres ; dans ces élections, la plupart du temps les hommes emploient les sorts, comme pour la répartition des biens temporels. Mais, si la nécessité est pressante, il est licite d’implorer le jugement divin avec tout le respect voulu. Ce qui fait dire à S. Augustin : “ Si en temps de persécution les ministres de Dieu sont divisés pour savoir qui restera pour éviter que tous ne s’enfuient, afin que l’Église ne soit pas dépeuplée par la mort de tous, si cette répartition ne peut se régler autrement, à mon avis, c’est au sort de choisir ceux qui doivent rester et ceux qui devront fuir. ” Et il dit ailleurs : “ Supposons que tu aies du superflu qu’il te faille donner à un indigent, sans qu’il te soit possible d’en faire deux parts; si tu rencontres deux hommes dont ni l’un ni l’autre ne peut justifier ta préférence, soit par son indigence, soit par quelque lien qui te l’attacherait : tu ne feras rien de plus juste que de tirer au sort un don que tu ne peux faire aux deux à la fois. ” Solutions : 1. et 2. Notre exposé répond à ces deux objections. 3. L’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante est un procédé par lequel on s’efforce, au moyen d’actes accomplis par un homme, de découvrir une faute cachée ; c’est ce qu’elle a de commun avec les sorts; cependant, en tant qu’on y compte sur un miracle de Dieu, elle dépasse la raison générale des sorts. C’est ce qui rend illicite un tel jugement; car il est ordonné à juger des choses secrètes, réservées au jugement de Dieu; en outre un tel jugement n’est pas sanctionné par l’autorité divine. Ç’est ce qui explique cette décision du pape Etienne, : “ Les canons n’approuvent pas qu’on arrache un aveu à qui que ce soit par l’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante. Ce que les saints Pères n’ont pas enseigné ni sanctionné de leur autorité nul ne doit oser le faire par un procédé superstitieux. Les délits manifestés par un aveu spontané ou par des témoignages probants, c’est à nous d’en juger, en gardant devant les yeux la crainte du Seigneur. Quant aux fautes secrètes et inconnues, il faut les abandonner à celui qui seul connaît les cœurs des fils des hommes. ” La même raison vaut pour le duel judiciaire, à cela près qu’on rejoint ici davantage la notion générale des sorts, en tant qu’on n’attend ici aucun effet miraculeux, sauf peut-être lorsque les combattants sont vraiment de force ou d’habileté inégales. |